La promesse de compensation

La promesse de compensation

1. La mutation de l'engagement naturel vers l'obligation civile

Contrairement aux époux, aucune disposition légale ne prévoit le versement d'une somme par l'un des concubins à son compagnon pour compenser la disparité éventuelle créée par la rupture de l'union.

La jurisprudence reconnaît cependant l'efficacité d'une promesse faite par un concubin de compenser financièrement ce déséquilibre.

1.1. La reconnaissance prétorienne de l'obligation naturelle entre concubins

Les juges considèrent de longue date que les concubins sont tenus d'une obligation naturelle d'assistance, c'est-à-dire d'un devoir de conscience, relevant de l'ordre moral, de fournir une aide matérielle ou d'aider leur compagnon se trouvant dans un état de besoin (1).

Allant plus loin, la Cour de cassation a considéré que l'engagement a priori d'un concubin à verser une compensation ou son exécution spontanée a posteriori transforme l'obligation naturelle en obligation civile (2), sur le fondement de l'art. 1302 c. civ. : « Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution./ La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées ».

Selon les cas, les juges condamnent alors le concubin promettant à s'exécuter ou refusent toute restitution à celui qui a payé.

La haute juridiction a ainsi qualifié de valable en 2008 la promesse sous seing privé d'un concubin de verser une somme d'argent afin que sa concubine construise une maison lors de leur rupture : « Attendu qu'après avoir relevé que l'objet de la somme promise était clairement exprimé dans l'acte comme devant permettre l'édification d'un logement sur le terrain appartenant en propre à Mme X..., l'arrêt retient que le montant de cette somme était parfaitement cohérent avec son affectation et proportionné tant aux facultés contributives du promettant qui reprenait sa liberté qu'au bouleversement matériel et moral que la rupture causait aux conditions d'existence de son ex-concubine et de sa fille à laquelle il assurait également un toit de sorte que cet engagement, qui ne constituait pas un acte à titre gratuit, était valable et devait être exécuté ; que la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé d'intention libérale de la part de M. Y..., n'était pas tenue d'appliquer l'art. 931 c. civ. ; que le moyen n'est pas fondé ».

Elle considère en outre que la promesse de compensation n'est pas un acte à titre gratuit nécessitant la caractérisation d'une intention libérale et le respect du formalisme prévu à l'art. 931 c. civ. (3)

1.2. La consécration légale de l'obligation civile

La réforme de 2016 a consacré le caractère civil de cette obligation à l'art. 1100 c. civ. : « Les obligations naissent d'actes juridiques, de faits juridiques ou de l'autorité seule de la loi./ Elles peuvent naître de l'exécution volontaire ou de la promesse d'exécution d'un devoir de conscience envers autrui ».

Le concubin doit s'être acquitté volontairement et librement de son obligation naturelle.

Son exécution doit emporter un appauvrissement du débiteur et un enrichissement du créancier, sans disproportion avec l'obligation naturelle qui l'inspire.

L'engagement doit enfin et évidemment être dépourvu d'équivoque et de vice du consentement.

1.3. L'aménagement d'une promesse de compensation

Nécessité d'un écrit - Les juges semblent exiger un engagement écrit afin de reconnaître l'existence d'une promesse de compensation et ordonner son versement, dans le respect du principe de l'autonomie de la volonté et de la force obligatoire des conventions.

La Cour de cassation a précisé en 2006 que (4) : « de l'ensemble du comportement de M. X., à défaut de tout écrit en ce sens, il ne résultait aucun engagement volontaire implicite ou explicite de ce dernier à poursuivre, sans limitation de temps, l'aide financière octroyée à Mme de Y. dans les dix mois qui ont suivi leur dernière rupture ».

A contrario, la promesse écrite de ce concubin d'aider financièrement son ex-compagne après la rupture du concubinage aurait donc eu valeur d'engagement unilatéral de réaliser et poursuivre cette aide financière, caractérisant la transformation d'une obligation naturelle en obligation civile.

Cette position est conforme à la nécessité d'une preuve écrite de tout engagement volontaire au-delà de 1 500 € posée par les art. 1358 et 1359 c. civ. :

« Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen » (C. civ., art. 1358) ;

« L'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret [Décr. n° 80-533 du 15 juill. 1980] doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n'excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique. Celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. Il en est de même de celui dont la demande, même inférieure à ce montant, porte sur le solde ou sur une partie d'une créance supérieure à ce montant » (C. civ., art. 1359).

