LA PRIORITE A L'ECOUTE MUSICALE

L’ECOUTE MUSICALE, POURQUOI, COMMENT ?

Marcel PINEAU

Inspecteur de l’Éducation Nationale

Août 2020

1- SITUATION

Comment écoute-t-on la musique ? Disons-le, le public n’est pas préparé.

Tout obéit à un système de répétition, c’est-à-dire qu’on applique des techniques de marketing (qui ont fait leurs preuves sur les lessives) pour imposer des chansons, souvent bêtifiantes, qui n’interrogent surtout pas l’individu. On préfère viser au plus bas, pour être sûr de maintenir un haut taux d’écoute. Plus les auditeurs seront saoulés de niaiseries et moins ils risqueront de réfléchir aux problèmes importants du moment. C'est la massification de la culture (par le bas) qui, forcément accentue les différences entre les privilégiés et les autres.

Et toutes ces musiques n’ont pas la même chance puisque pour certaines l’accès en reste pratiquement impossible : musiques électroacoustiques, musiques électroniques, musiques contemporaines en général, musiques du patrimoine, folkloriques, extra-européennes… Sauf pour la variété…

2- COMMENT EN SOMMES-NOUS ARRIVÉS-LA ?

Il faut, pour répondre à cette question, remonter aux origines de la musique.

a) Débuts du Grégorien (6ème et 7ème siècles après JC)

Le Grégorien, c’est la musique officielle de l’Église, la seule convenable à cette époque. Toute autre musique est bannie, ainsi que les instruments de musique qui sont interdits dans les lieux de culte tout comme d’ailleurs les femmes qui n’ont pas le droit de chanter. Pendant cette période, néanmoins, se développe une musique populaire, mais qui reste très en retrait au fond des campagnes.

Le nom de chant grégorien est issu d'une histoire légendaire rattachée au pape Grégoire le Grand (mort en 604). Cette attribution donnait une grande autorité à ce chant. Selon la légende, Saint Grégoire était compositeur de ce chant et fondateur de la schola grégorienne (la schola grégorienne, ou schola gregoriana en latin, est un choeur liturgique auprès du diocèse, des monastères, exécutant le chant grégorien, de sorte que ce chant historique soit conservé et promu dans la liturgie vivante).

Il doit se chanter a cappella et à l'unisson, uniquement par des voix d’hommes et sans accompagnement harmonisé

b) Le Moyen-Âge proprement dit (jusqu’en 1453, date de la fin de l’Empire Romain d’Orient)

La musique est véhiculée en priorité par les jongleurs. Le jongleur est condamné par l’Église, qui l’accuse de paganisme et de pratiques magiques. Le jongleur n’a pas d’emploi fixe. Il se déplace pour proposer ses services à domicile. Il est à la fois instrumentiste, chanteur, mime, acrobate… Il est la musique et le spectacle du corps. Il crée la musique, la porte et en organise à lui seul toute la circulation dans la société. Les consommateurs de cette musique, au Moyen-Âge, appartiennent indistinctement à toutes les classes sociales : paysans, artisans, compagnons, bourgeois, nobles… Un jongleur peut très bien jouer une nuit pour une noce villageoise et le lendemain dans un château. Le même message musical circule partout et le répertoire est le même. Les airs populaires sont joués dans les Cours, les mélodies composées pour les palais parviennent dans les villages et deviennent peu à peu des chansons paysannes. De même, ils composent leurs poèmes sur des airs villageois.

Les jongleurs jouent également de mémoire des mélodies puisées dans toute l’Europe et au Proche-Orient (amenées par les Croisades). Ils organisent ainsi la plus extraordinaire circulation permanente et la plus riche interaction entre la musique populaire et la musique de Cour.

Tout au long du Moyen-Âge, la musique reste la même au village, sur la place du marché et à la Cour des Seigneurs.

c) Du XIVème siècle au XVIIIème siècle

Tout change.

D’une part la musique d’Église emploie de plus en plus d’instruments, incorpore des mélodies d’origines populaires et cesse de puiser dans le seul fonds Grégorien.

D’autre part, les techniques de musique écrite et polyphonique se répandent dans les Cours et les éloignent de la musique du peuple. Les nobles achètent des musiciens formés dans les chœurs des églises et leur commandent des chants solennels pour célébrer leurs victoires, des chansons légères et de divertissement, des danses, etc…

En trois siècles (du XIVème au XVIIème), les Cours vont exclure les jongleurs, les voix du peuple, et ne plus écouter que de la musique écrite sur des partitions, jouée par des musiciens salariés. D’ailleurs, pour désigner un musicien, on ne dira plus « jongleur » mais ménestrel ou ménestrier (du latin ministerialis, qui signifie « fonctionnaire »). Le musicien n’est plus un nomade. Il se fixe, attaché à une Cour, un Seigneur, un Prince ou à une ville. Il vend ses services à une classe sociale unique.

Comme le système capitaliste n’a pas remplacé immédiatement le système féodal, la rupture n’est ni brutale, ni totale :

 Les musiciens de Cour continuent à puiser dans le répertoire populaire. On compose des motets ou des messes sur des chansons de rues, mais elles deviennent méconnaissables par leur complexité polyphonique.

 Le jongleur ne disparait pas complétement. Il se replie sur les villages et son statut social est diminué. Musicien ambulant, il devient ménestrier de village, souvent mendiant ou simple amateur qui sait chanter ou jouer d’un instrument (le plus souvent de la viole à bras, ancêtre du violon).

Mais la musique populaire ne reçoit pas grand-chose de la musique de Cour, dont les compositeurs écrivent exclusivement des oeuvres de commande pour les grandes occasions : mariages princiers, couronnements, victoires, funérailles, …), avec forcément des airs de louanges en direction des commanditaires.

Le musicien est donc, depuis ce temps, branché économiquement sur une machine de pouvoir, politique ou marchande, qui lui donne un salaire pour créer, ce dont elle a besoin pour affirmer sa légitimité.

De vagabond, le musicien est devenu « domestique » (Jean-Sébastien BACH, Georg-Friedrich HAENDEL, Wolfgang Amadeus MOZART, furent ainsi considérés). Et la musique se trouve désormais séparée en deux pour la première fois : musique savante et musique populaire.

d) La fin du XVIIIème siècle

Le musicien « domestique » veut représenter ses oeuvres et avoir plus de libertés.

Il comprend vite qu’il peut s’appuyer sur d’autres forces économiques que les Cours. Il veut obtenir, en tant qu’artiste indépendant, une juste rémunération de son art. Des révoltes sont célèbres : celle de MOZART contre le Prince-Archevêque COLLOREDO, qui, selon l’histoire racontée par MOZART lui-même, aurait mis dehors le compositeur en lui bottant le derrière…

Mais le pouvoir en place, qui ne veut pas perdre complétement son contrôle sur l’art musical, aide à l’ouverture de salles de concerts dans lesquelles la bourgeoisie (petite et grande) se presse comme pour prendre sa revanche sur quatre siècles de mise à l’écart.

e) La Révolution

La Convention tente, en 1793, de donner la propriété de la musique à l’État et de revenir à son contrôle par la politique bien au-delà de ce que ne fit jamais le pouvoir royal.

Avec l’Institut National de Musique, l’État Révolutionnaire a le pouvoir de décider de la production musicale, des instruments à utiliser (il privilégie les instruments à vent et les percussions).

« Pour soutenir et animer par ses accents l’énergie des défenseurs de l’Égalité, il faut interdire la musique qui amollit l’âme des Français et bannir les instruments aux sons efféminés qui ont endormi les salons et les temples consacrés à l’imposture. Nos places publiques seront désormais nos salles de concerts. » (Déclaration de la fondation de l’Institut National de Musique).

D’un côté, on rend la musique à tout le monde.

De l’autre, on lui impose une musique essentiellement patriotique et militaire.

Ce rêve révolutionnaire va vite s’écrouler. Malgré le maintien de l’Institut, sous le nom de « Conservatoire » en 1795, la musique va devenir propriété de ces « nouveaux riches » bourgeois. La bourgeoisie va organiser l’essentiel de la production musicale et de la représentation, et contrôler l’inspiration musicale tout au long du XIXème siècle. C’est le retour à la salle de concerts avec une nouvelle séparation musique savante/ musique populaire, faite cette fois-ci par l’argent, puisqu’il faut payer pour écouter.

La musique, propriétaire de la bourgeoisie, devient une représentation, un spectacle, un marchandage.

f) Le XXème siècle

La séparation s’est accentuée par le pouvoir de l’argent. Les deux types de musiques vivent indépendamment l’une de l’autre et progressent l’une sans l’autre. Elles n’ont plus rien de commun. Cet état de fait les conduit aujourd’hui à deux extrêmes :

 Une musique populaire appauvrie, qui tend souvent vers l’insipide.

