La fin des tergiversations
A l’heure où j’écris ces lignes, plus de 4000 personnes sont hospitalisées et 632 se trouvent en soins intensifs. Plus de 10.500 ont perdu la vie en Belgique depuis mars de cette année.
Si je peux comprendre l’extrême difficulté de la gestion politique de cette crise sanitaire sans précédent, si peux entendre la nécessité de maintenir des équilibres régionaux ou sectoriels, je me dois d’user de ma liberté d’expression d’homme de terrain averti pour témoigner de l’urgence absolue de la situation actuelle.
Stop à la minimisation du risque
Mon organisation suit la santé au travail de plus de 76.000 travailleurs du secteur de la santé et de l’accompagnement individuel. Nos médecins du travail, infirmières, psychologues, conseillers en prévention, témoignent tous d'une même réalité.
Ces travailleurs cumulent en permanence l’expérience de drames humains, de difficultés organisationnelles insurmontables, de la crainte d’être eux-mêmes un facteur de contamination de leurs patients, de leurs proches et de la gestion de leur propre santé.
Certains me disent qu’avec 632 lits occupés en soins intensifs sur 2.000 disponibles, nous sommes encore loin de la saturation.
A leur avis combien de patients peuvent réellement être pris correctement en charge avec le nombre de malades, de personnes mises en quarantaine, de soignants juste épuisés par ces longs mois de surcharge et d’incertitude ?
Le risque ne se résume pas à une pénurie de lits ou d’équipement. Il est d’abord et avant tout humain. En minimisant le risque nous augmentons non seulement le nombre de malades et de décès dans la population mais nous consumons à petits (grands) feux nos capacités humaines de prises en charge dans le système hospitalier. Double drame humain qui finira plus tôt que tard à se payer lourdement dans notre société.
Il sera alors très tard pour se poser la question de la gravité de la situation.
Stop à l’opposition de la santé et de l’économie
Opposer la nécessité de maintenir notre économie en marche et l’urgence sanitaire revient à savoir qui nous allons sacrifier dans la société. Vous sentez-vous capable de répondre à cette question ?
Croire que notre système hospitalier, quelle que soit sa performance actuelle, est la solution qui permet de maintenir le plus longtemps possible notre société en marche économique est aussi illusoire qu’inopérant. Nous gagnerons peut-être une semaine. Peut-être deux ou trois en tirant un peu sur la corde. A quel prix ?
Quel est par ailleurs le sens d’une économie qui ne peut se maintenir qu’en faisant prendre des risques majeurs à ses travailleurs quel que soit leur statut ?
Pourquoi est-il si difficile de dire la vérité sanitaire ? Si nous voulons éviter des catastrophes humaines, il faut clairement et drastiquement réduire nos contacts sociaux. Au travail certainement, dans notre vie privée également. Cela s’appelle le confinement.
Pourquoi est-il si difficile de nous dire également que nous devrons payer le prix financier de cette crise dans les années à venir ? Que c’est la seule manière d’aider maintenant et significativement les secteurs acculés financièrement : la culture, l’Horeca, certains secteurs de services, l’événementiel, …
Quelqu’un me raconter hier qu’un de ses amis qui travaillent dans le cinéma avait demandé à des connaissances testées positives de ne pas le signaler à la cellule tracing par ce qu’il avait (enfin) décroché un petit contrat qu’il ne pourrait pas prester s’il était mis en quarantaine.
Comment peut-on accepter une telle situation ? Pourquoi cette personne doit-elle choisir entre sa santé (et celle des autres) et sa survie financière ?
N’est-ce pas là la vraie solidarité ? Cesser d’opposer les logiques sanitaires et économiques. Cesser d’opposer les personnes qui subissent de lourdes conséquences financières et le personnel soignant. Donner des garanties à ceux qui risquent de se retrouver à la rue par l’arrêt de leur activité. Donner tout autant de garanties à notre ligne de front sanitaire qu’on ne la mettra pas dans la situation de choisir qui elle soignera. Accepter dans les années à venir que notre fiscalité soit adaptée pour que tous disposent de ces garanties maintenant.
Cessons ce débat stérile qui consiste à savoir où se cachent les contaminations les plus importantes. Elles sont partout. Offrons plutôt la possibilité à chacun de vivre décemment cette crise en prenant le moins de risque possible pour sa santé physique et psychologique.
Stop à l’opposition entre la santé publique et la liberté individuelle
A combien de morts estimez-vous la valeur de votre liberté individuelle ?
La question peut paraître brutale ; elle se résume pourtant à cela. Quelle société civilisée accepte de sacrifier des vies pour préserver le droit à la majorité de faire son shopping, de boire un verre en terrasse, de manger avec des amis, de préférer le travail au bureau parce que l’on y est plus tranquille ?
La liberté individuelle est un droit chèrement acquis dont nous jouissons largement dans nos sociétés ? Elle a une limite fondamentale que nos lois ont bien identifié dans différents codes. Nous ne pouvons en aucun cas poser des actes qui mettent en danger nos concitoyens.
Dans l’état actuel de la situation, nos contacts sociaux rapprochés mettent en danger notre famille, nos amis, nos collègues, nos rencontres fortuites non-protégées. Pourquoi cette règle fondamentale de la vie en société régissant nos libertés individuelles ne s’appliquerait pas à la crise actuelle ?
Ne mélangeons pas enjeux économiques et liberté individuelle. Trouvons une solution aux difficultés économiques personnelles et acceptons la contrainte temporaire au nom du bien public.
Soutenir, soutenir, soutenir
Nous appeler à la solidarité nationale spontanée est une chose mais les bonnes volontés ne suffiront pas à dépasser les souffrances encourues par tous ceux qui subissent la situation depuis des mois. Le personnel de la santé, les personnes fragilisées économiquement, psychologiquement et socialement doivent pouvoir compter sur un soutien efficace en fonction de leurs besoins. Notre société ne peut pas se permettre une dérégulation majeure.
Nous vivons dans un pays doté de très nombreuses structures d’accompagnement à tous les niveaux. Ces structures bénéficient déjà d’un certain soutien de la part des autorités publiques. Ces structures doivent à la fois être écoutées et renforcées (même temporairement) afin de gérer les risques encourus par notre population dans cette crise sanitaire.
Les aides économiques alliées à l’action des structures de soutien est notre meilleur pare-feu. Celui qui garantit à la fois la préservation de l’essentiel de notre société et la meilleure protection de ceux qui encourent les plus grands risques.
La fin des tergiversations
Le déni et la peur sont nos principaux ennemis.
Les tergiversations ne feront que nous enfoncer dans une crise encore plus grave d’ici très peu de temps. La solidarité est effectivement la clé mais elle doit s’organiser au départ de nos structures pour éviter toute confusion et cacophonie. Les instructions claires permettent de fixer des priorités, de s’organiser correctement dans la durée et de ménager les énergies individuelles et collectives.
Que nos autorités publiques fixent un cap sans équivoque. Les professionnels se chargeront de nous faire parvenir à bon port.
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Administrateur - SRTT
4 ansVoici un post empli de bon sens qui analyse exhaustivement et rationnellement le problème complexe auquel nous sommes confrontés. Loin des yaka, il démonte que les solutions simples, voir simplistes, nous mène droit dans le mur.
Médecin du travail Conseiller en prévention et protection des salariés
4 ansRestons positifs et vaillants