De plus, lorsqu'il s'agit d'un engagement volontaire de verser une somme d'argent, l'art. 1376 c. civ. prévoit que l'instrumentum ne produit d'effet probatoire que s'il comporte la signature du souscripteur de cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme en chiffres et en toutes lettres, la loi n'exigeant cependant pas de forme particulière (il peut par exemple s'agir d'un simple courrier).

La position de la Cour de cassation semble, par là-même, écarter le recours à l'art. 1360 c. civ. aux termes duquel la preuve est libre quand le créancier se trouve dans l'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit - ce qui peut évidemment être le cas de concubins.

C'est pourquoi l'aménagement conventionnel d'une promesse de compensation au sein d'une convention de concubinage paraît indispensable.

2. Aménagement conventionnel

2.1. Contenu

À défaut de disposition légale, la convention de concubinage doit prévoir avec précision le principe de la compensation et ses critères de fixation : durée de l'union, situations personnelles des concubins et notamment leur âge, situations financières des concubins, investissement de chacun d'eux dans le cadre de leur couple ou de leur famille, existence d'un enfant commun, etc.

Les critères seront inspirés de l'art. 271 c. civ. mais peuvent (et doivent !) s'en affranchir : c'est la liberté contractuelle qui prime, celle qui manque à la prestation compensatoire.

Il est également important de préciser ses modalités de paiement (durée, forme de versement : capital, rente, dation, etc.).

2.2. Limites

La nature contractuelle de l'obligation conserve au juge un pouvoir de révision.

Ainsi peut-il en premier lieu réduire ou supprimer une compensation dont l'importance contreviendrait au principe de libre rupture du concubinage (5).

Il peut en outre rechercher une certaine proportionnalité de la compensation eu égard aux situations financières des concubins.

C'est pourquoi les situations personnelles et financières des concubins doivent impérativement être décrites avec précision dans cette convention afin d'éviter toute remise en cause ultérieure par les parties.

L'exposé des revenus et patrimoines utilisé dans les conventions de divorce par acte sous seing privé contresigné par avocats prévoyant le versement d'une prestation compensatoire pourra utilement être repris.

2.3. Fiscalité

Au titre de l'impôt sur le revenu - Les sommes versées au titre de la promesse de compensation ne bénéficient pas d'une fiscalité avantageuse pour le débiteur, contrairement aux pensions alimentaires ou prestations compensatoires pour les couples mariés : les fonds versés ne sont pas déductibles au titre de l'impôt sur le revenu (6).

Selon la haute juridiction administrative, l'art. 156, II, 2°, du CGI, qui prévoit une déduction pour les pensions alimentaires, leur est inapplicable dès lors qu'une pension alimentaire n'est déductible que si elle répond aux conditions fixées limitativement par les dispositions des art. 205 à 211 c. civ.

Au titre des droits de mutation 

(par Arnaud Corbel, Avocat au barreau de Paris, fiscaliste) 

Dans sa doctrine administrative, l'administration fiscale distingue : 

- d'une part « l'exécution d'une obligation naturelle (règlement d'une dette ou réparation d'un préjudice dont l'exécution forcée ne pourrait être obtenue par le bénéficiaire) [qui] ne constitue pas une libéralité mais un paiement (C. civ., art. 1235) ; les droits de mutation à titre gratuit ne sont donc pas exigibles » ; 

- et « les obligations morales qui sont de simples devoirs de conscience dépourvus de toute sanction légale [qui] sont susceptibles de donner ouverture au droit de donation » (BOI-ENR-DMTG-20-10-10, 11 déc. 2013, § 50). 

Elle précise, à titre d'exemple, que « la pension alimentaire constituée au profit d'une personne qui ne disposait d'aucune action pour l'exiger donne ouverture aux droits de mutation à titre gratuit. La même imposition s'applique si la pension ne revêt pas le caractère alimentaire » (ibid. § 60). 

Cependant, l'obligation naturelle et, a fortiori, l'obligation morale visée par l'administration fiscale se distinguent de l'obligation civile par le fait qu'elles ne sont pas sanctionnées. 

Dès lors que le versement d'une indemnité au profit de l'ex-concubin est stipulé dans une convention de concubinage, cette obligation naturelle se trouve novée en une obligation civile contractuelle dont le débiteur peut exiger l'exécution. À cet égard, il faut noter que l'obligation de conscience a été consacrée par l'art. 1100 c. civ. (issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016) qui dispose que les obligations civiles peuvent naître « de la promesse d'exécuter un devoir de conscience ». 

