La Guerre pour la Guerre ou l'Anéantissement
Une paix sans guerre est non envisageable tout comme une guerre qui ne débouche pas au bout de siècles sur une paix n'est qu'une bulle de violence aveuglante. Si l'on était amené à décrire ce qu'est une guerre au-delà de la définition classique rapportée par les dictionnaires, on songerait à une opposition entre deux clans ou plus séparés par des idéologies différentes voire contraires. Il n'est pas non plus exclu que dans le domaine psychanalytique, une guerre peut être interne dans la mesure où l'être humain est en confrontation avec soi-même, toutefois là encore il fait intervenir des facettes diverses de sa personnalité qu'il met sur le Ring de l'introspection. Ce cas mis à part, il est clair que ce qui se passe en ce moment en Palestine est d'une horreur inconcevable tant l'immense explosion de l'oppression est si soudaine.
Maintes personnes seraient tentées de dire que rien n'est plus surprenant sur ces terres et que la cruauté deviendrait presque habituelle, que les photos et vidéos reçues de là-bas ne sont plus choquantes et que les débouchés de tant de terreur sont prévisibles, mais c'est justement ce genre de discours fataliste qu'il faudrait critiquer et empêcher de devenir la justification de tout acte terroriste contre les Palestiniens et contre n'importe quelle autre population dans le monde; comme si la violence venant des Etats militairement forts et appuyés par tant et tant de superpuissances mondiales extérieures devenait légitime parce qu'elle serait explicables, parce que possible, parce qu'elle ne peut être inhibée.
Si Hannah Arendt avait inventé "la banalité du mal" en observant scrupuleusement Eichmann lors de son procès à Jérusalem en avril 1961, les phrases de soumission et aux échos déterministes citées plus haut promeuvent aujourd'hui ce concept en normalisant les affronts commis par les forces de l'ordre israéliennes. Avant même de songer à s'engager concrètement dans cette cause quasi-éternelle, c'est à dire à passer à l'acte par la voie d'un militantisme, d'une résistance ou à travers des dons envoyés, il serait urgent et prioritaire de commencer par changer le langage par lequel cette question est abordée.
Dans un monde mondialisé, connecté, emporté dans une dynamique de changement frénétique et qui de plus est en marche vers le durable, il est tout aussi nécessaire de rappeler que la transition vers un monde de vie global plus sain, n'est pas seulement réalisable à travers la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou par augmentation de taxes pour limiter la pollution, ou encore par la signature excessivement médiatisée et célébrée du Paris Agreement; en effet, il est assez antinomique et peu efficace de prétendre vivre écologiquement sur une planète, dont une large région est le siège de massacres et de violations des droits les plus basiques et pourtant les plus fondamentaux de l'Homme. Réduire le volume de dioxyde de carbone dans l'air tout en permettant l'augmentation du volume de sang déversé dans le sol n'est pas la révolution que les générations futures cherchent.
Limiter l'exploitation de l'énergie nucléaire et des énergies fossiles sans contrôle de l'approvisionnement des armes les plus destructrices qui sont chaque jour utilisées contre des innocents est comme proposer de faire fonctionner par l'électricité les trains ayant servi à la déportation lors de la Seconde Guerre mondiale. La comparaison n'a guère pour dessein d'offenser quiconque, mais il faut parfois présenter les réalités de manière crue en vue de pousser plus loin et plus en profondeur la réflexion.
Pourquoi ce passage abrupt de la crise palestinienne à la crise climatique? La réponse est simple: c'est parce que l'on ne cesse de sauter d'un drame à un autre de manière discrétisée, c'est à dire que l'on se focalise à chaque fois entièrement et exhaustivement sur un problème sans le lier à tout un contexte spatial et historique pour ensuite traiter un autre et oublier le précédent: Lesbos était devant l'objectif de la caméra institutionnelle des Nations Unies ainsi que les autres Organisations humanitaires il y a quelques mois, ensuite Myanmar, puis l'Afghanistan sans oublier la crise phare de la Covid 19 qui mobilise tout l'intérêt médiatique, scientifique et politique voilà plus d'une année, mais on ne réalise pas assez - ou on ne le fait pas suffisamment voir - que rien ne se passe dans un coin du globe sans que ceci ait naturellement un impact sur une autre zone, même à l'autre bout de la Terre. Tout conflit étant la conséquence d'une cause explicite ou implicite antérieure en dépit de son ancienneté; rien ne se perd et rien ne se crée. Cette formule est aussi applicable aux pratiques humaines qui ne font que prendre différentes formes au cours du temps et mènent à des résultats avantageux ou désastreux à degrés nuancés. Le principe de responsabilité de Hans Jonas est ce qui responsabilise la population mondiale d'aujourd'hui vis-à-vis des terriens du futurs en lui rappelant qu’elle est certes vouée à la finitude, mais que ses traces environnementales et surtout sociales sont indélébiles.