 Une musique savante, hyper-savante, inaccessible exceptée par des musiciens d’élite à la fois ingénieurs et théoriciens de pointe.

L’une et l’autre ne paraissent plus pouvoir se rejoindre et pourtant elles auraient tout intérêt à ne pas s’ignorer pour survivre.

3- L’EXPERIENCE AUDITIVE DE L’ENFANT

a) L’expérience auditive prénatale

Les premières études des obstétriciens datent de 1930. On étudiait alors, sans y croire vraiment, les réactions du fœtus aux sons.

La recherche s’est aujourd’hui largement développée, aidée en cela par le progrès des techniques d’enregistrement basées sur l’utilisation des ultrasons (échographie, entre autres).

 Dans les expériences qui ont été conduites dernièrement (nous nous baserons sur les études conduites par les Docteurs KISILEVSKY, KILLEN, MUIR et LOW à New-York en 1991 sur un échantillon de 500 femmes enceintes entre le 4ème et le 7ème mois de grossesse) on a constaté que le premier environnement sonore du fœtus (fond intra-utérin) était composé en général de basses fréquences (inférieures à 250HZ- 250 vibrations par seconde : sons graves) comprenant les bruits vasculaires et cardiaques maternels, les bruits de l’artère utérine et le flux sanguin.

 Les enregistrements acoustiques révèlent que la voix maternelle, autant que les voix externes parlées près de la mère, émergent clairement des composantes du bruit de fond, au-delà de 100HZ (100 vibrations par seconde : sons très graves).

 Les voix maternelles ou autres sont légèrement distordues et atténuées dans leurs composantes aigües.

 Leurs caractéristiques prosodiques (mélodies de la voix parlée, intonations, accents) sont bien conservées.

 Les voix autres que la voix maternelle sont assez intelligibles puisque certains phonèmes et certains mots peuvent être reconnus (jusqu’à 45%).

 Il est à remarquer néanmoins que pour la voix mâle (lorsqu’elle est seule à s’exprimer) les reconnaissances de phonèmes et de mots peuvent atteindre 55% voire 60%.

 Mais c’est la voix maternelle qui reste la plus distincte et la moins atténuée (jusqu’à 70% de reconnaissance des phonèmes et de mots°.

Ceci s’explique :

 D’un côté, la voix maternelle est aérienne et donc transmise comme n’importe quel son externe.

 D’un autre côté, la voix maternelle est transmise de façon interne via les tissus et les os (qui sont d’excellents conducteurs des fréquences fondamentales, en particulier la colonne vertébrale et l’arc pelvien). Les sons sont transmis à l’enfant par les fluides qui remplissent l’oreille externe et l’oreille moyenne et par les os du crâne.

Dans les conditions normales de fonctionnement auditif prénatal, l’oreille moyenne transmet toutes les vibrations acoustiques à l’oreille interne. Les osselets se développent à partir de la 8ème semaine de gestation, le tympan à partir de la 11ème. C’est donc très tôt avant la naissance que le système auditif se met en place. On pense généralement, sauf cas particuliers, que le système est complétement fonctionnel à partir du 5ème mois de grossesse.

b) Les réactions au monde sonore

Le bébé bouge quand un bruit fort survient.

Les médecins ont constaté :

 Des réponses cardiaques (accélération ou décélération du rythme cardiaque).

 Des sursauts immédiats (faisant suite à un stimulus).

 Une activité continue.

 Un sommeil de l’activité, en cas de silence.

La présence de réponses montre également que l’enfant peut percevoir une différence entre les caractéristiques de deux locuteurs. Une réponse décélérative du rythme cardiaque est constatée :

 S’il y a émission de la voix maternelle (98% des cas).

 S’il y a émission d’une voix de femme autre que la voix maternelle (69% des cas).

 S’il y a émission d’une voix mâle pour la première fois (43% des cas). La même voix mâle provoque une décélération du rythme cardiaque dans 72% des cas à la 5ème émission.

Sur une série de 16 mots dits par la mère, on constate :

 Une réponse décélérative du rythme cardiaque pour 98% des cas.

 Une réponse d’accélération du rythme cardiaque lorsque la même série de 16 mots est énoncée aussitôt après la première émission, mais dans un ordre différent, dans 63% des cas.

 Un retour à la normale après une réénonciation des mots de nouveau dans l’ordre.

Les expériences ont été également réalisées avec des musiques organisées ou non et les résultats sont identiques. Toutes ces réponses débutent dans les 5 secondes de présentation du stimulus.

c) Que faut-il en conclure ?

La conclusion de cette étude consiste à affirmer qu’il existe (et ce, quel que soit le milieu environnant) une forme d’apprentissage qui intervient bien avant la naissance de l’enfant et qui met en place de manière définitive des sensibilités et des compétences auditives indéniables.

Plus l’enfant est exposé à une stimulation auditive prénatale, mieux il pourra appréhender le monde sonore et l’écouter.

Ainsi, il est démontré qu’un enfant qui a écouté beaucoup de musique avent sa naissance (et tous types de musiques) risque d’avoir des dispositions pour en écouter encore après. Toutes les expériences ont montré que l’enfant qui est dans ce cas éprouve le besoin d’écouter de la musique, dès ses premiers jours. La musique le calme, avec un bonus aux œuvres déjà « connues » qui font plus rapidement leur effet.

C’est la preuve que l’apprentissage prénatal que l’enfant a « subi » inconsciemment de son milieu environnant, a fait son œuvre.

4- LA PRIORITÉ À L’ÉCOUTE, POURQUOI ?

a) Le constat

Il est lourd. Nous sommes atteints de surdité esthétique.

Depuis des siècles, la société privilégie l’oeil au détriment de l’oreille.

Depuis des siècles, le savoir occidental tente de voir le monde.

« Il n’a pas compris que le monde ne se regarde pas, il s’entend. Il ne se lit pas, il s’écoute ». (in « Bruits » de Jacques ATTALI, PUF 1977).

La musique est un moyen de percevoir le monde, et à ce titre elle est un outil de connaissance. Avec les moyens modernes de diffusion, elle est à la portée de tous. Et comme elle est partout, il paraît inconcevable de laisser l’individu sans repère dans un environnement qui offre tout indistinctement, le meilleur et le pire.

Il faut donc éduquer l’oreille.

Sans éducation de l’oreille, l’enfant ne peut pas atteindre complètement le plaisir d’écouter et de produire.

b) Passer de l’acte automatique à l’acte volontaire

Pour la plupart des enfants, écouter de la musique amorce la découverte d’un langage nouveau.

L’apprentissage de la langue et l’apprentissage de la musique ont un point commun : la priorité donnée à l’écoute : écoute du monde extérieur, du milieu environnant, et ce dès le plus jeune âge.

Car comment un enfant apprend à parler ? Parce qu’il écoute les adultes, les frères, les sœurs, qui sont autour de lui. Il apprend à parler par l’écoute qu’il a des adultes et du monde qui l’entourent. Dès trois ou quatre ans, pour peu qu’on lui parle souvent et correctement, il sait utiliser une grande partie des règles élémentaires de syntaxe et de concordance des temps. Il met en œuvre un vocabulaire déjà élaboré. Il peut créer, produire ses propres phrases, alors qu’il reste pratiquement ignorant des signes de l’écriture et ne maîtrise pas les règles de la combinatoire. Et tout cela se fait très naturellement. Un père, une mère, ne disent pas « à un an, il faut que notre enfant parle, donc à partir de huit mois nous lui ferons une conversation par jour »… Fort heureusement, ils lui parlent tout le temps, même s’ils pensent que l’enfant ne les comprend pas. C’est par cette imprégnation, par ce « bain de langage » que l’enfant apprend à parler.

De même que baigner dans le langage construit sa langue, c’est par l’écoute que va s’effectuer l’éducation de son oreille. Et c’est en baignant dans le langage des sons (donc en écoutant de la musique) qu’il va se repérer dans le monde sonore.

C’est en écoutant que l’enfant construit son savoir, d’abord en imitant, puis en s’appropriant les différentes méthodes, les différents outils, afin de les mettre en oeuvre dans ses propres productions.

Il faut donc l’entraîner à différencier deux actes complémentaires :

 Entendre : acte automatique.

 Écouter : acte volontaire.

Toute la difficulté de l’enseignant étant d’amener l’enfant à passer consciemment de l’un à l’autre.

Écouter de la musique à l’école consiste donc dans un premier temps à amener l’enfant à passer de l’acte automatique d’entendre à celui, volontaire, d’écouter, de même qu’on atteint au plaisir de lire et d’écrire par une sensibilisation, une imprégnation, un apprentissage et un acte volontaire.