Cette indemnité ne serait donc pas versée au titre d'une obligation naturelle mais d'une obligation civile dont l'exécution peut être poursuivie en justice. Elle se distingue, ce faisant, clairement de « l'obligation morale » telle qu'elle est actuellement envisagée par la doctrine administrative précitée et l'on pourrait dès lors soutenir que la contractualisation de cette obligation de conscience constitue un obstacle au droit de donation. 

Mise en garde - Toutefois, ni la jurisprudence ni l'administration ne se sont prononcées sur la question des aides ou plus généralement de sommes versées à un ex-concubin à la suite d'une rupture du concubinage en considération d'une obligation autre que naturelle ou morale, en sorte qu'il est difficile de se prononcer définitivement sur cette question si ce n'est d'insister sur le risque fiscal encouru par les parties, étant observé que l'administration fiscale devra en ce cas démontrer l'intention de consentir une libéralité à l'ex-concubin. 

Par analogie avec la situation des personnes non visées par une obligation légale d'aide alimentaire, les services fiscaux pourraient en effet considérer que l'indemnité présente le caractère d'une libéralité dès lors que le débiteur n'avait aucune obligation de contractualiser un devoir de conscience envers son ex-concubin(e), que le versement de l'indemnité n'a pas de contrepartie et que l'indemnité ne peut pas être qualifiée de prestation compensatoire puisque versée en dehors de la rupture du mariage. 

Il faut aussi relever que la jurisprudence n'hésite pas à retenir la qualification de donations même lorsque les aides sont apportées à un créancier alimentaire, donc en vertu d'une obligation légale, dès lors que les sommes versées dépassent les besoins purement alimentaires dudit créancier. 

On peut dès lors craindre que l'administration fiscale cherche à imposer l'indemnité ; et ce, d'autant plus que celle-ci sera élevée. 

Le risque peut être important. En effet, l'absence de lien de parenté entre les ex-concubins conduit à l'application des droits de donation au taux d'imposition de 60 % du montant de l'indemnité, étant de surcroît observé que le code général des impôts organise une solidarité de paiement des droits de donation entre le donataire et le donateur. Le débiteur de l'indemnité pourrait donc en outre être recherché pour le paiement des droits de donation. 

Les parties seront en conséquence attentives à la rédaction de la clause et à son contenu, mais également aux sommes qui seront contractualisées compte tenu de ces précisions.

En tant que de besoin, une clause de partage de tous frais et de tous droits consécutifs à l'exécution de la clause pourrait être ajoutée. 

2.4. L'exécution de la promesse de compensation

En cas d'exécution spontanée, la qualification d'une promesse de compensation fait obstacle à toute répétition de l'indu (7).

À l'inverse, l'inexécution du concubin débiteur contraint à recourir aux mécanismes d'exécution forcée ; le concubin créancier doit alors être en possession d'un titre exécutoire.

La convention de concubinage révèle ici un de ses atouts majeurs puisqu'elle peut faire l'objet d'une homologation judiciaire.

En effet, les concubins peuvent saisir le juge aux affaires familiales du lieu de leur résidence, sur le fondement des règles de droit commun de l'homologation judiciaire fixées aux art. 1565 s. c. pr. civ., en déposant une requête conjointe à laquelle est annexée leur convention de concubinage (8), à l'instar de l'homologation d'une convention parentale pour laquelle il existe une disposition spécifique (9).

L'art. 1567 c. pr. civ. qui exempt les requérants de justifier du recours à la médiation, à la conciliation ou à la procédure participative est applicable à la convention de concubinage qui peut être considérée comme une transaction, définie par le législateur comme le contrat écrit « par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître » (10).

Le juge homologue la convention de concubinage sans débat, à moins qu'il n'estime nécessaire d'entendre les requérants (C. pr. civ., art. 1566, al. 1er). Sans pouvoir procéder à la modification de leur accord, le juge aux affaires familiales peut refuser l'homologation s'il estime que les intérêts d'un des concubins ne sont pas suffisamment préservés ou si l'un d'entre eux n'y a pas consenti librement, étant précisé que les concubins peuvent interjeter appel de cette décision (C. pr. civ., art. 1566, dern. al.).

