La puissance de l'esprit sur... l'esprit.
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La puissance de l'esprit sur... l'esprit.

Sans passé, pas d'avenir. Rien de philosophique dans cette affirmation. Ni même la volonté de développer la pertinence ou le bien-fondé d'une pensée empruntée à Mme de Pompadour. Juste l'affirmation de ce que les neurosciences et les sciences cognitives nous ont démontré récemment.

Nos idées vivent dans le présent mais elles viennent du passé. En effet, lorsque nous nous remémorons un événement, le rappel conscient de ce souvenir n'est pas un simple replay d'une séquence vidéo que notre esprit aurait enregistré, mais plutôt une reconstruction composite d'éléments de notre passé que nous stockons de manière dispersée dans notre mémoire (ou, devrais-je plutôt dire, dans nos mémoires).

Je me souviens parfaitement de la première fois où j'ai roulé en vélo sans stabilisateurs. Je me rappelle de l'impulsion qu'a donné mon père à l'arrière de la bicyclette en courant sur les premiers mètres, de mon regard posé fixement sur ma roue avant sans trop comprendre ce qui m'arrivait, de cette allée qui passait devant mon bâtiment et sur laquelle je roulais en défiant la pesanteur avec mon "deux roues", de ce premier virage à droite pris sans embûche mais non sans tension... Bref. A l'heure où j'écris ces lignes je suis âgé de 44 ans, je vous laisse donc deviner à combien de temps cela remonte (et non, ça ne date pas du weekend dernier).

Ce souvenir est toujours aussi vivace grâce aux émotions qu'il a suscitées, facilitant ainsi sa consolidation mnésique. Le fait d'avoir vécu un phénomène de "déjà vu" quand cet événement s'est produit doit lui aussi contribuer à son ancrage dans mon esprit, mais je reparlerai de ce phénomène dans un autre post. Revenons donc au point qui nous intéresse.

Si le clip autobiographique que je viens de mentionner s'est reconstitué à partir d'éléments disparates au moment où je posais ces lignes sur le clavier, cela signifie que le rappel de ce même épisode sera forcément différent à un autre moment. Il dépendra bien sûr de facteurs dispositionnels (biologie, émotions, pensées, motivations...) ou contextuels (environnement, situation...), mais aussi d'éléments mnésiques qui se seront rajoutés, de ceux qui auront été omis, ou bien encore de ceux que j'aurai inventé.

Sur ce dernier point en effet, les neurosciences ont montré que la nature composite du rappel mnésique permettait d'inclure de "faux souvenirs crédibles" que la personne incorpore ensuite dans le rappel conscient des faits. Ainsi, par une intervention adéquate, on pourrait me faire croire à la présence de mon frère dans le souvenir évoqué plus haut, et je pourrais vous affirmer avec conviction qu'il était bel et bien là, sur le bas-côté de l'allée où je déambulais à vélo, et qu'il m'encourageait durant ma performance. En résumé donc, le rappel d'un événement du passé n'est qu'un rafraîchissement conscient, à un moment "t" dans le temps, de bribes souvenirs stockés dans les méandres de notre mémoire et qui, potentiellement, peuvent être malléables.

L'autre point essentiel sur lequel nous éclairent les neurosciences est le suivant : les idées sur l'avenir se forment dans les zones du cerveau consacrées à la mémoire. En effet, nous, humains, possédons cette remarquable habilité à pouvoir recombiner des détails issus de diverses sources mnésiques afin d'imaginer de possibles futurs. Cette capacité est essentielle pour nous permettre de nous projeter dans l'avenir, et ainsi planifier nos actions futures ou entretenir notre motivation sur le long-terme.

Cependant, cette faculté peut aussi affecter le bien-être des personnes qui ressassent continuellement des souvenirs chargés d'émotions négatives, renforçant de fait leur anxiété. Or les propriétés qui caractérisent le rappel mnésique (que nous avons évoqué plus haut) laissent entrevoir de possibles solutions pour soulager la souffrance de ces personnes. C'est ce que révèlent les résultats d'une récente étude publiée dans la prestigieuse revue PNAS par des chercheurs de l'université de Cambridge (Royaume-Uni) et du Max Planck Institute (Leipzig, Allemagne). La méthodologie employée se rapporte à ce que je qualifierai d'ingénierie neurocognitive.

Au cours d'une expérience divisée en deux parties (l'une comportementale, l'autre en imagerie cérébrale), les auteurs ont demandé à leurs participants d'imaginer à plusieurs reprises des événements qu'ils trouvent contrariants, et dont ils craignent la survenue dans le futur (mort d'un proche, divorce, grossesse non désiré, accident mortel...). Pour chaque événement ils devaient développer des détails typiques (chambre d'hôpital, tribunal, test positif, corde rompue...), ainsi que des mots-clés qu'ils associaient à l'événement en question (père, séparation, bébé, escalade...). Parallèlement, il était demandé à ces participants de réprimer volontairement le rappel d'un de ces événements.

Les résultats comportementaux révèlent que les événements réprimés volontairement durant la phase expérimentale, font l'objet lors du post-test de projections très pauvres en détails dans un "futur imaginé", détails pourtant fournis par les participants eux-mêmes en phase de pré-test. De plus, l'appréhension - pourtant forte au départ - de ces événements réprimés volontairement devient très faible en post-test, réduisant de fait l'anxiété des participants. Et les scores d'anxiété étaient d'autant plus faibles que la capacité de répression des participants était élevée.

La seconde partie de l'expérience passée sous IRMf confirme et éclaire les résultats comportementaux que nous venons de voir. Lors de la phase de répression des événements douloureux, les scans des participants montrent une activation dans une région spécifique du cerveau - le cortex préfrontal dorso-latéral droit (CPDLd) - qui va en retour moduler l'activité de deux autres régions précises : l'hippocampe - qui intervient dans les processus mnésiques ; et le cortex préfrontal ventro-médian (CPVM) - qui permet l'accès aux détails caractéristiques d'un événement particulier stocké en mémoire. L'inhibition de ces deux régions par le CPDLd lors de cette phase fait donc sens. Elle permet aux participants de ne pas accéder au "souvenir" de l'événement douloureux (inhibition de l'hippocampe) et de prémunir la reviviscence des éléments constitutifs de ce souvenir (inhibition du CPVM) : on bloque ainsi activement l'image du puzzle tout comme l'accès à ses pièces constitutives.

Cette étude nous éclaire donc sur l'efficacité de la répression volontaire de simulations appréhendées pour diminuer l'anxiété des personnes. Plus que le HOW, les résultats nous renseignent sur le WHY qui rend compte de la pertinence de cette stratégie de coping (i.e., "pour faire face"). Par ailleurs, le croisement des données entre résultats comportementaux et neurofonctionnels, ainsi que leur corrélation avérée, permet de lever les doutes que l'on pourrait avoir quant à l'appréhension réelle des situations choisies par les participants.

Cette approche non-invasive ouvre donc des pistes prometteuses pour la remédiation des personnes anxieuses. Mais de manière plus générale, elle permet aussi à chacun d'entre nous de dépasser nos peurs qui nous enferment dans nos "zones de confort", et de trouver ainsi l'audace qui nous permet d'en sortir... A suivre donc.

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