La Marche du Monde : À pas de Néant

La Marche du Monde : À pas de Néant

«L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde»

Depuis l’aube de la civilisation, l’humanité a été animée par une quête incessante pour comprendre et dominer le monde qui l’entoure. Cette marche du monde, en perpétuelle évolution, s’est souvent heurtée à des frontières invisibles, à des limites tant intérieures qu’extérieures, défiant nos croyances, nos systèmes et nos conceptions de l’ordre du monde. Ces frontières, loin d’être seulement géographiques ou politiques, se dessinent aussi dans les espaces immatériels où se jouent nos rêves, nos peurs et nos espoirs.

Les mythes, ces récits ancestraux qui ont façonné les sociétés humaines, nous offrent une vision saisissante de cette marche incessante, marquée par des périples au-delà des limites établies. Dans la mythologie grecque, par exemple, Prométhée, le Titan qui défia les dieux pour offrir le feu aux hommes, incarne ce désir irrépressible de transgresser les frontières du savoir et de la puissance divine, au prix de sacrifices inimaginables. Prométhée, en apportant la lumière du savoir aux humains, marque une étape importante dans l’histoire de l’humanité : celle du franchissement des limites imposées par le divin et la nature. Cependant, cette transgression révèle également les tensions entre liberté et responsabilité, un dilemme toujours vivant dans notre marche moderne.

Au fil des siècles, cette quête de l’humanité, pour repousser ses propres frontières, a pris différentes formes. L’histoire regorge d’épisodes où des peuples ont franchi des mers inconnues, découvert de nouvelles terres ou défié les ordres établis, qu’ils soient politiques, religieux ou scientifiques. La Révolution industrielle, avec sa promesse de progrès infini, en est un exemple emblématique : elle a transformé le monde, mais elle a aussi révélé les conséquences d’un système qui, cherchant à repousser les limites naturelles, a fini par épuiser la planète.

« Il faut imaginer Sisyphe heureux » Albert Camus

Aujourd’hui, alors que le système économique, social et environnemental mondial semble arriver à un tournant, nous nous retrouvons à une frontière encore plus vaste : celle des limites du système lui-même. À l’ère du capitalisme mondialisé, des technologies omniprésentes et des crises multiples (écologiques, politiques, sanitaires), nous sommes confrontés à un dilemme majeur : pouvons-nous continuer à avancer sur cette route de progrès sans considérer les limites inhérentes à notre modèle ? Les frontières du système, qu’elles soient écologiques, sociales ou idéologiques, sont-elles encore franchissables ou devons-nous réinventer un nouveau chemin ?

Ce questionnement sur la marche du monde et les frontières du système nous invite à réfléchir à un moment crucial de notre histoire, où les mythes anciens et les réalités contemporaines se rencontrent. Ils nous interrogent sur la manière dont nous choisissons de définir nos frontières et, peut-être plus important encore, sur celles que nous serons prêts à franchir pour permettre une évolution vers un avenir plus équilibré et soutenable.

Le monde d’aujourd’hui avance comme une machine essoufflée, saturée par ses propres excès. Notre modèle économique, longtemps glorifié comme une réponse universelle, vacille sous le poids de ses contradictions. Le modèle actuel repose sur un récit de domination : sur la nature, sur l’autre, sur le futur. Il promet une croissance infinie dans un monde fini, une prospérité pour tous au prix d’inégalités toujours plus profondes. Mais aujourd’hui, il montre ses failles : épuisement des ressources, crises sociales, désenchantement collectif.

« On mourait de besoin ; nous mourons de pléthore » Lucrèce 

En effet, nous avons construit un monde rapide, bruyant, saturé, un monde où la croissance linéaire a été érigée en idole. Mais cette vitesse, cette verticalité, nous a coupés du vivant, des rythmes lents de la nature, des liens profonds qui nous unissent à la terre et aux autres. À l’image du Parasite, notre économie dévore ce qu’elle habite : la planète, les ressources, les âmes. Mais, dans ce déséquilibre même, réside une promesse de transformation.

Nous sommes comme des voyageurs sur un pont qui se désagrège à mesure que nous avançons. Le modèle dominant, fondé sur l’accumulation et la compétition, atteint ses limites internes, tout comme le théorème de Gödel l’a démontré pour les systèmes formels : aucun système ne peut être à la fois complet et cohérent. Il arrive un moment où il devient incapable de répondre aux questions qu’il a lui-même engendrées.

Et si notre économie, notre vision du monde, était à l’image de ce théorème ? Nous avons construit un système puissant, mais enfermé dans ses propres règles, incapable d’imaginer au-delà de ses murs. La croissance pour la croissance, le marché comme unique arbitre, l’individu réduit à un consommateur : autant de dogmes qui semblent désormais caducs face aux défis écologiques, sociaux et humains du XXIe siècle. Le sens véritable réside peut-être hors du système.

« Je devais donc supprimer le savoir, pour trouver une place pour la croyance » Emmanuel Kant

A travers son regard lumineux et émerveillé, Pantope nous avait appris que chaque crise est un passage, chaque rupture une ouverture. Aujourd’hui, la marche du monde vacille, prise dans les rets d’un modèle économique qui s’étouffe de sa propre rigidité. Mais dans cet essoufflement, on peut voir une chance, une naissance, une possibilité de réinvention.

Ce moment d’essoufflement n’est pas une fin, mais une invitation. Il nous appelle à dépasser les cadres, à sortir de la logique linéaire qui a longtemps structuré notre monde. C’est une crise, oui, mais dans le sens originel du terme : un moment de décision, un seuil à franchir. Et pour cela, il faut faire appel à la créativité, à l’audace de nouveaux récits.