Le créancier peut alors recourir aux voies d'exécution de droit commun telles que la saisie-attribution de comptes bancaires, saisies des rémunérations du travail, des meubles ou immeubles, etc. (à l'exclusion cependant des procédures destinées au recouvrement des obligations alimentaires).

Le simple dépôt de la convention de concubinage au rang des minutes d'un notaire ne permet pas d'obtenir cette force exécutoire.

3. Formules

Les parties souhaitent compenser autant que possible les déséquilibres éventuellement causés dans leurs conditions de vie respectives par la fin du concubinage. 

Le concubin dont le niveau de vie après rupture est le plus élevé (le concubin indemnisant) sera tenu de verser une indemnisation compensatrice au concubin dit « indemnisé ». 

Les concubins décident que les revenus sont le critère déterminant le principe de la promesse de compensation qui sera réglée en exécution de l'obligation naturelle contractée par le concubin indemnisant. 

Cette indemnité sera fixée d'un commun accord entre les concubins à la fin du concubinage eu égard à leurs situations financière et patrimoniale selon les critères suivants, par ordre d'importance : 

- les revenus des concubins ; 

- leurs charges principales : fiscalité, frais de logement y compris remboursement d'échéances de prêt, obligations alimentaires contractuellement ou judiciairement constatées ; 

- leur patrimoine personnel. 

Éventuellement : ... (à compléter le cas échéant avec des critères plus subjectifs). 

Éventuellement (les variantes peuvent être cumulées) : 

Variante 1 - Les parties conviennent expressément que l'indemnité compensatoire ne pourra pas être supérieure à la somme de ... (indiquer le montant). 

Variante 2 - Les parties conviennent expressément que l'indemnité compensatoire ne pourra pas être supérieure au salaire annuel net imposable du concubin qui perçoit les revenus les plus importants. 

Variante 3 - Les parties conviennent expressément que l'indemnité compensatoire sera égale à la différence annuelle entre les revenus déclarés par chacun l'année précédant la rupture de la présente convention multipliée par le nombre d'années d'application dudit contrat. 

L'indemnité sera versée : 

Variante 1 - En capital dans le délai d'un an à compter de la fin du concubinage. 

Variante 2 - L'indemnité prendra la forme d'une rente versée mensuellement pendant ... (indiquer le nombre d'années) années. 

Variante 3 - L'indemnité prendra la forme d'une prise en charge directe par le concubin indemnisant : 

. des frais suivants : ... (à compléter, par exemple avec les frais de réinstallation) ; 

. pendant une période de ... (à compléter) suivant la fin de la présente convention.


Par Arnaud Corbel et Nicolas Graftieaux


(1)   S. Ben Hadj Yahla, Rép. civ. Dalloz, v° Concubinage, oct. 2016 (actualisation : févr. 2019), n° 276. - Par ex. : Aix-en-Provence, 26 sept. 1997, Dr. fam. 1998, n° 128, note H. Fulchiron.

(2)   Civ. 1re, 20 févr. 2008, n° 07-15.978, AJ fam. 2008. 208, obs. F. C.  ; D. 2008. 1786, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau  ; Dr. fam. 2008. Comm. 94, note V. Larribau-Terneyre.

(3)   Civ. 1re, 20 févr. 2008, n° 07-15.978, préc.

(4)   Civ. 1re, 23 mai 2006, n° 04-19.099, Bull. civ. I, n° 264 ; AJ fam. 2006. 287, obs. F. Chénedé  ; D. 2006. 1561  ; RTD civ. 2006. 538, obs. J. Hauser  ; ibid. 2007. 119, obs. J. Mestre et B. Fages  ; RJPF 2006-7-8/48, obs. S. Valory. - Adde : C. Bridge, L'engagement des concubins sur les conséquences de leur rupture à l'épreuve du droit des obligations, RLDC 2007/41. 2680.

(5)   Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 05-17.475, AJ fam. 2006. 324, obs. F. Chénedé  ; D. 2006. 1841  ; ibid. 2430, obs. M. Douchy-Oudot  ; RTD civ. 2006. 740, obs. J. Hauser .

(6)   CE, 10 et 9e s.-sect., 28 mars 2012, n° 323852, Lebon .

(7)   C. civ., art. 1302, al. 2.

(8)   C. pr. civ., art. 1565 s.

(9)   C. civ., art. 373-7-2 ; C. pr. civ., art. 1143.

(10) C. civ., art. 2044.

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