La force la mémoire et le lien du geste
Au Moyen-âge, le geste du latin gestus désignait un signe, un mouvement d’origine manuelle ou corporelle. Le mot au masculin désignait aussi une manière d’agir, un comportement, une action le plus souvent remarquable. Ainsi les mouvements du corps et les mouvements du cœur et de l’âme pouvaient-ils être liés. Au féminin, la geste du latin res gestæ désignait un ensemble de récits versifiés épiques ou romanesques relatant les hauts faits de héros ou de personnages illustres. Qui peut oublier l’Illiade et l’Odyssée ou la Chanson de Roland ? La geste est l’ancêtre de la poésie, du roman et de la littérature tout comme le geste lorsqu’il reste bon et bienveillant désigne la poésie du comportement humain. Il peut y avoir des gestes d'admiration, de colère, de confiance, de découragement, de dédain, de désespoir, d'effroi, d'énervement, d'étonnement, d'ignorance, d'impatience, d'impuissance, de lassitude, de mépris, de résignation, de révolte. Il y a aujourd’hui des « gestes barrières ». Il peut y avoir des gestes religieux, des gestes profanes, des gestes purs, des gestes obscènes, des gestes vagues, des gestes précis, des gestes irréfléchis, des gestes prémédités, des gestes doux, des gestes violents, des gestes d’amateur, des gestes professionnels. Mais au cœur de l’expression humaine, les gestes les plus signifiants et parfois les plus émouvants sont sans doute ceux qui génèrent et que génère l’écriture. L’écriture a d’abord relevé du geste préhistorique lorsque l’homme du même nom taguait ou tatouait ses prolégomènes sur les parois de ses grottes ou sur sa peau bien avant de laisser des traces plus sophistiquées sur des os, sur des galets, sur le cuir des peaux animales sur des écorces végétales, dans des tablettes de cire, puis au fil du temps sur le dos des papyrus, sur des parchemins ou sur du papier. L’homme a été peintre avant d’être comptable, écrivain ou calligraphe. Au fil des âges, il a affiné, il a perfectionné les gestes du dessin, de la peinture de la gravure et de l’écrit en même temps qu’il perfectionnait les supports et les outils de l’expression graphique. De la craie et du charbon de bois à la plume et au pinceau, tout a évolué vers la douceur et vers la précision. On est passé de la rigidité à la souplesse, du grattage et du frottement à la caresse et au glissement. Le mot geste n’a pas oublié de toucher au virtuel : le GESTE, c’est aujourd’hui le Groupement des éditeurs de services en ligne, une association professionnelle créée en 1987, qui veut accompagner et favoriser le développement des services et éditions électroniques.
C’est bien la force, la symbolique du geste qui nous unit, qu’il soit physique ou moral, y compris lorsque nous parlons avec les mains. Le geste, au carrefour de la main, du corps, du cœur et de l’âme. A l’embouchure du geste, l’écriture est avec la fusion des corps l’une des activités les plus sensuelles, les plus tactiles de la vie humaine. Écrivons comme nous aimons. Sachons jouir du geste sans prothèse, sans clavier, sans dictaphone. L’écriture manuscrite peut être à la fois le sismographe et la chorégraphie de l’âme. Alors on danse !
Jean-Pierre Guéno