L’acte volontaire, c’est porter attention à ce qu’on entend. C’est sélectionner une information dans un ensemble de stimulations auditives. C’est le même processus adopté

par l’oeil, qui, d’un ensemble observé, va « zoomer » sur un détail qui l’intéresse. Nos yeux font cela des centaines de fois par jour. L’oreille en est aussi capable. La prise de conscience de l’écoute spécifique d’une source conduit l’enfant de l’acte automatique à l’acte volontaire. Et la familiarisation au langage des sons et des rythmes va lui permettre d’apprendre à écouter et à s’exprimer et à créer par leur moyen, et aussi à lui faire prendre conscience de manière permanente de ce qu’on lui donne à écouter, à juger, à faire des choix.

Car plus nous vivons dans un monde bruyant, moins nous écoutons et plus notre écoute devient passive. Prenons l’exemple de la musique imposée dans les grandes surfaces : elle n’est pas du tout innocente parce qu’elle est conçue avec des professionnels psychologues pour endormir la vigilance du consommateur, afin de lui faire perdre sa capacité de décision pendant qu’il déambule dans les grands magasins ou dans les grands centres commerciaux.

c) Enseignement musical ou sensibilisation à la musique : le rôle de l’école

Ne nous y trompons pas ! Le rôle de l’école n’est pas de fabriquer des instrumentistes, encore moins des théoriciens de la musique. Laissons cela aux Conservatoires et aux Écoles de Musique, dont ce sont principalement les missions. Le rôle de l’école n’est donc pas d’enseigner la musique mais d’y sensibiliser les enfants de telle sorte qu’ils écoutent et aient envie d’écouter davantage.

Il faut une bonne fois pour toutes abandonner certaines idées reçues comme quoi on doit absolument connaître le code (le solfège) pour appréhender la musique. C’est la conception, il est vrai, des Conservatoires et des Écoles de Musique : « tu feras un an (voire deux ans) de solfège, ensuite tu apprendras à jouer d’un instrument et, si tu as le temps, tu écouteras de la musique… »

C’est exactement comme si on apprenait à lire à un enfant avant de lui apprendre à parler.

Apprendre le code n’est pas utile pour appréhender la musique, mais apprendre à écouter est indispensable.

Mais sans aller très loin, en restant dans l’Éducation Nationale, on peut trouver le même type d’aberrations. Prenons les ouvrages avec lesquels les enseignants des collèges apprennent à jouer de la flûte à bec et recommandés par les Professeurs de musique (Musicollège », éditions Van De Velde)- il existe toute la série de la 6ème à la 3ème. Que trouve-t-on en exergue : « Pour comprendre la musique, il faut la pratiquer et conduire les apprentissage dans un rythme allègre d’acquisition. Pour pratiquer la musique, il faut travailler et mémoriser des tournures rythmiques et mélodiques pour aboutir à la lecture et rôder les enchaînements digitaux pour mieux maîtriser l’instrument. » Et seulement après toutes ces recommandations, on trouve « pour aimer la musique, il faut aussi l’écouter ». Il est bien clair que l’écoute n’est pas une priorité pour cette méthode. Écouter vient après des apprentissages fastidieux et seulement si l’on veut.

d) Éduquer l’oreille, pourquoi, comment ?

Les réponses à ces questions sont liées et peuvent se traiter en interaction.

Pourquoi ? On le sait. Nous l’avons déjà largement évoqué.

Comment ? Il s’agit ici de trouver des activités et des prétextes pour faire entrer l’enfant dans un art qui ne lui est pas forcément familier.

 D’abord, il faut dédramatiser la relation entre l’enseignant de l’école primaire et la musique.

Oui, dé-dra-ma-ti-ser !!! On constate, à l’école, que les activités musicales sont souvent reléguées en fin de journée, ou servent à boucher les trous d’un emploi du temps, il est vrai, déjà très chargé. Plus d’un siècle après avoir été introduit dans les programmes officiels, l’enseignement de la musique n’a jamais vraiment rempli la mission qui lui incombait. Non que son intérêt en soit discuté, mais il paraît présenter des difficultés pour les enseignants des écoles. Quelques-uns, en dépit de leur réel goût pour la musique, prétendent qu’ils ne sauraient enseigner un art réservé, leur semble-t-il, à de très rares

élus. D’autres, considèrent avec méfiance, hostilité même, une discipline qui souligne chez eux une incapacité ou une ignorance. Alors que faire face à cette situation inquiétante ? Faut-il simplement, comme nous le faisons actuellement, encourager l’enseignant qui pêche souvent par modestie, le persuader qu’il méconnaît les possibilités de son jeune auditoire et qu’il doit mener ses élèves à la beauté de cet art ? Ne faut-il pas plutôt rassurer les enseignants, leur donner les moyens pédagogiques d’aborder ces notions par des activités simples dans lesquelles ils sont tout à fait compétents ? Ne faut-il pas, à cette occasion, recentrer l’éducation musicales dans une éducation globales, en faire la plaque tournante des autres disciplines ? Il faut démontrer aux enseignants qu’ils sont tout à fait compétents pour mettre en œuvre une véritable pédagogie de sensibilisation musicale à partir de la priorité donnée à l’écoute.

pas besoin de compétences propres, de technicité, de spécificité, juste un peu de pratique d’écoute, une simple préparation de séquence. L’enseignant le fait pour tout autre chose, littérature, sciences, histoire, … Pourquoi pas pour la séquence d’éducation musicale ?

Le rôle des formateurs est ici pleinement concerné par le problème. Je pense qu’il n’est pas nécessaire de perdre du temps avec des activités que l’enseignant pratique (et pratique bien) depuis des années. Par exemple, il me semble vain de ressasser tous les ans les vertus (indéniables, d’ailleurs) du chant en classe et de réexpliquer sans cesse comment mettre en œuvre son apprentissage. Il est plus urgent aujourd’hui de former les enseignants à la pratique de l’écoute. Et d’ailleurs, écoute-t-il lui-même ?

Il me semble inutile de consacrer de l’énergie à animer des conférences pédagogiques sur ce que les enseignantes et les enseignants savent faire et savent bien faire. Aidons-les plutôt à organiser des séquences d’écoute active.

Oui, dé-dra-ma-ti-ser !!! Ne pas connaître le solfège n’a jamais été un obstacle pour l’enseignant de l’école primaire. N’être pas grammairien, ni écrivain, n’a jamais entravé une bonne pédagogie de l’enseignement de la langue. N’être pas scientifique n’a jamais nui à une bonne pédagogie de l’enseignement des mathématiques.

Oui, dé-dra-ma-ti-ser !!! Il faut rendre à l’enseignant des écoles son rôle premier. Nous devons le convaincre que, lui seul, reste le mieux placé pour initier, enseigner et donner le plaisir d’écouter. C’est lui qui accompagne l’enfant tout au long de la journée et de l’année scolaire, qui rythme les temps d’apprentissages. Il sait donc, mieux que n’importe quel intervenant, intégrer ces activités dans la vie scolaire, au meilleur moment du vécu de l’enfant et de sa pédagogie.

Oui, dé-dra-ma-ti-ser !!! En s’appuyant sur les Instructions Officielles, en les expliquant, en les accompagnant pédagogiquement. Il est certes facile pour certains de réduire les objectifs nationaux au seul « enseignement de la musique ». Jusqu’à la publication des premiers textes sur l’éducation artistique à l’école, qui aujourd’hui sont devenus partie intégrante de l’Éducation Artistique et Culturelle, on pouvait aisément les interpréter dans ce sens. Notons néanmoins que dans tous les textes, on rappelle les bienfaits de la musique. Avant les textes de 1993, on faisait de l’écoute, l’ultime activité à entreprendre en éducation musicale. Pour une raison bien simple, c’est qu’on n’avait rien à proposer de concret aux enseignants pour conduire de véritables séquences d’écoute active. Et puis, était-on convaincus que cela aurait servi à quelque chose ???

Nous étions restés sur l’image, bien fausse d’ailleurs, de la séance d’audition de disque qui se résumait à l’écoute intégrale d’une oeuvre, sans commentaire, sans objectif autre que celui d’écouter statiquement, ou de « sonoriser » une autre activité, arts plastiques par exemple. Comme si la musique ne se justifiait pas dans une action propre. Comme si elle devait forcément être le support d’autre chose. On sent bien, au fil des textes officiels et des années, une certaine prise de conscience du rôle-outil de l’oreille. Peu à peu, on précise la fonction des activités d’écoute et leurs contenus. Enfin, on peut lire qu’apprendre à écouter son environnement, analyser des informations sonores, sont des apports très précieux de l’éducation musicale ; mieux, qu’il faut privilégier

l’écoute. Dès 1993, l’ouvrage « l’éducation artistique à l’école » du Ministère de l’Éducation Nationale, il était donné des éléments concrets de l’organisation de l’écoute en classe. C’était encore limité mais l’action était engagée et les objectifs bien définis.

