LA FORMATION DES MAÎTRES, 40 ANNEES D’ERRANCE
En 1990, les Instituts universitaires de Formation des Maîtres(IUFM) ont remplacé, en ce qui concerne l’élémentaire , les écoles normales d'instituteurs qui recrutaient jusqu'alors par concours les titulaires du baccalauréat. Pour les professeurs des lycées et collèges, ces instituts se sont substitués aux centres pédagogiques régionaux (CPR) recrutant jusqu'alors par concours les titulaires d'une licence. Enfin, pour les professeurs des lycées professionnels, ils ont pris la place des Écoles normales nationales d'apprentissage (ENNA). La création des IUFM avait toutes les apparences de la cohérence ! Ils affichaient en effet la vocation d’homogénéiser la formation initiale, jusqu’alors cloisonnée, des différents corps d'enseignants intervenant dans l'enseignement primaire et secondaire, prétendant effacer ainsi les ruptures de « culture scolaire » vécues par les élèves passant de l’élémentaire au collège. On créa donc le corps des « professeurs des écoles » dont le nom, apparemment plus prestigieux, remplaça l’appellation historique et si juste d’« instituteur » et on monta la barre à Bac +5, sans se préoccuper d’ailleurs de ce que l’on étudiait pendant ces cinq années.
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Belles intentions, me direz vous ! Pour les réaliser, on fit cohabiter dans les IUFM des gens venus d’horizons et de parcours très variés, ayant des statuts, mais surtout des positions hiérarchiques différentes. Même si l’on tenta de les réunir sous le beau nom de « formateurs » ce sont bien leurs corps d’origine respectifs qui déterminèrent leur degré de pouvoir. Dans ces instituts universitaires, on nomma donc des IEN et maîtres formateurs le plus souvent de grande qualité et expérience. On y invita aussi des enseignants agrégés ou certifiés lassés d’un enseignement secondaire miné par le désenchantement des élèves. Enfin, pour « couronner » le tout, arrivèrent des candidats à l’enseignement supérieur, tout heureux d’accéder, par une voie détournée, au statut d’enseignants-chercheurs. La façon dont furent créés ces IUFM fut ainsi entachée d’une erreur monumentale : en donnant le pouvoir à des agrégés déçus et à des universitaires de seconde main, on confia le pouvoir à ceux qui ne connaissaient que peu de chose aux problèmes de l’enseignement primaire. Et comme il fallait bien cacher leur incompétence en matière de pédagogie, ils imposèrent un modèle d’apprentissage qui avait « l’immense » intérêt de dispenser l’enseignant de ce qui était sa responsabilité première : transmettre avec talent des connaissances et former avec constance des esprits libres. C’est ainsi que l’élève fut élu (à la place du maître) constructeur du savoir. Ce renoncement auquel a conduit une formation dévoyée des maîtres au cours des quarante dernières années a détourné bien des élèves du respect des règles sociales et linguistiques et a sapé l’autorité du maître d’école. Pour des raisons essentiellement idéologiques, les instituts de formation des maîtres ont tenté de mettre dans la tête des enseignants que toute règle, pour être respectable, devait pouvoir être explicitement « justifiée ». Les règles arbitraires, n’autorisant, par leur nature même, aucune hypothèse, aucune supputation, ont donc été dénoncées comme abêtissantes tout juste bonnes à rendre plus cruelle encore la sélection perverse dans laquelle se complaisait l’école. Puisqu’un élève ne pouvait « découvrir » tout seul pourquoi on doit mettre un « s » ou un « x » à la fin d’un mot pour indiquer le pluriel, ou encore pourquoi on écrit « reine et non « rêne », alors il devenait inopportun, voire cruel, d’obliger un élève » à observer ces règles de grammaire et d’orthographe. On a feint d’oublier que les conventions arbitraires ne se négocient pas, mais qu’elles se respectent et que ce respect conditionne notre cohésion sociale. « Accès direct et heureux à l’expertise contre labeur triste de l’apprentissage » : tel fut le slogan de la nouvelle illusion pédagogique qui s’empara de la majorité des IUFM, encouragée par les nébuleuses sciences de l’éducation qui trouvaient là une heureuse légitimation. Les formateurs de terrain de bon sens furent réduits à l’accomplissement des basses besognes, leurs voix n’eurent aucun poids dans les décisions essentielles face aux agrégés et universitaires. Les pitoyables tentatives de changement d’acronymes (INSPE…) n’entraînèrent, bien sûr aucun changement dans le fonctionnement et l’idéologie des instituts de formation. L’entière responsabilité de la formation des maîtres fut la chasse gardée de nos universités : les masters disciplinaires les plus divers (et les plus saugrenus) permettant ainsi d’accéder au concours d’enseignant, avec pour effet d’effacer tout fondement d’apprentissage professionnel solide. Car, disons le tout net ! L’immense majorité des universitaires ont peu de choses pertinentes à apporter à la formation des maîtres du premier degré. En bref, on a sacrifié la formation professionnelle des maîtres pour quelques postes d’enseignants-chercheurs et quelques étudiants de plus.
