La lecture aux temps du confinement et du déconfinement: classiques et best-sellers revisités (suite)
J’avais entrepris il y a quelques mois de lire ou relire de grands classiques ou récents best-sellers de la littérature française et mondiale. Le confinement a accéléré ce processus. Résultat des courses – très subjectif et dans le désordre (3ème volet)
L’ Illiade et l’ Odyssée (Homère) - Encore deux classiques, dans tous les sens du terme. On peut éviter le premier, qui n’est même pas une relation complète de la Guerre de Troie, mais la description répétitive de furieux combats entre Troyens et Grecs, qui s’envoient mutuellement vers le « gouffre de la mort ». Voltaire, déjà, au sujet de l’Illiade, faisait dire au noble vénitien Pococurante, rencontré par Candide : « tous les gens sincères m’ont avoué que (ce) livre leur tombait des mains, mais qu’il fallait toujours l’avoir dans sa bibliothèque, comme un monument de l’antiquité... »
L’Odyssée est une œuvre bien plus intéressante et informative, écrite dans un style moins déclamatoire. A noter que la plus grande partie du récit n’est pas consacrée aux voyages et aventures d’Ulysse « aux mille ruses », mais à la « vengeance » de ce dernier à Ithaque contre les « prétendants » qui assiègent Pénélope - la vengeance est un thème récurrent dans l’Antiquité et hélas encore aujourd’hui. Les acteurs de ces épopées sont par ailleurs les jouets des Dieux manipulateurs de l’Olympe, ce qui donne un côté un peu factice aux péripéties très humaines ici contées. Pas de place pour le libre arbitre ou le hasard quand Athéna « aux yeux pers » et Zeus s’en mêlent.
Le Père Goriot (Honoré de Balzac) - Le livre fondateur de la Comédie humaine, qui campe certains des principaux personnages de cette interminable saga et se termine par le fameux défi lancé par Eugène de Rastignac à Paris : « A nous deux maintenant ». Un livre d’une lecture agréable, même si le Père Goriot et ses filles apparaissent comme des figures caricaturales à l’excès. Le dilemme vient ensuite : a-t-on vraiment envie de suivre, dans Les illusions perdues ou La maison Nucingen, l’ascension sociale de, Rastignac, cet arriviste au cynisme assumé ? Pas vraiment en ce qui me concerne. A vous de voir. La Comédie humaine compte quelque 90 livres et opuscules divers ...
La Chartreuse de Parme (Stendhal) - Décidément, je n’arrive pas à m’enthousiasmer pour certains des grands auteurs français du 19ème siècle, en particulier Flaubert et Stendhal, pourtant portés aux nues. La « Chartreuse » tout comme Le Rouge et le Noir – qu’il faut avoir dans sa bibliothèque ! - nous présentent des héros « romantiques » et velléitaires, qui passent leur temps à tomber « fort » amoureux de « charmantes » comtesses (comme Stendhal), ce qui leur fait faire pas mal de bêtises. Rien de bien passionnant, tout comme les nombreux protagonistes qui s’inquiètent à longueur de pages pour leurs « 30.000 livres de rentes » (c’est pareil chez Balzac et Flaubert). En outre, Julien Sorel comme Fabrice del Dongo admirent Napoléon, celui-là même qui a couvert l’Europe de cadavres et de cendres et qui a pillé (volé) sans vergogne de multiples œuvres d’art en Italie (on a dû les rendre après Waterloo…). Not really my cup of tea.
Limonov (Emmanuel Carrère) – Le décès du Russe Edouard Limonov en mars dernier (2020) m’a incité à lire ce best-seller d’Emmanuel Carrère, prix Renaudot en 2011. Ecrivain russe sulfureux dont l’ambition était de « se faire remarquer » par ses provocations et de devenir « riche et célèbre » Limonov n’est pas vraiment une personnalité attirante. Le livre, en revanche, vaut la peine d’être lu pour ses descriptions de la société russe et des milieux littéraires et politiques fréquentés par Limonov à Moscou, New York et Paris. A noter que Carrère en profite pour se mettre lui-même en avant (il le reconnaît) et introduire de nombreuses scènes sexuelles, sinon pornographiques (comme dans Le Royaume, trois pages inutiles). Il tresse en outre, curieusement, des lauriers à Poutine, cynique dictateur formé par le KGB, suivant en cela l’exemple de sa mère, l’historienne Hélène Carrère d’Encausse.
Lolita (Vladimir Nabokov) – Un livre à la fois intéressant et désagréable, souvent placé dans les listes des plus grands romans anglophones du 20ème siècle. Intéressant pour ce qu’il décrit de la société américaine des années 1950, par opposition à l’Europe (le « héros » narrateur est un Suisse né à Paris, professeur de littérature française). Désagréable dans son portrait d’un pédophile cynique et manipulateur, devenu in fine meurtrier (un portrait adouci dans les films tirés du livre). Les nombreuses références littéraires de l’ouvrage, ainsi que les multiples formules en français dans le texte, ont sans doute contribué à son succès dans le milieu de l’intelligentsia littéraire, dont Nabokov (Un Russe installé aux Etats-Unis puis en Suisse, que détestait Limonov) faisait éminemment partie.
