La myopie managériale
Flaherty[1] relève que Peter F. Drucker pensait que « ceux qui souffrent de myopie managériale voient l’inattendu comme un phénomène anormal, alors que ceux qui sont perspicaces perçoivent l’imprévu comme un fait de culture organisationnelle ». En somme, les premiers sont réfractaires au changement. Ils sont incapables de transcender leur crainte de l’inconnu, ce qui leur fait considérer « l’inattendu » comme dérangeant leur façon d’être, d’avoir et d’agir dans l’entreprise. Ce qu’ils estiment correspondre à la « normalité » de leur vie organisationnelle. Les seconds, par contre, s’attendent à affronter l’inconnu tout au cours de leur démarche de gestion de l’activité et des affaires de l’entreprise. Non seulement cela ne les dérange pas, mais cela les dérangerait si « l’inattendu » n’advenait pas qui remette en cause leur approche managériale courante.
L’humain est, généralement, un être d’habitudes. Il se répète constamment, même en pensant se renouveler par la reprise des mêmes schèmes de changement d’attitude et de comportement. Il exècre le hasard et la nécessité qui entraîne de changer ce qui lui paraît avoir fonctionné à succès dans le passé. Il oublie, commodément, que rien ne faille plus que le succès, parce que rien n’est plus permanent que le changement[2] dans le monde de l’entreprise. D’autant que la demande du marché change constamment, ce qui exige l’ajustement des offres de la part de l’entreprise soucieuse d’y pérenniser sa présence. À vrai dire, la mission implicite de création du client suppose, au départ des offres, une capacité de service du prochain client par l’entreprise. Et le client n’attend pas un demi-service, mais une satisfaction pleine et entière de ses besoins et attentes. Le lecteur en conclura, que la mission implicite de l’entreprise ne peut que s’interpréter en termes d’optimisation des offres de cette dernière, si tant est que le client doive, lui, être satisfait au mieux (optimalement).
L’entreprise-type récuse, plus souvent qu’autrement, toute obligation de dépense sur ses opérations qui la fera accuser un retard sur la concurrence en matière de profit d’exercice. Or, l’innovation, derrière le service amélioré au client, suppose pareille dépense, avant les rivales de marché de l’entreprise, sans quoi ces dernières créeront le client en ses lieux et place. La myopie managériale, en l’occurrence, consiste, pour elle, à ne pas voir que le jeu du marché l’oblige irrémédiablement au dépassement de sa condition concurrentielle, par la prise du risque que représente fatalement l’inconnu du développement d’activité et d’affaires nouvelles. Or, les entreprises, d’ordinaire, attendent que leurs rivales aient fait le test des idées neuves, avant de suivre le « mouvement du changement ». De fait, il n’y a pas changement, mais arrimage d’offre sur celle des rivales du marché. Et donc, il y a régression sur la mission implicite de création du client, par l’entreprise qui refuse ainsi « l’inconnu du marché » par l’offre différenciée sur biens ou services propres.
L’innovation change la donne, « dans la structure d’offre des entreprises comprises dans une même industrie »[3]. Les « insiders », qui attendent que les autres fassent les frais de tout changement les premiers, vont percevoir ce chamboulement comme une menace singulière, alors que les « outsiders » qui innovent vont, eux, la percevoir comme un facteur d’importance majeure dans une réponse plus adéquate au marché.
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[1] Flaherty, J.E., (199), Shaping the Managerial Mind: How the World’s Foremost Management Thinker Crafted the Essentials of Business Success, Jossey-Bass, p. 191.
[2] Philosophe du 6ème siècle avant J.-C., Héraclite soutient que tout est en perpétuel changement. Il s’oppose à l’idée de permanence, d’essence et d’identité. Il affirme le changement absolu : malgré les apparences, rien ne demeure identique mais tout se défait et se fait constamment.
[3] Drucker, P.F., (1985), Innovation and Entrepreneurship: Practice and Principles, Harper-Collins, p. 81.