Des maîtres ont ainsi été mis devant une classe sans réelle préparation et pour eux, enseigner devint une charge et une épreuve plutôt qu’une vocation et un espoir de prolongement. Ils ont été privés d’une formation qui doit permettre à chaque enseignant de tenir sans fléchir, chaque matin, en ouvrant la porte de sa classe le « serment de l’instituteur »: « vous ne sortirez pas de ma classe dans le même état intellectuel qui était le vôtre quand vous y êtes entrez. Vous aurez appris des choses que vous ne saviez pas, mais surtout, vous aurez compris des choses que vous ne faisiez que contempler et vous saurez ainsi penser avec plus de liberté et de discernement. Ils ont été privés d’une formation qui doit transmettre à nos futurs enseignants le talent et la volonté de démontrer jour après jour, avec la plus grande obstination, qu'au sein de leurs classes, l’’effort et le goût d’apprendre trouveront leur juste récompense non pas en termes de possessions nouvelles, mais en termes de pouvoir intellectuel accru : mieux comprendre et mieux se faire comprendre ; mieux se défendre et mieux convaincre.
Si de moins en moins d’étudiants se destinent au métier d’instituteurs c’est parce qu’on ne leur donne pas les moyens matériels, intellectuels et moraux d’espérer forcer le destin des élèves fragiles. Ils ont trop souvent la conviction que, quoiqu’ils fassent, l’échec de certains de leurs futurs élèves sera inéluctablement programmés dès six ans. Le sentiment douloureux qu’ils ne serviront à rien les détourne alors du « plus beau métier du monde ». Aucune revalorisation salariale, chichement octroyée, ne les convaincra de rejoindre les rangs de ceux qui furent les hussards de la république et qui sont condamnés à être aujourd’hui les agents d’un service de reproduction sociale.
Membre et contributeur
1 ansIl s'agit de prendre en compte le facteur "Temps" avant toute autre considération. On ne peut acquérir des connaissances et des compétences que sur un temps suffisamment long. La formation actuelle est morcelée, parcellisée, notamment en ce qui concerne les périodes de stages, qu'ils soient accompagnés ou en responsabilité. L'observation des gestes professionnels, transmis par des enseignants experts et chevronnés, de même que l'esprit de compagnonnage au long cours, au sein des écoles d'application, permettaient de se forger sur un temps long, une véritable culture professionnelle.
Directeur ERCAE EA 7493 Équipe de Recherche Contextes et Acteurs de l'Education Professeur des universités Full professor 18e section CNU Université d'Orléans
1 ansRefaire, en 5 minutes de lecture, l'histoire d'une évolution complexe, à coups de catégories professionnelles caractérisées sans nuance expose au risque du manichéisme et du simplisme, malheureusement...
Proviseur lycée les métiers de l’hôtellerie, de la restauration et des services Jean Capelle
1 ansEn accord avec votre texte, M Bentolila....instituteur, je fus (promotion - 3filles, 3 garçons !!- EN Périgueux 1982-1985). Même si je suis devenu professeur des écoles, conseiller pédagogique, principal et maintenant proviseur, instituteur je reste. Recruté après Bac, ce qui m'a permis de faire 3 ans d'études en étant salarié. 3 années de formation, parfois folklorique, mais qui nous permettaient d'être en stage plusieurs semaines par an, dans tous les niveaux de classe, en classe unique, en classe d'adaptation, en école d'application...bref apprendre le métier. J'ai eu le sentiment d'être bien formé et accompagné quand j'ai pris mes premières classes en main...même si on apprend toujours et encore. Ce n'est pas de la nostalgie...c'est un constat.
Publique Lecture
1 ansEt si nous parlions des élèves ? En définissant leurs besoins , en ayant comme objectif de différencier la pédagogie , alors nous pourrons parler de la formation des « maîtres » . C’est ainsi qu’il faut réfléchir . J’ai été formatrice à l’IUFM durant 20 ans, c’est la démarche que j’ai toujours privilégiée.
Formateur en communication chez Pôle Formation UIMM SUD
1 ansJ'aime beaucoup le concept de serment d'instituteurs que nous devrions tous faire notre en tant qu'enseignants