La gentillesse au travail, oui mais...
Claude Onesta est un grand entraineur titré de l'équipe de France de handball. Il a eu beau faire éclore la génération des costauds et des experts, ce grand monsieur du sport encense une valeur surprenante dans le succès de ses équipes: la gentillesse. Selon lui, à côté des traditionnels leaders et suiveurs, les gentils apportent une vraie plus-value en créant des liens entre les membres du groupe:
Ces gens-là sont fondamentaux dans la construction du projet car ce sont eux qui vont générer du vivre ensemble en se baladant d’un sous-groupe à l’autre, en montrant qu’il est possible à chacun de se rapprocher, de partager des choses. C’est le mec qui va préparer le café pour créer un moment de partage, le mec qui va susciter une rigolade. Cette population, hélas, est rarement mise en avant, alors qu’à mes yeux, elle est au cœur de la vie sociale du groupe. C’est le gentil qui en permanence va tempérer les affrontements. Par moment il va même prendre sur lui et faire rire de lui-même pour faire retomber les tensions…
Adaptée au monde de l'entreprise en général, cette affirmation peut également avoir du sens. La convivialité, la sympathie, les marques d'attention pour les autres, la volonté de faire plaisir... rendent effectivement plus facile et plus agréable la vie d'un collectif. Mais il existe trois exceptions qui font de la gentillesse une erreur, une faiblesse ou une ruse. Voici donc le revers de la médaille: les gentils dangereux.
1- Le gentil manager
En management, le bienveillance sincère est une vertu incontestée. Elle consiste à vouloir le bien des autres, comme son étymologie le précise. Associée à l'exigence, la bienveillance permet l'obtention de résultats durables, en plaçant le respect, l'écoute et la compréhension au cœur des relations humaines, et au service de l'engagement des salariés. Mais elle ne doit pas être confondue avec la gentillesse, qui consiste d'abord à vouloir faire plaisir aux autres.
Un manager trop gentil aura du mal à savoir dire non, à recadrer un collaborateur, à faire respecter une consigne, à exprimer clairement ce qu'il a à dire. Il cherchera avant tout à ne pas déplaire, à dire ce que l'autre a envie d'entendre... ou à ne rien dire du tout quand pourtant il le faudrait. Le climat initialement perçu comme "cool" par ses collaborateurs va vite se transformer en cauchemar pour le manager. Les plus intrépides vont en effet chercher à tester le manager pour obtenir quelques faveurs (plus de temps pour faire une tâche, plus de souplesse dans la prise d'un congé, plus de ci, moins de ça...), ou pour lui imposer des passe-droits (pauses à rallonge, retard à l'embauche, port des EPI aléatoire...). Ayant du mal à réagir ou à dire non, le manager gentil va de facto créer des "précédents" au gré des différentes sollicitations, et générer ainsi des situations d'iniquité entre ses collaborateurs. Or nous touchons là à une des trois clés de voûte de la motivation. Le sentiment d'injustice commence à miner le climat, à occasionner des plaintes de ceux qui se sentent lésés, soit parce qu'ils ont moins que d'autres, soit parce qu'ils font plus que d'autres... Et le cercle vicieux est enclenché, menant à une sur-sollicitation du manager gentil qui se trouve bien vite débordé, au point d'endosser sur lui une charge de stress importante nuisible à sa santé. Les résultats baissent par démotivation progressive de l'équipe, et le climat social se gâte par un sentiment de laisser-faire que le manager inspire vis à vis de ceux qui abusent
2- Le gentil qui dit oui
le "gentil qui dit oui" est d'abord quelqu'un qui ne sait pas dire non! Il accepte une demande d'aide d'un collègue alors qu'il est déjà dans le dur, il accepte sans rechigner toutes les demandes de son manager alors qu'il est déjà surbooké, il cède devant un collègue "fort en gueule" pour éviter le conflit qu'il exècre, il craint d'exprimer son avis s'il ne sait pas soutenu...
En apparence, c'est quelqu'un de précieux dans une organisation. Une bonne patte, souvent souriante, toujours partante, le collègue idéal qui cherche avant tout l'affectif et qui espère que les autres soient capables de deviner tout seuls ce qu'il n'ose pas dire. En réalité, c'est quelqu'un qui prend le risque de grossir tôt ou tard le ratio d'absentéisme de l'entreprise. Épuise, noyé, écrasé par une charge de travail qu'il ne parvient pas à maîtriser, peu confiant dans sa capacité à se protéger, frustré de ne pas être capable de s'exprimer franchement et de rivaliser avec ceux qui parlent fort, le "gentil qui dit" oui se soumet et porte sur ses épaules le poids des conséquences de son attitude. Non seulement il se met en danger, mais en plus il encourage ses interlocuteurs à persévérer dans cette relation dominant/dominé. Qui peut envisager que cette situation soit profitable au climat relationnel de l'entreprise?
3- Le gentil de circonstance
A la différence du précédent, le gentil de circonstance ne l'est qu'en apparence. Sa gentillesse est délibérément choisie pour créer des conditions favorables à la réalisation d'un objectif qu'il s'est préalablement fixé. C'est un calculateur qui sait où il va, et qui cherche avant tout à séduire l'autre de façon plus ou moins habile.
Au premier regard, c'est plutôt quelqu'un de sympathique et d'agréable, de prévenant, quelqu'un avec qui les liens de sympathie peuvent vite s'établir. Il sait complimenter habilement, il réconforte, il écoute, il confie des informations, il cherche à créer une relation de confidentialité. Parfois même il n'hésite pas à proposer de faire jouer son réseau en cas de besoin... Sa méthode? Faire d'un interlocuteur soigneusement identifié son allié pour sa marche vers l'objectif inavoué.
Heureusement, la plupart du temps, le masque finit par tomber et le vrai dessein du gentil de circonstance devient apparent. Les flatteries deviennent trop insistantes, les confidences trop gratuites. Un seul remède devant cette situation: solliciter un échange direct, cartes sur tables (méthode qu'il n'aime pas du tout utiliser), lui dire que vous vous interrogez sur la finalité de tant d'égards à votre sujet. Il comprendra alors qu'il n'a pas sur vous la prise escomptée et qu'il est devant quelqu'un d'assertif qui demande à ce que les choses soient claires et les relations saines.
En synthèse:
Bien sûr que la gentillesse est une qualité, au moins tant qu'elle ne nuit pas à l'intérêt de l'autre. Quand il n'y a aucune suspicion de vouloir blesser, la franchise peut être bienveillante, alors qu'un silence gentil peut priver la personne d'un regard extérieur avisé. Ne souhaite-t-on d'ailleurs pas que nos amis soient capables de nous dire ce que personne n'ose nous dire? Dans l'entreprise, la bienveillance n'a que des vertus. Quant à la gentillesse, elle doit d'une part être exclue des pratiques managériales (ce qui n'interdit pas la recherche de convivialité), et d'autre part être totalement gratuite et assumée pour ne pas produire d'effet négatif pour le gentil ou pour son entourage et l'organisation.
Gestionnaire ADV
5 ansC est tellement vrai !
Responsable Informatique chez Assurance Maladie
5 ansTrès bonne analyse !!! 👍