La jeunesse se mouille

La jeunesse se mouille

On est loin des clichés de ces skateurs des années 80-90, qui, fumette à la bouche et musique grondante des enceintes du poste double cassettes, se motivaient la journée à essayer de nouvelles figures de styles sur leurs skateboards diaprés, ou se pavanaient en revendiquant une forme de rébellion envers la société qui les héberge. On en est bien loin de ces grandes villes bétonnées, celles des rêves et des désillusions, celles qui grouillent de personnalités vagabondes, celles qui offrent un parc naturel pour cette jeunesse désabusée.

Trois décennies plus tard, la jeunesse n'a pas beaucoup changé, seul le temps a avancé. On la retrouve maintenant, dans nos campagnes, dans ces petites villes d'à peine dix milles habitants. Ces jeunes ont ce même vague à l'âme, cette responsabilité lourde de concevoir le futur, de marcher dans les pas de leurs aînés.

Mais, dans leur tête d'adolescent, il y a une contrainte à tout ça, celle de ne pas obéir aux codes imposés. Ils ne se contentent plus de sauter sur des rampes d'escaliers, sur des marches de béton, désormais, ils font le grand saut. Ce saut dans l'inconnu, dans ce torrent opaque, dans ce fleuve vivace, cette eau à l'origine de leur vie, et qui sait, à l'origine de leur perte.

Malgré tout, suivre cette jeunesse à la remarquable insouciance, à cet esprit libre, qui n'est pas encore attaché à la réalité du système, fût un vrai bonheur. Cette petite bulle, nous raccroche quelques instants, à cet état d’apesanteur face aux difficultés de la vie. Les ambitions sont toujours les mêmes, s'amuser et se faire peur. Prouver sa virilité, ressentir que l'on existe.

C'est ce qu'il y a dans ces yeux qui m'a plu, ce mélange de joie, d'adrénaline et de testostérone.


Ils sont aux portes de la majorité, certains même l'ont déjà ouverte. D'autres l'ont carrément refermé depuis des décennies. Mais cela ne les empêche pas de cohabiter. Bien au contraire, une sorte de parentalité réconforte et encourage les plus jeunes en leur montrant la voie. Ce chemin sinueux que les anciens connaissent bien. Pour débroussailler cette nouvelle contrée, rien ne vaut alors un éclaireur aguerri.


Pas très impressionnés par la fraicheur de l'eau, les skateurs entament à tour de rôle, leurs premiers essais. Mais ils ne sont que dans le petit bassin. Dans leur tête, le cordon ombilical n'est pas encore coupé. Alors ils se testent, se cherchent, se provoquent, pour se motiver et montrer aux yeux de leurs camarades et des filles, qu'ils peuvent le faire. Les moqueries se mélangent aux félicitations, mais une seule énergie amplifie ce moment, celle du rire. Un rire communicatif qui cache cependant une certaine appréhension. Les paroles sont encore étouffées et les gestes maladroits. Les secondes s'égrainent, le soleil s’apprête à souhaiter bonne nuit.

L'avenir est incertain. L'obscurité qui éclate au grand jour, n'empêchera pas la repêche de certaines dérives après ce grand saut. Il faut s'en remettre à cette solidarité qui lie l'amitié de façon universelle et scelle cette cohésion d'un ciment éternel. Prêts sur leur radeau, les deux courageux, bravent au mépris de leur vie, le courant qui les emporte. Mais, cette vie qui ne tient qu'à un fil, est maintenant tenue fermement par une corde. Ce fameux cordon ombilical, lien immuable de l'homme et de la terre mère.

Un dernier coup d’œil, on jauge la hauteur, la surface, les précautions à prendre. On estime l'élan nécessaire à la propulsion dans les airs, au plus près des nuages. Le cœur bat alors la chamade, l'excitation est à son comble et la nervosité palpable. Chacun passe son tour, le rêve prend fin, la réalité les rattrape, il faut y aller, mais quand ?


Les anciens sont là. Ils connaissent les risques. Cette jeunesse enfouie à jamais et profondément dans leur cœur, désolidarise la responsabilité qui leur incombe. Il la mette gentiment au placard, place maintenant à l’insouciance. Une insouciance mesurée et bienveillante. Il ne faudrait pas donner le mauvais exemple.

Quelques pas de repair. Enfin prêt.


Après la première salve, lancée par l'ancien, la jeunesse s'est engagée sur cette étroite passerelle pour goûter aussi à ce moment intense. Chacun y va de sa petite figure. Les plongeons sont parfois plus impressionnants que les sauts. Le skate attaché à l'une de leurs articulations de pieds ou de mains, ils dérivent sereinement, se laissant porter par ce courant descendant, les yeux remplis de bonheur. Ils en redemandent, comme une addiction à l’héroïne, comme une drogue qui coulerait doucement dans leurs veines, ces veines juvéniles, ces veines vitales qui palpitent intensément pour leur rappeler qu'ils sont bien en vie. Mais à leur corps défendant, l'obscurité remplit l'eau de sa noirceur, obligeant les rescapés d'un radeau submergé, à mettre le pied à quai. Les esprits sont libres, les pensées négatives emportées par la rivière purificatrice. Malgré le frima qui hérisse chaque poil de leur peau, la satisfaction est sensitive, la joie d'avoir accompli un acte singulier, une trace dans l'histoire.

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