Le solfège et la pratique musicale (je ne parle pas de création instrumentale) ne sont pas dans les priorités de l’école. Initions les enfants, donnons-leur le goût de la musique et dès leur plus jeune âge, faisons-leur écouter tout, du chant grégorien à la musique électro-acoustique et, si possible, apprenons-leur, au plus tôt, la pratique sociale du concert.

 La pratique de l’écoute active

La démarche qui paraît la plus cohérente, en éducation musicale, est de commencer par écouter. Grâce à cette activité, l’enfant élabore un travail de discrimination auditive, de repérage dans l’espace et le temps, utilisant et assimilant les paramètres du son bien avant d’en connaître les signes conventionnels. Puis, loin de la simple imitation ou « à la manière de », il peut produire, projetant sur sa propre création les techniques et les principes qu’il se sera approprié au cours de ses écoutes. À partir de là tout est possible.

L’œuvre écoutée est un contexte à partir duquel on travaille (tout comme un texte est un contexte dans lequel on puise telle ou telle phrase pour travailler dessus).

L’initiation au rythme est d’autant plus aisée qu’un travail peut être conduit en relation avec l’œuvre écoutée. L’apprentissage du rythme se réfère donc au contexte. Il paraît alors inconcevable de mettre en place des séances exclusives sur le rythme s’il n’y a pas eu comme préalable la connaissance ou l’étude de l’œuvre qu’il structure.

Le chant trouve son aboutissement dans cette dynamique. Il est en relation directe avec l’œuvre écoutée : réinvestissement du thème mélodique ou du thème rythmique.

Et puis, l’enfant s’exprime, crée, avec sa voix ou avec des instruments. En classe on préfèrera « l’instrumentarium ORFF » composé de percussions mélodiques et rythmiques, plus simples pour les enfants car les sons sont exacts et n’ont pas besoin d’être fabriqués, contrairement à la flûte à bec, par exemple, qui pose de réelles difficultés de maîtrise gestuelle, de souffle et de justesse de son.

En fait, les enfants peuvent tranquillement intégrer sur les trois cycles des notions simples, progressives et cohérentes, leur permettant d’aborder toutes les activités propres à l’éducation musicale, le chant, le rythme, la reconnaissance instrumentale, la création, la connaissance du patrimoine, et tout cela à partir d’activités dans lesquelles l’écoute est primordiale.

Vaste champ d’investigation, la pratique de l’écoute doit être un point de départ à l’éducation musicale. Si pour les enfants des cycles I et II, l’écoute du milieu environnant est capitale, on peut, au fur et à mesure de cette initiation sonore, arriver pour le cycle II et puis pour le cycle III à une pratique active d’auditions. L’enseignant veillera à ce que les extraits proposés soient d’une qualité incontestable et que les temps d’écoute correspondent au degré d’assimilation de ses élèves. En effet, au-delà de 8 à 10 minutes consécutives, l’attention n’est plus très soutenue. Des extraits de 3 à 5 minutes sont, au départ, d’une meilleure efficacité.

Dans la démarche pédagogique préconisée ici, l’enfant est mis en véritable situation de découverte. L’enseignant, après une première audition, anime le débat, fruit des observations de ses élèves. De ces observations individuelles naît une observation collective, celle de la classe, que l’enseignant ordonne et dont il fait la synthèse.

Il transmet également (et ceci est un composante importante des derniers textes officiels) la dimension culturelle du savoir musical. En effet, on, n’accepterait pas qu’un enfant entrant au collège n’ait pas lu tel ou tel auteur français ou étranger, mais on tolère qu’il n’ait jamais écouté un extrait de la musique de tel ou tel compositeur.

Enfin, l’activité d’éducation musicale peut être l’occasion d’aborder d’autres champs disciplinaires. L’histoire, les sciences, la littérature, les arts plastiques sont autant d’ouvertures ou de prolongements possibles. Ainsi intégrée, la musique joue pleinement son rôle culturel et, comme pour le langage, est un bain dans lequel l’enfant se meut, se perd, se retrouve, pour finalement dégager ses repères avec un plaisir sans cesse renouvelé.

5- QUELQUES PISTES

a) Libérer l’individu et l’enfant du visuel

C’est un fait, ce monde privilégie tout ce qui est visuel.

Qu’on pense à la télévision et la musique qui sous-tend les publicités.

Qu’on pense au cinéma et à la musique qui sous-tend les actions des films.

Qu’on pense aux chanteurs, aux groupes, qui privilégient la mise en scène (donc le visuel) au détriment de la qualité musicale. Qu’on pense aux succès des clips vidéo.

Avec quelques collègues motivés, j’ai testé un certain nombre d’expériences…

 Nous avons fait écouter à des enfants de cycle III (CM1) la « valse de la 2ème suite de jazz » de Dmitri CHOSTAKOVITCH (compositeur Russe 1906-1975). Immédiatement les élèves ont pu dire qu’il s’agissait d’un publicité, présentant une naissance à des époques différentes (Caisse Nationale de Prévoyance). Dans ce cas précis, ils ont parfaitement assimilé la musique à la publicité en question. Ils l’ont retenue et ont pu, dans un second temps, y associer les images, sans hésitation. On pourrait dire : « c’est très bien, le message est passé. Ici, l’image n’a pas été plus privilégiée que la musique. »

De quoi se plaint-on alors ?

Certes, la musique a été mémorisée. Mais quelle est cette musique ? Nous retrouvons dans ce cas la même démarche que celle utilisée dans les grandes surfaces. Les concepteurs de cette publicité (CNP) n’ont pas utilisé cette œuvre par hasard. Nous avons quelques explications de l’agence qui a élaboré ce clip (agence HAWKES et SON de Londres). En fait, la relation entre l’image et la musique a été déterminée par la notion de cycle. Cycles de la vie, cycles du temps qui passe. Il fallait une forme cyclique et on a choisi cette valse, cette danse au mouvement rotatif ou tournant qui peut se répéter à l’infini. Ensuite, pourquoi cette valse-là ? Pour deux raisons. D’abord parce qu’il était exclu de puiser dans le répertoire viennois des STRAUSS, trop connoté « aristocratie et grande bourgeoisie » pour un produit qui se veut populaire. Et puis, parce que, à produit contemporain, il fallait y associer un compositeur contemporain, tout au moins le plus proche possible de nous. De plus, il était souhaitable de rester dans la musique « la plus savante possible » afin d’insister sur le côté sérieux du produit. Résultat : plus de 30 000 contrats nouveaux ont été conclus par la CNP dans les deux mois qui ont suivi la première diffusion de cette publicité. Autre résultat : la maison de disque DECCA s’est empressée d’enregistrer un CD avec les 2 suites de jazz de CHOSTAKOVITCH, en reprenant en couverture une photo tirée du clip et avec l’annotation « musique du film publicitaire CNP » (couverture sur laquelle on ne retrouve même pas le nom du compositeur). Dans les mêmes deux mois, 150 000 de ces CD ont été vendus. Un record, quand on sait qu’un CD de « musique classique » est un succès aux alentours de 5 000 ventes !

Dans cet exemple il faut être conscient du fait que rien n’est innocent. La musique de CHOSTAKOVITCH ici, n’a servi que de faire-valoir. Néanmoins des milliers de gens ont découvert ses oeuvres et son nom (s’ils ont ouvert le livret à l’intérieur). Et enfin, si les enfants ont bien mémorisé cette musique, c’est qu’elle était accompagnée d’un autre message. Aucun commentaire durant la publicité, si ce n’est le slogan terminal. L’image a été traitée ici au même niveau que la musique. L’un allait forcément avec l’autre en pleine complémentarité. Ce qu’il faut ajouter pour ces élèves, c’est l’aspect culturel. À l’occasion d’un tel travail, il a été précisé de qui était la musique, à quelle époque elle avait été écrite et surtout les élèves ont écouté l’œuvre en entier (la valse dure 3 minutes 41 secondes, alors que la publicité n’en diffuse qu’une minute).

Nous avons reconduit l’expérience avec d’autres publicités, différentes au niveau de la conception, pour lesquelles la complémentarité n’avait pas été spécialement recherchée. Le message qui reste dans ces cas-là chez l’enfant est celui de l’image, exclusivement. L’exemple de la publicité « Ajax » avec la musique Carmen de George BIZET est intéressant. Il a fallu retourner l’écran pendant la diffusion du clip pour que les enfants repèrent la musique.