Seul dans Berlin (Hans Fallada) – Un livre remarquable, récit de de la résistance et de la chute d’un couple de modestes Berlinois face à Hitler dans les années 1940. L’écriture est un peu plate, mais on ne peut que se passionner pour ce roman basé sur l’histoire vraie de deux Allemands, mari et femme, exécutés (assassinés) en 1943. Le livre a été publié en 1947, deux ans avant le fameux 1984 de George Orwell, dont il constitue en quelque sorte une préfiguration, avec ce tableau d’un régime totalitaire nazi contrôlant de façon impitoyable la population allemande. Le Big Brother hitlérien était dans toutes les cages d’escalier à Berlin
A l’ouest rien de nouveau ( Erich Maria Remarque) – Encore un chef-d’oeuvre venu d’Allemagne. Le meilleur, de mon point de vue, de tous les livres que j’ai lus sur la boucherie de la Grande Guerre (y compris notamment Le Feu, Les croix de bois, Voyage au bout de la nuit ou Orages d’acier). C’est un récit sans concession de la guerre des tranchées en 14-18, vue du côté allemand, avec un crescendo inéluctable dans l’horreur et l’absurdité militaires. Une lecture salutaire. Alors que je débutais ma « préparation militaire » à la fin des années 60, en tant qu’étudiant, un adjudant nous avait réuni pour ce petit discours : « « Le rôle d’un officier, que vous allez devenir, est d’envoyer ses hommes à l’assaut et se faire tuer sans réfléchir ». J’ai renvoyé mon paquetage le lendemain, sans réfléchir une seconde.
Extension du domaine de la lutte (Michel Houellebecq) – On nous dit régulièrement que le meilleur livre de Houellebecq serait ce premier petit roman, qui l’a fait connaître. En fait, il est glauque à souhait et annonce bien la suite de ses œuvres. Pas grand-chose à dire de cette histoire d’un ingénieur en informatique déprimé et déprimant, qui ne sait pas quoi faire de sa vie. Le reste de sa production (à part Soumission) est à l’avenant et on se demande encore comment il a pu avoir le Goncourt (un prix assez galvaudé il est est vrai) pour La carte et le territoire. Dommage. Je l’ai rencontré brièvement à Madrid et il n’est pas inintéressant, loin de là.
Le vieil homme et la mer (Ernest Hemingway) – Trois jours et deux nuits avec Santiago, le vieux pêcheur cubain, ses frères les poissons, ses soeurs les étoiles, ses ennemis les requins et son ami le jeune garcon Manolin. Un petit chef-d’oeuvre d’Ernest Hemingway qui lui valut le Prix Pulitzer en 1953 et sans doute le Prix Nobel en 1954. J’ai toujours bien aimé “Papa” Hemingway, la simplicité, de son écriture et de ses dialogues, même si certains de ses romans comme Pour qui sonne le glas, me semblent un peu verbeux. J’ai visité les deux belles maisons où il a vécu à Key West en Floride, puis à Cuba près de La Havane, la Finca Vigia. Cette dernière était un vrai paradis pour écrivain. Il l’a quittée à la fin des années 1950 pour aller se suicider à 61 ans dans l’Idaho, le corps et l’esprit détruits par un accident d’avion et surtout par l’alcool. Quel gâchis ! Santiago, lui, ne s’était pas découragé...
L’insoutenable légèreté de l’être (Milan Kundera) – L’écriture de Milan Kundera, sans être similaire, ressemble un peu à celle d’Hemingway, dans sa concision et une relative sécheresse. Mais l’écrivain tchèque naturalisé français, très discret dans sa vie privée, a une personnalité totalement opposée à celle du flamboyant Américain. Dans ce livre publié en 1984, il explore avec un certain pessimisme les relations amoureuses et avec une vraie répulsion la vie derrière le rideau de fer après l’intervention des chars russes à Prague en 1968. Intéressant bien sûr, avec aussi l’émouvant passage sur Karenine, le chien mourant d’un des couples. Mais pas totalement convainquant, avec sa bizarre définition du « kitsch » et les brutales disparitions des principaux protagonistes, qui m’ont laissé sur ma faim.
L’amie prodigieuse (Elena Ferrante) . Comme beaucoup, je me suis laissé prendre par cette histoire tourmentée des deux amies, Elena et Lila, qui débute dans un quartier pauvre de Naples pendant les années 50 et se poursuit sur plusieurs décennies et tout au long de quatre tomes. Il est facile de voir pourquoi cette mini-saga a passionné des millions de lectrices et lecteurs. Deux petites remarques cependant. D’abord le fait qu’Elena Ferrante (un pseudonyme, mais en Italie on dit que l’auteur est un homme, Domenico Starnone) ne restitue pas vraiment les couleurs, les odeurs, l’atmosphère de Naples, comme sait si bien le faire Yasmina Khadra pour Alger. Ensuite une certaine perplexité devant le disparition totalement inexpliquée, dans le dernier tome (l’Enfant perdue), de la fille de Lila. Un goût d’inachevé.
Jeeves (P.G.Woodehouse) – Un régal ! Il y a longtemps que je n’avais pas lu ou relu ces chefs-d’oeuvre de l’humour anglais : les livres de Woodehouse racontant les mésaventures du fantasque Bertie Wooster (dont un ancêtre noble aurait combattu à Azincourt…) et de son valet de chambre, l’imperturbable Jeeves. Ces ouvrages, dont le premier a été publié il y a une centaine d’années, n’ont pas pris une ride, de même que les histoires de golf racontées par The oldest member (du club). Humour pince-sans-rire, élégance et understatement. En ces temps tragiques et déprimants, il est bon de rire avec ces lectures qui nous réconcilient avec la souriante légèreté de la vie.
(à suivre)