Pour revenir à la Palestine, cette terre est le meilleur théâtre de la violence absurde, car elle perd son but. Il est assez obsolète de clamer "la libération de la Palestine" dans le sens de restitution de l'intégralité des terres de l'Etat palestinien, vu l'organisation géopolitique présente et l'enracinement de l'Etat d'Israël dans la politique mondiale ainsi que son poids économique par ses industries notamment pharmaceutiques, d'ailleurs la pandémie témoigne clairement de cette forme médicale de Soft Power. L'objectif concret maintenant n'est absolument pas l'anéantissement des uns pour sauver les autres, mais la protection des droits fondamentaux des deux peuples, de sorte qu'ils puissent regarder ensemble dans la même direction de l'établissement d'un plan de division réalistiquement avantageux pour tous. Évidemment, ceci n'est guère une nouveauté et plusieurs cartes ont été dessinées à ce but, sans jamais avoir plus d'attention que celle accordée lors de quelques conférences entre une poignée de Pays Arabes ou de certaines réunions du Conseil de Sécurité. Il est tout de même nécessaire de noter que de véritables efforts ont été cependant fournis et ont permis d'éviter en plusieurs occasions des dévastations probablement pires que celles déjà connues. C'est pour cela que c'est d'autant plus difficile à gérer et de plus en plus pénible à vivre, étant donné que les Palestiniens ne décident pas de leur sort sur la scène politique internationale, mais lorsqu'il s'agit de subir les tueries génocidaires, ils sont la plupart du temps abandonnés à leur sort.
L'avenir de la Palestine et de tout pays ou population sous n'importe quelle pression et oppression ne pourra pas être garanti par les accusations, les ripostes violentes et la résistance seule sous sa face traditionnelle, mais est entre les mains de ceux qui s'adonneront avec persévérance à la recherche profonde, à la confrontation consciente de faits, à une approche analytique rigoureuse des données, à l'établissement de liens solides, objectifs et pertinents entre les informations collectées pour ensuite canaliser la communication des résultats afin d'éclairer au lieu de dénoncer, d'expliquer au lieu d'interpréter, de dévoiler au lieu de déformer et surtout pour semer les graines de la paix fertile qui fait avancer plutôt que renforcer la haine stérile qui fait régresser. Les slogans sont muets, les oreilles des compromis sourdes et les devises anciennes impuissantes, c'est ainsi que le brillant et meilleur avenir attend d'être enfanté par la jeunesse ; la jeunesse curieuse, vivante, créative, imprégnée d'empathie et de sincérité.
La jeunesse convoitée est celle qui ne traîne pas les souffrances du passé comme une marque personnelle greffée au fer rouge sur sa peau, mais qui s’inscrit dans une démarche de diffusion de la paix universelle, au-delà des frontières religieuses, ethniques et géographiques. Cette jeunesse est tout autour et n' a pas d'élu, elle est dans les écoles, lycées, universités, bureaux, métros, restaurants, dans les rues, sur les toits ou sous les ponts. Bref, elle est partout car toute jeune âme cherchant à vivre en aimant la vie et non en la subissant a suffisamment de potentiel pour faire entendre une voix qui unit et réunit les êtres. A vrai dire, les réseaux sociaux lui procurent un large champ pour s'exprimer quand bien même quelques plateformes seraient surveillées. Lorsque la détermination s'associe à la foi c'est-à-dire à la croyance confiante en une conviction quelque soit sa nature, rien ne peut arrêter ce processus de défense des valeurs, du moins pas catégoriquement. Tout obstacle ne sera que temporaire.
Pour conclure, la guerre n'est pas faite pour plaire à certains, pour masquer ses faiblesses ou pour se délecter du malheur d'autrui. Si elle a existé et existe de nos jours, c'est parce que la nature humaine n'a pas encore découvert l'étendue de sa capacité à communiquer et est encore fragilisée par des complexes refoulés que tout peuple porte en lui et en sa culture depuis l'apparition de l'humanité. La paix n'est pas l'antonyme de la guerre, mais bien plus. La paix c'est surmonter ses propres défaillances et oser renoncer à quelques piliers d'un égo surdimensionné pour s'associer aux autres non par preuve de gentillesse, mais par souci d'harmonisation pragmatiquement rentable sur le court terme et surtout sur le long terme.
Note de l'auteur: Je n'ai guère l'habitude de me prononcer aussi longuement et explicitement sur de tels sujets compliqués dont le fond dépasse mon humble connaissance des motifs politico-historiques ainsi que grandement économiques qui en sont les principaux stimulateurs. Néanmoins je jugeais non superflu d'apporter ma propre vision en tant que jeune du vingt et unième siècle de ce qui a toujours été considéré comme la préoccupation exclusive des leaders de Nations. J'ose espérer que cet essai trouvera un écho aussi modeste soit-il et qu'il aura permis à certains lecteurs de divertir leurs esprits avec lucidité.