Ces expériences peuvent être facilement conduites en classe (cycles II et III). Elles amènent l’enfant à prendre conscience de l’importance qu’à le visuel sur le sonore, de la priorité donnée à la vue par rapport à l’ouïe et de l’effort à faire pour retourner la tendance. Elles l’entraînent également à avoir une attitude critique par rapport à ce qui lui est présenté.

Pour l’enseignant, la préparation de telles séances ne demandent pas de compétences spécifiques en musique. Il suffit de faire un enregistrement sur n’importe quelle chaîne de télévision entre 20h30 et 21h pour récolter un nombre important de publicités utilisant toutes sortes de supports sonores (musiques populaires et savantes).

 À partir du cinéma

Les objectifs sont les mêmes que précédemment. La démarche pour y parvenir est identique. Nous avons utilisé un film que les enfants connaissent parfaitement, qui fait désormais partie de leur culture « Les Visiteurs » (premier film).

Au cours d’une première séance, nous avons fait écouter à une classe de CM2, située en REP, 5 minutes du premier mouvement du « Concerto pour violon et orchestre en mi mineur » de Félix MENDELSSOHN. Nous avons ensuite échangé sur ce que les enfants avaient perçu. Nous les avons amenés à repérer l’instrument soliste (le violon) par rapport à l’orchestre. Nous avons ensuite écouté de courts extraits d’œuvres dans lesquelles le violon et d’autres instruments à cordes frottées intervenaient diversement (jazz, musique traditionnelle arabe, autres concertos romantiques, etc…)

Au cours d’une deuxième séance, nous avons projeté la dernière scène du film « Les Visiteurs ». Nous avons sollicité les commentaires. Les enfants ont raconté ce qu’ils avaient vu et resitué la scène par rapport au reste du film et de l’histoire. Aucun commentaire sur la musique.

Nous leur avons proposé de repasser l’extrait mais en retournant l’écran afin de les libérer du visuel. Sourires, interrogations…

Et là, à peine 15 secondes après le démarrage de l’extrait, stupéfaction des ¾ de la classe : « cette musique c’est celle que nous avons écouté la semaine dernière, le Concerto pour violon de MENDELSSOHN ».

Cet exemple a permis aux élèves de prendre conscience que leurs oreilles pouvaient aussi travailler seules, sans le support de l’image. Cette étape est capitale. Elle va conduire l’enfant vers une meilleure perception et une meilleure discrimination auditive.

Ce même travail a été conduit avec des enseignants au cours de conférences pédagogiques avec les mêmes résultats.

b) Prendre conscience du milieu environnant

 Selon notre lieu d’habitation, son agencement intérieur, l’harmonie familiale, notre mode de déplacement, l’activité exercée (usine, bureau, école, chantier, commerce, agriculture, …), notre âge, nos loisirs, nous traversons une succession impressionnante de bruits et de sons (sollicitations sonores) qu’on peut classer en quatre catégories :

- les bruits et les sons qui procurent du plaisir : musiques choisies, chants d’oiseaux, voix agréables, bruits et sons rappelant de bons moments…

- les bruits et les sons tolérés par nécessité : les nombreux moteurs d’électroménagers ou de véhicules divers, …

- les bruits et les sons utiles à la vie en raison des renseignements qu’ils donnent et qui leur sont spécifiques : réveil, téléphone, signaux permettant de localiser et d’identifier les activités des personnes de l’entourage et extérieures à l’entourage (pompiers, police, commerçants ambulants, sirènes, …)

- les bruits et les sons provoquant un déséquilibre physiologique et nerveux, une souffrance et voire même des traumatismes à vie : bruits d’engins de type « marteau-piqueur », bulldozers, circulation routière intense et incessante, circulations ferroviaires et aériennes intenses et continues, sonorisations puissantes, …

Une exposition pendant seulement quelques minutes à un volume sonore de 110db peut détériorer durablement les organes auditifs.

 Des expériences

- C’est connu, les familles qui vivent près des voies de chemin de fer, finissent par ne plus entendre les trains. Nous parlons des lignes sur lesquelles il passe plus de 50 trains par jour (et nuit). C’est très courant, en particulier sur les lignes de banlieues au bord desquelles on a construit des kilomètres de grands ensembles. Lorsqu’on interroge ces familles, elles affirment que tout va bien et que ces bruits, qui interviennent régulièrement dans le temps, font partie désormais de leur univers sonore et c’est comme s’ils n’existaient pas. Certes…

On a envoyé un certain nombre de ces personnes en vacances, pendant 15 jours, à la campagne, pas de route à proximité, pas de ligne de chemin de fer, pas d’aéroport … Le calme absolu. Résultat : 98% de ces personnes ont perdu le sommeil. Et au bout de 15 jours 55% d’entre elles présentaient des signes de comportements dépressifs.

Pourquoi ? Tout simplement parce que ces bruits sont parties intégrantes de leur vécu. L’inconscient l’a intégré complètement et a fini par les occulter définitivement de leur conscient. L’individu n’est plus conscient du bruit du train quand il l’entend. En revanche, il en prend de nouveau conscience quand il ne l’entend plus.

On assiste là à situation très grave que les experts appellent le renversement perceptif, qui consiste à perdre la conscience d’un signal et à ne plus répondre à une sollicitation (qu’elle soit sonore, visuelle, tactile ou olfactive), sauf dans les cas où elle manque. Une trop grande dépendance à certains bruits conduit inévitablement l’individu vers une surdité partielle inconsciente.

- On a observé des enfants vivant dans des cités proches des périphériques et des grandes voies autoroutières de la banlieue parisienne. On arrive aux mêmes conclusions que précédemment, mais plus particulièrement, concernant le bruit des moteurs de voitures et de camions. Dans le cadre d’une visite de Paris, à laquelle 60 enfants de 7 à 10 ans ont été conviés, on a constaté que 90% d’entre eux n’entendaient pas le bruit des moteurs des véhicules lorsqu’ils traversaient une rue. Pire, pour la quasi-totalité d’entre eux, le fait de ne pas regarder forcément du bon côté avant de traverser, constituait un réel danger puisque le sonore était incapable dans ce cas-là de suppléer la carence du visuel.

Il est donc capital d’insister sur les sollicitations sonores du milieu environnant, d’amener l’enfant à en prendre conscience, à les repérer, à les découvrir et aussi pour certains, à les redécouvrir. Ce peut être vital et c’est la meilleure garantie pour lutter contre un éventuel renversement perceptif.

c) L’étude du milieu environnant sonore

Ce travail (qui peut être conduit sur les trois cycles), nécessite un appareil enregistreur. Il s’agit d’une sortie en forêt au cours de laquelle on va enregistrer tous les bruits du milieu environnant. Les consignes sont simples : être attentif au moindre bruit, et en repérer un

ou deux pour vérifier par la suite s’il(s) se trouve(nt) sur l’enregistrement. Il s’agit donc de marcher dans la forêt, s’arrêter, écouter les bruits de la natures, mémoriser ces bruits.

Lors du retour en classe, l’enseignant fait la synthèse de ce qui a été retenu. Il note les propositions des enfants et demande à les enfants de les coder. On peut également conduire une recherche de reproduction de ces bruits avec la bouche, les percussions corporelles ou des instruments présents dans la classe. Puis on fait écouter l’enregistrement pour vérifier si les bruits proposés sont bien présents.

On remarque que les enfants ont mémorisé ou ont le souvenir des bruits proches d’eux. Ils n’ont pas porté attention aux bruits les plus lointains (ils ont repéré le chant d’un oiseau proche, mais pas le bruit sourd de l’avion passant à haute altitude). Il est essentiel de le faire remarquer.

Quelques temps après, on propose une autre sortie en forêt, dans les mêmes conditions et avec la même démarche. De retour en classe on analyse l’enregistrement.

On remarque cette fois-ci que les enfants ont davantage porté leur attention sur les bruits éloignés et ont délaissé les bruits les plus proches.

C’est logique et cela prouve que l’enfant a mis en œuvre sa capacité à affiner son écoute, qu’il est capable de faire des choix dans le milieu sonore environnant. Tout naturellement, nous l’avons fait passer de l’acte automatique d’entendre (première sortie) à l’acte volontaire d’écouter (seconde sortie).

On peut utiliser la même démarche lors d’une promenade en ville.

d) L’activité d’écoute, analyse ou non ?