La créativité est cet espace où l’impossible devient possible, où les limites deviennent des tremplins. Elle demande de rompre avec l’évidence, de se défaire des croyances rigides pour explorer des voies inconnues. Elle invite à repenser la richesse : non pas comme une accumulation matérielle, mais comme une qualité relationnelle, un équilibre entre les humains, la nature et les générations futures.

Osons donc ! L’intégration des idées de la physique statistique, de la mécanique quantique et de la biologie dans la conception d’un nouveau modèle économique peut offrir des perspectives fascinantes et novatrices. La biologie, tout comme la physique, nous invite à repenser la prise de décision, à reconsidérer les systèmes de manière plus interconnectée, adaptative et résiliente. Un modèle économique inspiré de ces trois domaines pourrait proposer une nouvelle manière de comprendre et d’organiser l’activité humaine à une échelle globale, en reconnaissant la complexité des interactions, la nécessité de l’évolution et de l’adaptation, ainsi que la préservation de l’équilibre.

Il nous faut aussi imaginer un monde où l’économie n’est plus une finalité, mais un moyen au service du vivant. Un monde où la collaboration prime sur la compétition, où l’innovation est mise au service du bien commun, où le progrès est mesuré par le bien-être partagé plutôt que par le PIB.

Recentrons notre regard : la véritable richesse n’est pas matérielle, mais plutôt relationnelle. Une économie de la fraternité, où la valeur se mesure par le bien-être collectif, l’harmonie avec la nature, et la durabilité des liens.

« Agissez comme s’il était impossible d’échouer. » – Winston Churchill

Cette transition n’est pas facile. Elle exige de lâcher des certitudes, d’affronter l’inconnu. Mais elle est nécessaire. Car si nous restons prisonniers des limites de notre modèle actuel, nous continuerons à courir vers l’épuisement. Alors, acceptons que notre système actuel ne puisse tout contenir, et osons chercher au-delà, dans l’imprévisible, l’inédit, le vivant.

Nous ne pouvons pas changer le monde sans changer le récit que nous en faisons. Le modèle actuel repose sur un récit de domination : sur la nature, sur l’autre, sur le futur. Ce récit est épuisé. Il faut en inventer un nouveau, un récit d’interdépendance et de solidarité.

De l'excès au subtil. Excès de bruit, de consommation, de contrôle. Le subtil, c’est ce qui échappe aux modèles rigides, ce qui naît dans les marges, ce qui vibre dans l’invisible. C’est la poésie du vent dans les arbres, la douceur d’un regard partagé, l’émerveillement devant une découverte scientifique. Une écologie de l’attention.

Notre époque a besoin de ce subtil. Elle doit troquer l’arrogance d’une économie de la domination pour une économie de l’attention, une économie qui écoute le vivant au lieu de l’exploiter. Ce nouveau modèle ne peut être linéaire : il doit être organique, polyphonique, capable d’accueillir la diversité des êtres et des idées. Un modèle économique vivant, résilient et adaptatif

La Métamorphose qui nous attend est une révolution intérieure et collective. Ce n’est pas une transformation accidentelle, mais une nécessité profonde, une invitation que la réalité nous lance face à l’impasse de notre époque. Elle est l’expression d’un désir de devenir autre, de changer de peau, d’âme et de regard. Ce qui est figé doit se dissoudre, ce qui est clos doit s’ouvrir. Nous ne pouvons plus avancer dans l’ancien monde. Nous avons besoin de nous renouveler, de réinventer les règles mêmes de ce que signifie être vivant, être humain, être ensemble.

Ce n’est pas un appel à détruire, mais à transformer. À faire de ce moment de crise une chance d’inventer un nouveau pacte avec nous-mêmes, avec la planète, avec l’avenir. Nous sommes à l’aube d’un changement radical – non pas une fin, mais un commencement. Le monde, essoufflé, attend une nouvelle respiration. À nous d’imaginer comment la lui offrir.

 

“Le Verbe, quand il s’incarna, passa de l’ubiquité à l’espace, de l’éternité à l’histoire, de la félicité illimitée au changement et à la mort.” De Jorge Luis Borges

Skandre Samir

corporate banker at CREDIT DU MAROC

3 sem.

Insightful

Khalil Cherki

PhD, HR Development Manager at CGI - Groupe CDG

4 sem.

À l’ère de l’anthropocène, un équilibre de chimiste est plus que jamais requis pour brider cette course malsaine et éviter la gangrène. Emportés dans ce maelström, les protagonistes se retrouvent autour de la table des lamentations, chacun brandissant sa pile de revendications. La grande bleue ne préside plus, assujettie à l’être grégaire que nous sommes, ce causeur de troubles qui fausse toute bonne décision. De pierre et de boue, il est heureux que l’exception puisse encore défier la règle. Merci donc à ces sages téméraires qui, se jetant dans les multiples arènes, détournent nos regards du doigt accusateur pour nous sommer de prévisualiser ce demain d’effroi. Certes, les marges se rétrécissent, mais c’est sous cette pression que nous avons toujours su dissoudre nos maux dans des bassines improvisées de résilience, de foi et de chance. Puisse cette dernière nous sourire une énième fois, pour que nous abandonnions notre paresse et dépoussiérions l’humanité salvatrice qui sommeille en nous !

Rhita FELLAT

Directrice Académie Groupe chez Groupe CDG

4 sem.

Merci pour ce billet emprunt malgré tout d'espoir et d'optimisme. Merci aussi pour les superbes citations qui utilisent les bons mots dans le bon contexte.

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