La lutte contre les violences familiales envers les enfants doit devenir une priorité nationale

Béatrice Penaud Février 2020

Magistrate

Vice-présidente du Tribunal Judiciaire de Pontoise

Un enfant décède tous les 5 jours suite aux mauvais traitements infligés par ses parents (recensement de l' IGAS ). Ce chiffre est sous évalué, beaucoup de ces meurtres d'enfant étant non révélés. L'INSERM l'évalue à 2 morts par jour.

La violence à l'encontre des enfants est omniprésente. Ainsi le numéro 119 Allô Enfance en danger reçoit plus de 1300 appels par jour.

Face à ces chiffres, force est de constater une dissymétrie dans la prise en compte des violences exercées dans le cadre familial.

La lutte contre les violences faites aux femmes a été élevée au rang de Grande cause nationale en 2018-2019. C'est une avancée capitale. Mais pourquoi la maltraitance infantile et les infanticides ne sont-ils pas dénoncés avec autant de vigueur que les violences conjugales ? L'infanticide qui ne se réduit pas au meurtre du nouveau-né ne doit-il pas être autant combattu que le féminicide ?

Quel tabou plus fort encore que celui de la violence à l'encontre des femmes continue de détourner les regards et d'entretenir le silence ?

Le phénomène des violences physiques faites aux enfants est un phénomène massif et pourtant largement occulté. Il connait un écho médiatique sporadique, relégué à la rubrique des faits divers. Il fait l'objet de peu de travaux universitaires. Les poursuites pénales en la matière sont rares et dans les débats publics, la question de la violence sur les enfants est bien souvent réduite à la question du droit de correction. Le débat sur la gifle fait écran aux violences les plus graves.

Cette occultation exprime la peur d'une société qui pour ne pas voir l'horreur se voile la face et s'exonère de sa responsabilité en considérant qu'il s'agit d'une fatalité sociale, née de la misère et difficilement décelable dans l'intimité des foyers.

Cette occultation a des racines historiques. Les violences aux enfants et le silence qui les entoure sont l'héritage d'une société patriarcale qui faisait peser sur l'enfant dépourvu de droit la puissance paternelle.

Cette forme de violence envers les mineurs est aussi un tabou contemporain parce qu'elle remet en cause notre vision idéalisée de la famille et notamment de la mère. Or selon une étude basée sur l'analyse des casiers judiciaires des condamnés, 70% des meurtres d'enfant sont perpétrés par des femmes. La violence féminine est aussi un grand tabou social, notamment lorsqu'elle a une dimension sexuelle à l'encontre des enfants.

Selon la revue médicale Lancet, 10% des enfants seraient maltraités dans les pays développés. Les formes de cette maltraitance se répartiraient ainsi : 31% de violences physiques, 24% de violences sexuelles, 26% de négligences lourdes, 19% de violences psychologiques.

Une autre forme d'inégalité dans l'attention portée doit aussi prendre fin. En effet, si les violences de nature sexuelle faites aux mineurs sont depuis une vingtaine d'années davantage prises en considération, la parole des victimes, notamment d'inceste, commençant à se libérer, il n'en est pas de même des violences physiques et négligences graves sur mineurs, y compris celles qui conduisent à la mort ou au handicap lourd.

Pourtant les violences aux enfants, qu'elles soient physiques ou sexuelles, sont la source de préjudices considérables, sur le plan somatique et psychique. Les troubles post traumatiques sont comparables à ceux engendrés par la guerre. Certains enfants vivent dans un univers familial que l'on peut qualifier de totalitaire voire concentrationnaire. Les répercussions sur l'avenir de ces victimes en devenir sont dévastatrices : dépression, suicide, addictions, reproduction de la violence, maladie mentale, handicap. Avoir été victime de maltraitance dans l'enfance est un facteur-clé d'émergence de la psychopathie. Les formes extrêmes de ces violences peuvent conduire à la destruction neuronale.

Les répercussions sont non seulement individuelles mais aussi sociales et politiques. Car d'Hitler à Staline, la plupart des tyrans ont été des enfants battus, abusés, qui reproduisent sur leur peuple la violence qu'ils ont subie.

Notre législateur considère l'importance des violences à l'encontre des mineurs au travers de la notion pénale des circonstances aggravantes. Les peines sont aggravées lorsque les viols, agressions sexuelles, meurtres sont commis à leur encontre. Une nouvelle circonstance aggravante est apparue, celle concernant les violences sur conjoint ou concubin, en présence d'un mineur. Cette récente prise en compte de la gravité particulière des violences conjugales qui sont commises en présence de l'enfant place ce dernier en tant que victime collatérale, dont le préjudice moral et le traumatisme psychologique se voient reconnus. Le législateur exprime ainsi le lien étroit qui existe entre violences conjugales et violences sur les enfants, dans le cadre d'un système familial tyrannique. 140 000 enfants seraient ainsi chaque année des victimes collatérales de violences conjugales.

Toujours sur le plan pénal, des voix se sont élevées pour rendre imprescriptibles les crimes contre les mineurs, et pas seulement les crimes sexuels à leur encontre. Un livre blanc a été rédigé en ce sens par l'association L' Enfant Bleu. Le délai de prescription en matière de viol sur mineur a été rallongé, à compter de la majorité de la victime ; ces dispositions plus favorables aux victimes devraient être étendues à tous les crimes sur mineurs.