Faisons écouter une œuvre musicale aux élèves. Sans aucune consigne préalable. Que constatons-nous ? Les enfants miment dès les premières secondes d’audition, les instruments qu’ils imaginent producteurs de sons : violon, en faisant glisser un archet virtuel sur leur bras, guitare, en imitant le geste du gratteur de cordes, piano, en frappant les doigts sur le bord de la table, etc…

Quelle signification peut-on donner à ces représentations ? Il s’avère que l’enfant se trouve déjà, qu’on le veuille ou non et souvent sans qu’on l’y ait incité, en phase d’analyse. Il imagine, il interprète, il suggère. Il écoute, et son écoute est immédiatement traduite par une traduction gestuelle. C’est son langage, à défaut de tout autre qui ne lui a pas encore été inculqué.

Ce qui tend à prouver que l’analyse, avant d’être instituée ou institutionnalisée, est automatique, innée et se réalise dans l’instant. Elle peut conduire à de fausses représentations, certes. Mais nous sommes ici en fait en pleine démarche scientifique, qui fonctionne par allers et retours entre l’essai et l’erreur, et qui, comme l’indique Philippe MERIEU « amène l’enfant à construire petit à petit des représentations de moins en moins fausses de la réalité ou de la vérité scientifique ».

Cet exemple est tout aussi valable pour l’adulte qui écoute une œuvre musicale. Il aime ou il n’aime pas. Mais contrairement à l’enfant, la traduction du plaisir d’écouter (ou du non plaisir) ne revêt pas les mêmes formes. Elle est plus intérieure et s’exprime plus difficilement, tout au moins de manière spontanée. Pourtant, lorsque nous aimons une œuvre qui éveille en nous une forte émotion psychique, lorsque nous éprouvons un réel plaisir à son écoute, bien que nous n’en soyons pas conscients, nous l’analysons forcément.

Qu’est-ce qui provoque un tel bonheur ou une telle aversion ? Est-ce le fruit de l’écoute globale de l’œuvre ? Non. Il n’existe pas d’écoute globale, tout comme on ne regarde jamais globalement un tableau, mais un détail, qui justement excite notre intérêt, nous émeut. En musique, nous sommes dans une situation identique. C’est la mélodie, la chaleur des cordes, le rythme des contrebasses, le timbre des choristes, la richesse de l’orchestration, etc… qui nous touche ou nous déplaît. Même si nous ne pouvons pas toujours l’exprimer. Nous nous engageons dans l’écoute d’une œuvre comme quand nous nous engageons dans la lecture d’un roman. Et si nous atteignons un réel plaisir, arrêtons de dire qu’il fonctionne seul, sans règle préalable, sans apprentissage, souvent

inconscients, sans attention particulière, sans construction d’un savoir, souvent involontaire.

e) Exemples

 2ème mouvement de la symphonie n°94 « La Surprise » de Joseph HAYDN (compositeur Autrichien 1732-1809)

La première écoute du thème doit se faire sans consigne préalable.

Elle va amener les enfants à prendre conscience de ce qu’est la variation en général, pour les inciter à mettre en œuvre ce type de fonctionnement musical dans leurs propres productions.

Mais, dans un premier temps, nous allons aborder, nécessairement, la notion d’intensité, puisqu’un accord forte (dire « forté ») vient perturber, sans qu’on s’y attende (pour celui qui ne connaît pas l’œuvre) un thème joué piano (très doucement). L’analyse peut très bien en rester là. Dans ce genre de travail, il faut être le plus modeste possible, et surtout ne pas multiplier les contraintes d’écoute. Il est toujours plus efficace d’aborder une notion en situation et en une seule fois.

Cet exercice a été conduit en GS de maternelle. Et désormais, lorsqu’on fait réécouter cette oeuvre aux enfants, dès les premières mesures ils la reconnaissent et se préparent à l’accord « forte ». Certains, plus de la moitié de la classe, sont capables d’indiquer exactement à quel moment il intervient.

Bien sûr, on peut aller plus loin. Pour des élèves de cycle III, on va travailler sur les trois premières variations. Le thème principal étant repris en accompagnement ou en contrechant, on peut amener l’enfant à essayer de le suivre malgré la mélodie de la variation. C’est un exercice que les enfants réussissent bien et qui les entraîne à sélectionner une information sonore et à tendre vers une écoute analytique.

 Deuxième mouvement de la 8ème symphonie de Ludwig Van BEETHOVEN (compositeur Allemand 1770-1827)

Le centre d’intérêt dans cette œuvre est la prise de conscience de la notion de pulsation. Il est important d’amener les enfants (et avant eux les enseignants) à différencier pulsation et rythme.

Ici la pulsation est nettement marquée et perceptible. On demande aux élèves de la suivre. On fait percevoir la notion de régularité instituée par la pulsation. Pour les enfants plus âgés, ont peut indiquer que ce mouvement de symphonie est un hommage de Ludwig Van BEETHOVEN à Johann Nepomuk MAELZEL (1772-1838), l’inventeur du métronome.

En activités annexes, un travail sur la reproduction de la pulsation peut être conduit en frappés de mains ou sur des percussions sèches (non mélodiques).

 Troisième mouvement de la 1ère symphonie de Gustav MAHLER (compositeur Allemand 1860-1911)

Il s’agit ici d’entrer dans la musique par ce que les enfants connaissent déjà : les chansons enfantines.

On va donc amener les élèves à être attentifs au thème principal de cet extrait. Après la première écoute, les enfants reconnaissent le thème de Frère Jacques. Alors que des enseignants en animation pédagogique, ne le reconnaissent pas toujours du premier coup.

Car quelque chose gène. Ce n’est pas exactement la même chose que le chant qu’ils ont l’habitude de chanter : c’est plus lent, plus triste. Il n’est pas inutile, même pour des élèves de cycle II, de faire remarquer la différence de tonalité, sans insister sur ce terme (mineure, alors que le chant est en

tonalité majeure). Chez Gustav MAHLER, il y a un effet de tristesse, de mélancolie, la tonalité est mineure. Dans la chanson « Frère Jacques », il y a un effet de joie, de clarté, la tonalité est majeure. Ce sont deux « couleurs » musicales différentes.

On peut faire chanter la chanson dans la tonalité mineure utilisée par le compositeur. On peut faire prendre conscience de la manière dont les différents instruments interviennent et comment ils respectent la règle du canon. On peut faire repérer la petite ritournelle du hautbois. Le hautbois intervient deux fois. Les enfants indiquent rapidement par un signe quand elle commence et quand elle se termine. C’est l’occasion de chanter (ou de rechanter) « Frère Jacques »..

On peut également faire rechercher sur quelle phrase musicale le canon « Frère Jacques » commence le premier motif du hautbois. Une fois le chant et la mélodie bien en tête, commencer le chant avec l’entrée de la contrebasse et le continuer intérieurement jusqu’au moment de l’intervention du hautbois.

L’intériorisation du chant est une condition indispensable à une bonne écoute et de plus, cet exercice permet de vérifier si l’enfant a bien perçu. Cet exercice est difficile et n’est pas réussi du premier coup car il met en œuvre deux actions : écouter l’œuvre et chanter intérieurement. Néanmoins, il est tout à fait réalisable dès la GS de maternelle.

 « La Mère Gigogne et les Polichinettes », extrait de « Casse-Noisette » de Piotr Illitch TCHAIKOVSKY (compositeur Russe 1840-1893)

Comme pour l’œuvre de Gustav MAHLER, on fait entrer l’enfant dans la musique par ce qu’il connaît déjà : la chanson enfantine. Il existe, dans l’histoire de la musique, un nombre considérable d’œuvres de toutes époques dans lesquelles les compositeurs se sont inspirés de chansons enfantines. C’est une mine pour les enseignants. Ici, il s’agit de la chanson « Cadet Rousselle ».

Dans cette œuvre on va pouvoir remarquer la structure de l’extrait. L’orchestre joue une introduction très dansante, très rythmée, puis énonce plus lentement la mélodie de la chanson « Cadet Rousselle », et reprend en conclusion la partie du début. On fait prendre conscience que la musique, tout comme un texte, s’organise. La mélodie de la chanson « Cadet Rousselle » est reconnue dans toutes les classes, quel que soit le niveau et le milieu environnant. Il y a toujours, même en REP, avec des foyers de nationalités diverses, un enfant qui connaît la chanson ou pour qui cela évoque quelque chose.

Les élèves remarquent également le changement de rythme entre l’introduction, la partie centrale et la conclusion. Le rythme très particulier dans lequel est jouée la mélodie est une valse à trois temps. Les instruments qui accompagnent sont des cordes frottées avec des questions-réponses entre cordes et bois.

C’est l’occasion, si les enfants ne la connaissent pas complètement, d’apprendre cette chanson.

 Chœur à bouche fermée dans l’opéra « Madame Butterfly » de Giacomo PUCCINI (compositeur Italien 1858-1924)

Faisons écouter ce chœur aux élèves et demandons-leur ce qu’ils ont repéré.

