La fragilité du leader et son inconfort face à l’incertitude le poussent à surestimer son pouvoir de conviction
Nous ne sommes pas au bout des enseignements de cette crise et ils seront nombreux, mais j’en retiendrais ici deux, qui ont des implications immédiates pour les entreprises dans les semaines à venir :
- Expliquer au lieu de répéter pour que la communication produise des effets
- Miser sur la responsabilité individuelle au lieu d’infantiliser pour engager
Cela implique d’intégrer l’évolution de l’image du chef. L’obligation de faire autrement pendant la crise est une opportunité pour recommencer différemment.
La situation
On martèle qu’une communication efficace repose sur 2 grands piliers : la simplicité et la répétition.
Ce sont donc les mêmes messages simples qui ont été passés en boucle à partir de début mars (appliquer les gestes barrières, énoncés comme des injonctions évidentes et sans justifications), avec une gradation (respecter des distances de sécurité car le virus est très contagieux), jusqu’au ton martial qui a accompagné la mise en place du confinement (rester chez soi car la situation est très grave, nous sommes « en guerre »).
Cette communication n’a pas pris. Pourquoi ?
Car sa simplicité s’est révélée inadaptée à la complexité de la situation. Elle est devenue simplisme caricatural en contradiction avec la réalité visible par 95% des Français, puis dans les injonctions mêmes qui étaient faites (restez chez vous, mais sortez pour aller travailler ; les masques ne servent à rien, mais il faut des masques pour se protéger et reprendre le travail …).
En tirant les leçons de cet exemple récent à grande échelle, on peut poser les ingrédients d’une communication efficace dans l‘entreprise, confrontée à des annonces difficiles ou à des situations complexes. La communication pour engager les salariés dans la « transformation » se range dans ce cas.
Les applications en entreprise
1er enseignement : expliquer au lieu de répéter pour faire entendre son message et mettre en mouvement
Nous avons besoin de cohérence pour nous mettre en action. On parle généralement de sens. En effet notre cerveau n’aime pas le hasard et l’incertitude, qui sont très déstabilisants (cf les études de D. Kahneman). Nous cherchons des causes à ce qui arrive et nous avons besoin de comprendre le pourquoi de ce que nous devons faire. Pour faire adhérer, la corrélation entre la vision finale, le but et les actions pour y parvenir doit être évidente. Et si elle ne l’est pas, il faut expliquer les décisions qui peuvent apparaître contradictoires à court terme, mais qui se justifient par la complexité de la situation, les informations différentes dans le temps ou l’impossibilité matérielle de faire face …
Par exemple, dans la situation actuelle perturbée, un message très alarmiste ou très rassurant à destination des salariés n’est pas crédible. Tous comprennent que la situation future, et donc ce qui sera attendu de leur part, ne peut pas être entièrement anticipé aujourd’hui.
Les collaborateurs apprécieront d’autant plus ce langage de vérité qu’ils connaissent la réalité de terrain, mais ils peuvent avoir besoin d’éclaircissements pour saisir l’intégralité des choix à faire et de leurs implications.
Pourquoi, en tant que manager ou dirigeant, ne procède-t-on pas ainsi, de manière pédagogique et avec cette transparence systématiquement ?
Pour 2 raisons principales : l’assurance et l’inconfort.
Expliquer les raisons de son choix prend du temps. Pourquoi « perdre » ce temps alors qu’on a l’assurance que ses instructions seront suivies d’effet ? derrière cette assurance (ou cette espérance) il y a l’image du leader, incontesté et suivi. Pourtant nous savons tous que la réalité est différente et que la demande d’être associé aux choix est croissante.
Par ailleurs, communiquer la complexité est inconfortable et crée de l’incertitude. Ne pas avoir toutes les réponses, tâtonner sur les solutions, ne pas pouvoir chiffrer toutes les conséquences et répondre aux inquiétudes que cela provoque est très inconfortable pour le dirigeant ou le manager. Cela implique pas mal de confiance en soi et dans les autres pour ne pas se sentir remis en question dans son statut. Et si le climat social de l’organisation n’est pas très bon, la crainte de désordres s’ajoute. Le réflexe est de masquer les difficultés pour se faciliter la vie et se laisser des portes de sortie. Ne pas annoncer de décision c’est aussi se créer des options. Après tout, le pire n’est jamais certain. Il n’est pas utile d’inquiéter. Mais l’absence de communication crée du flou, donc de l’inquiétude, dans lesquels vont s’engouffrer les rumeurs et s’installer la défiance.
Aussi contradictoires qu’elles puissent apparaître, ces 2 raisons renvoient à une même représentation du chef, celui qui sait et qui impose seul. Mais, hormis les situations d’urgence où il faut effectivement exécuter d’un bloc la décision prise, l’amont se prépare en concertation et l’exécution en terrain mouvant peut nécessiter la discussion.
L’incertitude actuelle nécessite d’autant plus de reconnaître que le chef ne sait pas tout, ne peut pas tout et n’est pas responsable de tout.
La solution ? responsabiliser
Et c’est le 2ème enseignement : miser sur la responsabilité individuelle
Partager le constat, reconnaître la situation, identifier ensemble les difficultés et les opportunités (le rôle du manager est aussi de tirer vers le haut). Avoir un dialogue ouvert et sincère, participatif et exigeant. Ne pas donner l’impression que tout a été décidé d’avance, sinon l’exercice loupera son objectif qui est de susciter de l’adhésion, de la confiance et des idées. Alors le temps de la consultation aura été un gain de temps énorme pour la suite.
La reprise va être rude pour bon nombre d’entreprises, entre réorganisation, remise en route ou récupération selon l’effet du confinement. Le réflexe pourrait être d’aller au plus vite pour rattraper le temps perdu, donc de se remettre à faire comme avant. Le grand changement annoncé ne se produira sans doute pas de manière aussi naturelle et radicale qu’on l’annonce, mais nul doute que tout le monde aura changé durant cette parenthèse, ou au moins se sera posé des questions et attendra quelques signes d’un changement visible.
Même si la gestion politique de la crise n’a pas misé sur la responsabilité individuelle de manière évidente, chacun a été amené à réfléchir à ses comportements et à sa responsabilité à l’égard des autres (dans la propagation du virus, dans le fait de soutenir un proche ou un collègue, dans l’organisation de son propre travail à distance, dans son rôle de manager …). Il serait dommage de ne pas utiliser cette dynamique. C’est l’occasion de faire participer plus largement que d’habitude à la réflexion sur ce qu’il serait souhaitable de changer au retour. De manière simple et pragmatique, responsabiliser : prendre un moment pour tirer les enseignements de la réorganisation du travail pendant la crise, faire participer ceux qui ont dû s’arrêter, que chacun se sente partie prenante des évolutions nécessaires et oser mettre en place les quelques changements qui permettront d’être plus efficaces tout en apportant un nouveau souffle à la reprise. Chacun ayant participé et se sentant engagé dans la démarche, le succès sera d’autant plus assuré.