Sur le terrain de la prévention et de la détection, il a fallu attendre 2017 pour qu'un premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants soit publié. Plusieurs ministères sont concernés : Santé, Justice, Education Nationale.

Ce plan a émis d'importantes préconisations telles que le recensement annuel du nombre d'enfants morts à la suite de violences intrafamiliales, le principe de l'autopsie en cas de mort inattendue des nourrissons, l'inspection du fonctionnement des institutions concernées lors de morts violentes d'enfants au sein des familles, la formation des professionnels en contact avec les enfants à la détection et aux conduites à tenir face aux violences faites aux enfants, la désignation en la matière de médecins référents dans les hôpitaux.

Un rapport de mai 2018, élaboré conjointement par les trois ministères précités, intitulé Mission sur les morts violentes d'enfants au sein des familles, formule de non moins intéressantes recommandations. Il souligne l'importance de l'organisation des échanges au sein des services et entre les services concernés. Il entend voir généralisée l'autopsie des enfants de moins d'un an ( hors cas de mort naturelle évidente et accident de la route ). Il insiste sur la nécessité de renforcer la prévention de l'absentéisme scolaire en école maternelle et souligne l'importance de l'orientation des parents de nourrissons qui présentent des facteurs de vulnérabilité vers les structures de soutien comme la PMI. Une présence accrue des intervenants sociaux dans les locaux de police et gendarmerie, dans le cadre du traitement des violences conjugales, serait opportune.

Un plan de mobilisation contre les violences faites aux enfants a été présenté par le secrétaire d'Etat chargé de la protection de l'enfance le 20 novembre 2020. Ses mesures phares sont le renforcement des moyens accordés au 119 Allô enfance en danger, la généralisation des Unités d'accueil pédiatriques enfance en danger, la consultation systématique des données du fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes ( FIJAIS ) pour tous les professionnels en contact avec les enfants, le renforcement de la sécurité des mineurs relevant des établissements de l' Aide sociale à l'enfance. La peine pour consultation d'images pédopornographiques sera portée à 5 ans et entrainera une inscription automatique au FIJAIS. La mesure la plus innovante est l'expérimentation d'un numéro de téléphone d'écoute et d'orientation thérapeutique pour les personnes sexuellement attirées par les enfants.

Fort de ces nouvelles dispositions, il est temps qu'un plan de lutte contre les violences faites aux enfants soit décliné non seulement au niveau national mais aussi départemental et municipal. Une attention législative particulière devrait être portée aux catégories d'enfants particulièrement vulnérables que sont les enfants handicapés, migrants, sans domicile fixe. Rappelons qu'une dizaine d'enfants meurent chaque année en France dans la rue.

Paris en tant que Conseil départemental s'est ainsi engagé dans une action vigoureuse en réorganisant l'Aide sociale à l'enfance. Un plan de lutte contre les violences faites aux enfants a été lancé le 20 novembre 2020. Renforcer la protection de l'enfance passe nécessairement par une telle réorganisation qui s'appuie sur une analyse critique des modes de fonctionnement de l' Aide sociale à l'enfance. Il a été reproché à cette administration de faire prévaloir l'unité familiale sur l'intérêt de l'enfant. De plus ses modes d'organisation varient selon les départements. « La maladroite », téléfilm basé sur un cas réel, a pointé les graves dysfonctionnements dans la communication entre départements ( l'Aide sociale à l'enfance étant un service départemental ) à l'occasion des déménagements de la famille maltraitante.

D'autres dispositions pourraient être envisagées.

Sur le plan judiciaire, l'amélioration de la détection devrait passer par un traitement plus rapide des signalements. A l'exemple d'autres pays européens, une procédure de référé pourrait être être formée devant le juge des enfants pour voir prononcer un placement en extrême urgence, en cas d'indice grave de violence faite au mineur.

Sur le plan de la prévention, une information des parents dès la naissance de l'enfant sur les risques mortels des bébés secoués doit être systématiquement délivrée.

Un examen médical somatique pourrait être obligatoirement pratiqué, à l'instar de la vaccination obligatoire chez l'enfant. Cet examen pourrait être opéré chaque année par la médecine scolaire. Le numéro d'appel Allô Enfance en danger devrait aussi être affiché dans toutes les écoles primaires et collèges.

Enfin, enseigner à l'école primaire les droits de l'enfant tels que reconnus par la convention internationale des Droits de l'enfant contribuerait non seulement à sensibiliser les jeunes esprits mais aussi à libérer les petites victimes des sentiments de peur et de honte qui les inhibent. Cette sensibilisation aux effets libérateurs doit s'appuyer sur une action pédagogique des associations de défense des droits des enfants.

C'est en effet la parole de ces victimes qui doit se libérer pour que le regard de la société change à leur égard, pour que cette dernière prenne toute la mesure des violences qu'elles ont subies.

Dans cette optique, élever la lutte contre les violences faites aux enfants au rang de Grande cause nationale serait un signal politique fort, à la hauteur de cet enjeu capital.

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