Il sera question d’un instrument soliste (le violon) et de voix, mais qui « ne chantent pas normalement » (dixit des élèves de GS de maternelle).

En fait l’enfant identifie bien de quoi il s’agit. Il suffit de l’inciter à rechercher comment les voix peuvent fonctionner pour qu’il découvre ce qu’il se passe dans cet extrait : les bouches sont fermées.

On peut faire chanter une chanson connue des enfants en utilisant ce principe de bouche fermée. Grâce à cet exercice, on leur fait prendre conscience des divers résonateurs qui sont mis en oeuvre lorsqu’on chante ainsi (voute palatine, os du crâne), qui sont différents de ceux utilisés lorsqu’on chante bouche ouverte. Ce sont les vibrations constatées lors de l’émission sonore à bouche fermée qui feront prendre conscience de ces différents résonateurs.

f) La liaison de l’activité musicale avec les autres disciplines

L’activité musicale peut être l’occasion d’aborder d’autres champs disciplinaires.

Il est facile pour l’enseignant de trouver des « ponts », des moyens, pour passer d’une discipline à une autre. Il le fait toute la journée. Si on intégrait davantage l’activité musicale à la vie générale de la classe, elle jouerait son rôle spécifique et culturel. Certains contenus peuvent aisément être liés : histoire de la musique (parler d’une période historique est l’occasion de faire écouter la musique composée et jouée à cette époque) ; poésie et musique, arts plastiques et musique (le fait artistique musical n’est pas un fait isolé, il nait d’une conjonction de tous les autres arts, il dépend pleinement du contexte politico-culturel d’une époque, alors pourquoi le traiter à part des autres ?)

Travailler dans cette voie, c’est prendre en compte la démarche propre aux savoir-faire qui est commune à toutes les disciplines : tâtonnement, expérimentation, respect des consignes, choix des outils, documentation,…

C’est amener l’enfant à percevoir les disciplines dans un ensemble construit et à concevoir le réseau qu’elles constituent entre elles, mais sans abandonner l’identité propre de chacune d’entre elles.

Cette approche centrée sur l’enfant mène aussi, après l’interdisciplinarité, à la transdisciplinarité des contenus d’enseignements et la mise en œuvre d’un réseau de compétences transversales. Le point d’entrée n’est plus prioritairement la discipline mais la démarche de l’enfant et le comportement dont il doit faire preuve. Les contenus deviennent alors des moyens qui fournissent les objets et les situations d’apprentissage. La discipline proposant un cadre et une structure pour le choix de l’organisation des contenus. Les disciplines deviennent alors des outils pour comprendre et agir. Le croisement des savoirs, la combinaison des approches, les temps de recherches, permettent de mener à bien des actions, des projets, et de construire des connaissances. À travers l’ensemble des disciplines, dans le cadre d’une pédagogie centrée sur l’apprenant, l’enfant développe des compétences identiques qu’il adapte en fonction des situations d’apprentissage : prendre des initiatives, seul ou au sein d’un groupe, choisir, affirmer sa personnalité, s’auto-organiser ou gérer collectivement le temps, respecter le travail des autres, écouter les autres.

« Il faut s’appuyer sur les activités d’écoute pour développer les compétences relatives aux attitudes, ce qui permet d’aborder d’emblée les notions liées aux contraintes du groupe-classe ». (Arlette ZENATTI- Psychologie de la musique- PUF 1994).

C’est aussi mettre en place, au sein d’activités non instrumentales, des compétences pour lesquelles l’enseignant pourra susciter le transfert dans d’autres disciplines : travail en groupes, prise en compte des idées des autres, etc…

g) Respecter le rythme de l’enfant

L’être humain dispose d’un instrument naturel exceptionnel, outre sa voix, c’est son tempo intérieur. Nous nous fondons exclusivement sur lui pour tous les actes de notre vie. Ce tempo est naturel et différent pour chaque être humain. C’est pour cette

raison que la musique exerce un effet différent pour chacune et chacun d’entre nous. Il est le point de départ et aussi l’unité de mesure pour l’appréciation de tous les rythmes et de toutes les mélodies écoutés. Il est l’élément de comparaison, l’indicateur explicite des sollicitations du monde extérieur et du milieu environnant. Le nier serait une énorme erreur. Nier que les enfants ont tous leur propre tempo, pas forcément en adéquation avec celui de l’enseignant, entrainerait à nier l’évidence que chaque individu apprend à son propre rythme et intègre les notions suivant une progressivité qui lui est naturelle. Et pourtant !...

Parlons de ces séances de rythme qui n’ont aucun lien avec une activité d’écoute.

Qui n’a pas assisté à ces séances pendant lesquelles l’enseignant propose une cellule rythmique que tous les élèves doivent répéter ensemble ? Oui, mais voilà… Dans ce genre d’exercice, il y a toujours un ou plusieurs enfants qui ne finissent pas quand le groupe termine. Lorsque tout est terminé, il y a toujours un ou plusieurs enfants qui continuent à frapper le rythme demandé. Alors, l’enseignant s’énerve. Il fait reprendre 5, 6, 7….10 fois l’exercice jusqu’à ce que tous les élèves terminent ensemble… (Acharnement pédagogique).

S’est-on posé une fois la question de savoir ce qu’il se passait ?

En fait, lorsqu’on observe bien les enfants dans cette activité (et nous l’avons fait sur 18 classes du CP au CM2), nous remarquons que les élèves qui n’arrivent pas à reproduire le rythme demandé ne font finalement aucune erreur. Ils finissent (à force d’exercices répétés) par satisfaire l’enseignant.

Mais, l’enfant qui ne peut pas suivre le tempo de l’enseignant, escamote le rythme demandé pour terminer avec tous les autres : il retire un temps ou deux et plus rien de différent ne paraît. 99% des cas observés d’élèves qui étaient décalés par rapport au groupe-classe ont agi ainsi.

Que voit l’enseignant ? Rien. Pour lui, tout est bien car tout le monde termine en même temps.

Mais en réalité, il se passe que ces enfants, pour ne pas paraître différents par la crainte de la consigne de l’enseignant, tronquent le rythme demandé. C’est donc tout le contraire de ce que souhaite l’enseignant et pourtant il ne s’en rend pas compte. Dans cet exercice, l’enseignant demande à l’enfant de suivre son tempo d’adulte. Et l’enfant de cet âge-là (jusqu’à 9 ans, il n’est pas capable de contrôler son tempo à ce point. D’ailleurs, combien d’adultes en sont capables eux-mêmes ?).

Ce qu’il faut dire à l’enseignant, et là encore pour dédramatiser, c’est que peur importe la vitesse d’exécution du rythme, dans la mesure où la structure demandée est respectée. Que le rythme soit reproduit plus lentement ou plus rapidement que ce qui est demandé par l’enseignant, quelle importance ?

On préfèrera une cellule rythmique qui passe d’un élève à l’autre, ce qui permet à l’enseignant de contrôler le travail effectif de chaque élève, qu’il soit plus lent ou plus rapide que le sien.

Respecter le rythme intérieur de l’enfant est capital. Bien sûr, notre objectif est de l’amener à se caler sur les rythmes des autres, sur le rythme collectif, car sans cela peu de chose restent impossible : rythme, chant… Mais quelle importance que le chant de la fête de fin d’année ne soit pas parfait ? L’essentiel est bien que l’enfant prenne du plaisir à chanter et non pas qu’il fasse plaisir à l’enseignant. Faut-il que les élèves reproduisent le modèle esthétique que l’enseignant souhaite entendre ?

h) Les bibliothèques sonores

Ce dispositif permet à l’enfant :

 D’enrichir la sensibilité.

 De développer et d’affiner sa perception auditive.

 D’améliorer ses qualités d’attention et de relation.

 De lui faire discerner et reconnaître les caractéristiques du son.

 De lui faire repérer des éléments musicaux et de l’entraîner à les mémoriser.

 De favoriser l’assimilation d’un langage artistique et, au-delà, d’une culture.

 De lui faire atteindre un réel plaisir musical.

Moyens à mettre en œuvre :

Il faut un outil capable de répondre à ces objectifs et utilisable par des enseignants qui n’ont pas de compétences musicales particulières : « la bibliothèque sonore ». On peut ainsi concevoir trois types de projets, un pour chaque cycle. Le matériel utilisé est le même : baladeurs, avec obligatoirement un seuil de puissance préréglé, des clés avec des enregistrements courts (3 à 5mn pour chaque). On préfèrera des « mouvements » entiers d’œuvres à des extraits qui, souvent, suspendent les phrases musicales en plein milieu.

