La gouge ou le rabot
Dr Eric BASEILHAC, le 09/07/17
Notre système de régulation économique du médicament n’est plus adapté aux enjeux des années à venir. Obtempérant au rythme annuel des Lois de finances de la sécurité sociale, il remplit de sables mouvants un budget dont il donne l’illusion instantanée d’avoir comblé le trou. Signe de son impéritie : jamais les délais d’accès des Français aux nouveaux médicaments n’ont été aussi longs (440 jours en moyenne). Signe de son inconséquence : l’imprévisibilité budgétaire qui fait du médicament une variable d’ajustement nuit aujourd’hui gravement à l’attractivité industrielle de notre pays. Sur 187 molécules enregistrées entre 2014 et 2016 par l’agence européenne, 12 seulement seront produites en France… 51 en Allemagne, 46 au Royaume-Uni.
Les enjeux économiques de la décennie à venir, dans le domaine de la santé, sont d’une autre ambition. Ils relèvent de la convergence exceptionnelle de trois révolutions : technologique, digitale et sociétale. Des vagues sans précédent d’innovations vont bouleverser le pronostic vital et évolutif de nombreuses maladies. Le cancer, maladie encore mortelle dans 50% des cas, deviendra maladie chronique. Biotechnologies, thérapies ciblées, immunothérapies, thérapies génétiques et cellulaires enserrent les maladies par les multiples voies nouvelles que les progrès des sciences ont ouvertes. Ces révolutions ont un coût mais beaucoup des nouveaux traitements offriront l’opportunité de transformer en profondeur l’organisation des soins. C’est là le gisement d’efficience des prochaines années. Surtout – retenons la leçon des récentes polémiques sur le prix des nouveaux traitements de l’hépatite C - ces progrès vont se heurter à trois exigences sociétales qu’il faudra concilier : l’accès, la performance et la soutenabilité.
Pour répondre à ces enjeux, élargir la focale temporelle de la régulation est une urgente nécessité. La myopie annuelle des lois de finances de la sécurité sociale nous oblige à ne pas voir plus loin que le trou qui s’est creusé sous nos pieds. Il faut une loi quinquennale de programmation sanitaire, comme nous avons une loi de programmation militaire, pour adapter nos capacités de financement aux défis de l’innovation et engager les transformations nécessaires dans l’organisation des soins. Développer la prévention pour répondre aux enjeux populationnels de l’épidémiologie et du vieillissement, bâtir avec les professionnels de santé de la ville et de l’hôpital des parcours de soins efficients, accompagner les pathologies chroniques par la télémédecine, réformer avec les industriels l’évaluation et des modalités de financement des médicaments innovants. L’équation selon laquelle on pourrait accueillir toutes ces innovations en continuant à gérer le budget du médicament dans une enveloppe décroissante et fermée, comme ce fut le cas ces cinq dernières années, est une équation impossible. La trajectoire des dépenses de médicaments doit rejoindre le niveau global des dépenses de santé et être regardée comme un investissement.
Des choix forts et courageux devront être posés dans les prochaines semaines qui décideront de la crédibilité politique de tout un quinquennat. Satisfaire l’injonction immédiate de la correction du déficit ou engager les réformes structurelles nécessaires à remettre durablement les comptes de l’Assurance maladie sur les rails. Faire de notre pays une terre indépendante d’innovation et de production pharmaceutique ou devenir un comptoir de ventes ouvert à tous les vents. Façonner une économie nouvelle de la solidarité et de la santé ou couvrir d’expédients budgétaires un trou qui se reformera l’année prochaine. La gouge ou le rabot.