 Pour le cycle 1 :

Apprendre à utiliser le matériel : écouter librement. L’enseignante n’effectue pas de contrôle systématique de ce que l’enfant a écouté, mais sollicite son avis et ses commentaires à l’occasion de séances de langage. L’enseignante note, ou fait noter par les enfants les morceaux qui ont été écoutés en incitant ceux qui reviennent sur les mêmes à s’intéresser à d’autres (tableaux à double entrée). S’ils réécoutent les mêmes c’est parce qu’ils les aiment et qu’ils prennent du plaisir. Car, lorsque nous découvrons une musique qui nous plaît, pendant un certain temps, nous ne pouvons pas en écouter d’autres.

L’essentiel proposé à l’écoute repose sur des extraits de contes (voix parlée), des chansons enfantines et quelques extraits de musique plus savante. L’intérêt est également d’amener peu à peu les enfants à découvrir par l’écoute autre chose que ce qu’ils écoutent d’habitude et qui ne correspond pas forcément à leur choix.

En dehors de ces ateliers spécifiques, la fréquentation de la bibliothèque sonore est libre à tout moment.

 Pour le cycle 2 :

Reconnaissance des timbres instrumentaux et écouter pour le plaisir. Chaque clé comporte 2 extraits qui traitent du même instrument. Les enfants, individuellement ou en groupes de 4 ou 5 (prévoir un répartiteur permettant à tout le groupe d’être branché sur la même clé), doivent le reconnaître. Une fiche d’auto-évaluation les aide à faire le point sur leurs connaissances et permet à l’enseignant de contrôler ce qu’ils ont découvert. L’intérêt de travailler à plusieurs, et de s’évaluer à plusieurs, est de permettre de mettre en œuvre un réel débat autour de ce que les uns et les autres ont effectivement perçu. D’autres moments doivent être consacrés à des pauses d’écoute libre pour le plaisir (tout comme le moment quotidien de lecture).

 Pour le cycle 3 :

Connaissance des différentes époques, des formes musicales et approche des grands compositeurs et une liaison avec les autres disciplines.

L’ensemble des clés propose des extraits d’œuvres de toute l’histoire de la musique. L’enfant fréquente la « bibliothèque sonore » librement (en BCD, par exemple) ou dans des moments institutionnalisés par l’enseignant (ateliers d’écoute).

L’objectif est de tout écouter. Une fiche évaluative doit être remplis à l’issue de l’écoute (plusieurs écoutes peuvent être nécessaires avant, et il n’y a pas de limite imposée). Cette fiche fait le point sur ce que l’enfant a réellement écouté : musique vocale ou instrumentale, époques, types d’instruments, rythmes, … mais on demande aussi aux élèves de faire des recherches sur le compositeur, sur la période historique concernée, les autres évènements culturels, etc…

Ce travail et cette mise en place ne demandent aucune compétence spécifique de la part des enseignants et peuvent être conduits à tous les niveaux. Il faut pouvoir compter sur l’aides des Conseillers Pédagogiques Départementaux en Éducation Musicale pour proposer les extraits à étudier en classe.

Si cela était fait, on permettrait à tous les enfants d’accéder librement à toutes les musiques, de partager une culture commune et ainsi l’objectif de l’école primaire de sensibiliser l’enfant à la musique, serait atteint.

i) Produire, créer

N’oublions pas que la musique est un art et un moyen d’expression. Son rôle fondamental en tant qu’art est de donner du plaisir et de l’émotion.

Chez les tout petits comme chez les grands, le plaisir collectif trouvera un sens dans les jeux d’improvisation mais ce jeu libre ne doit pas être pour autant le chaos ou l’anarchie. L’improvisation évolue avec les acquisitions globales que fait l’enfant, lequel apprend peu à peu à s’organiser, à écouter l’autre, à trouver sa place dans le groupe, ainsi qu’à manipuler avec plus d’aisance des instruments et le langage musical (paramètre su son, rythmes, etc…)

Pour les plus petits, on travaillera la mémoire musicale par le jeu des répétitions des thèmes écoutés ou inventés. Loin de nous l’idée d’obtenir un produit fini. En revanche, avec des enfants plus âgés (cycles II et III), l’improvisation peut se développer et prendre les formes d’un travail plus organisé qui peut aller jusqu’à l’élaboration de partitions (avec des codages d’enfants).

Y-a-t-il une création innée ? Peut-on créer comme ça sur simple demande et sans connaissances préalables ou sans situation initiale ?

On ne peut bien reproduire que ce qu’on a bien perçu ou écouté. Il faut donc d’abord écouter (non pas pour imiter ou faire « à la manière de », mais pour s’approprier des techniques et les réinvestir dans sa propre production).

C’est la liaison directe et fondamentale dont il est question dans les Instructions Officielles qui conseillent que toute situation musicale doit mettre en interaction les activités d’écoute et les activités de production.

Dans toutes les écoles, il existe des quantités d’instruments (tambourins, claves, Wood blocks, carillons, etc…), enfermés dans des placards et que les enseignants n’osent pas forcément utiliser, car cette activité ne leur semble pas dans leurs compétences.

À partir de l’écoute d’une œuvre, l’enfant, ou la classe peut créer.

Il faut choisir une œuvre qui ne se caractérise pas par un rythme particulier ou par une pulsation trop évidente. Un exemple : le début (instrumental jusqu’à l’entrée du chœur) de « La Passion selon Saint-Jean » de Jean-Sébastien BACH.

 Faire écouter plusieurs fois l’extrait (les 3 premières minutes).

 Commenter ce qu’on entend. Faire remarquer les différents moments : violons « piano », montée en « forte », entrée des chœurs.

 Faire remarquer la différence entre cette musique et une autre plus rythmée.

 Demander aux élèves d’imaginer de recréer cette œuvre en y ajoutant des percussions.

 Réorganiser la musique en y ajoutant les découvertes.

 Faire produire les enfants avec la musique de BACH en fond sonore, pour se repérer.

On remarque que peu à peu les enfants trouvent des éléments supplémentaires qui marquent bien les différents moments, par l’entrée d’autres instruments (de la classe), l’arrêt de certains, et que progressivement, le groupe se détache de l’œuvre écoutée.

Alors, on baisse le son de notre repère, jusqu’à l’arrêter complètement. Ce qui reste, en dehors de l’œuvre de base, c’est une véritable création organisée, parfaitement élaborée et qui a une cohérence dans le temps.

Ainsi, nous sommes partis d’un contexte initial (œuvre musicale écoutée), avec lequel les enfants ont affiné leur perception auditive, nous avons pratiqué une analyse (quels éléments constitutifs, quels repères, …), nous avons mis en œuvre des recherches (variations, combinaisons collectives ou personnelles) pour aboutir à un contexte musical nouveau (création). Les enfants se sont éloignés peu à peu de l’idée originelle, celle-ci demeurant « centre et absence » du nouveau contexte élaboré.

Et puis, « agir » sur une œuvre d’art est aussi une attitude de créateur contemporain. Salvador DALI a bien interprété « La Joconde » en l’affublant de moustaches… Alors pourquoi pas des percussions dans la musique de BACH ? BACH, s’il vivait aujourd’hui l’aurait peut-être d’ailleurs fait lui-même. Il est intéressant de compléter les écoutes par « BACH in Africa » et par les œuvres de Jacques LOUSSIER « Play BACH », ou la musique de BACH revisitée par le jazz.

j) Le moment quotidien de musique

L’intention est excellente : mettre les activités musicales dans une stratégie de régularité.

Mais cette attention toute particulière à la musique (c’était un des points du « Nouveau Contrat pour l’École », appelle quelques remarques :

 Le « moment quotidien de musique » ne doit pas forcément remplacer l’activité hebdomadaire de musique. Car comment mettre en œuvre des activités de production qui demandent davantage de temps et plus d’organisation ? Ce peut être un moment plus ou moins long (nous avons été certains à le fixer administrativement à 15 minutes), au cours duquel on peut imaginer toutes sortes d’activités, du chant à l’exercice de rythmes, en passant par l’activité d’écoute.

 Le moment quotidien de musique doit être l’occasion de mettre en œuvre des activités d’écoute active.

 Le moment quotidien de musique ne doit pas être décrété tous les jours à la même heure, car avons-nous envie, nous adultes, d’écouter de la musique tous les jours à la même heure ?

 Le moment quotidien de musique peut intervenir à n’importe quelle heure dans la journée, quand le besoin s’en fait sentir. Ce peut être pour permettre de passer en douceur d’une activité à une autre ou pour illustrer musicalement un élément d’une autre discipline. Il peut durer quelques minutes et se résumer à une simple écoute ou devenir une véritable séance d’éducation musicale, débouchant sur des activités rythmiques, du chant, des productions…

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