L'art d'y être avant d'y être
De l'art de vivre les situations comme pour de vrai, avant qu'elles n'arrivent.
C'est frappant, cette manière de sauter les étapes comme l'aiguille sur le sillon d'un vinyle saute quelques tours plus loin. Le corps est dans le présent, mais l'esprit a voyagé loin, dans un futur imaginé qui lui semble si vrai qu'il s'y laisse absorber.
"Et comment va réagir mon équipe quand elle saura que je pars vers d'autres fonctions ? Ils vont probablement être démotivés, faire mauvais accueil à mon successeur, etc." se dit le manager inquiet des conséquences de son potentiel départ dans quelques mois. Dans sa tête le film est très réaliste et en couleurs, avec beaucoup de détails. Notre cerveau ne fait pas la différence - à moins de la lui rappeler en ajoutant, sur les côtés, des petites bandes poinçonnées pour préciser "pellicule de film, cinéma !" Faute de détrompeur, les émotions surgissent, grandeur nature.
Face aux questions sur l'avenir, certains savent se dire "on verra bien". D'autres excellent dans cet art d'y "être avant d'y être" : une perspective ou une idée est déjà bien réelle dans leur esprit, ils s'y ancrent comme pour de vrai, ils s'y téléportent, au point qu'on voudrait leur dire, ouh ouh, tu en encore là, où es-tu parti ? Ah, dans ton futur. Enfin, un futur possible... parmi tant d'autres.
Je connais ça depuis toute jeune - vivre des situations en imagination avant qu'elles n'arrivent vraiment, comme une vidéo qui se lance automatiquement sans que je l'aie demandée - ça m'aide sans doute à en voir le mécanisme chez ceux que j'accompagne, quand ils emboitent les "et si ?" avec des "et alors forcément...", et cherchent à résoudre dans l'avenir des problèmes qui ne sont pas encore nés (et pourraient bien ne jamais naître, d'ailleurs).
Y être avant d'y être, c'est un peu comme s'entraîner contre un ennemi imaginaire sur un simulateur de boxe alors que l'adversaire qui se présentera en vrai (dans la vaie vie) vous propose de l'affronter... au ping pong. Raté.
C'est donc beaucoup d'énergie dépensée, de souci accumulé, d'inquiétude ruminée, d'anxiété aussi, avec parfois un bénéfice (être préparé) mais souvent, la surprise que tout autre chose se passe.
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Voilà ce qui me fait dire par exemple, à une personne qui souhaite un accompagnement pour se "préparer à l'avance" à sa prise de poste, qu'il sera plus efficace de s'y attaquer une fois sur le terrain, les deux pieds dans la réalité, tangible. Il restera bien assez d'inconnues pour ne pas les mettre au carré en y travaillant avant d'y être.
Et quitte à avoir un coûteux simulateur interne, autant vérifier la qualité de sa production : tenir un "Journal de prédiction" peut s'avérer utile, en notant d'un côté comment on imagine qu'un événement va se dérouler, et en regard, une fois le moment passé, ce qui est réellement arrivé. Et jouer aux 7 différences. Sourires garantis pour les anxieux.
Allez savoir ce qui anime ce mécanisme assez fascinant chez tous ceux qui vivent les situations avant qu'elles n'arrivent vraiment : impatience ? Besoin de contrôle ? Suractivité d'une imagination qui a besoin de galoper ? Délire d'anticipation ? Sorte de préparation mentale involontaire ? Phobie de la surprise qui pousse à tout imaginer pour ne jamais être pris de court (savoir avant de savoir) ? La science s'est probablement penchée sur cette question, je n'ai pas creusé.
Et vous : si cela vous arrive, quelle forme cela prend-il chez vous ? Comment faites-vous de cette capacité involontaire, une ressource au quotidien ?
Delivery Lead 和 Coach certifié
3 ansMagnifiquement écrit 😍. Se projeter dans le temps, cette incroyable faculté dont seul l’être humain est doté. Elle est une capacité qui permet d’anticiper, imaginer et visualiser un futur possible et ainsi d'agir dans le présent pour tendre vers celui-ci. Mais en effet, elle devient source de stress et de fatigue quand on en abuse. A utiliser avec modération 😊
Directeur de la communication de la FHP | Ex. DirCom de Petits-fils | RQTH
3 ansPour moi, cette projection me force à me remettre en question. Ex : avant le départ d’un collaborateur dans 6 mois par ex, ai-je tout mis en œuvre pour assurer une transition sur un dossier avec un process de passation ;)
Principal Engineering Manager chez Persistent Systems France
3 ansmon antidote : me répéter "ca peut aussi bien se passer", et aussi le glisser dans les conversations qui partent dans ce futur imaginaire.
Facilitatrice de dynamiques collectives - Formatrice
3 ansGE-NIAL ! Merci Karine. J'adore l'idée du "Journal de prédictions"
Youtu.be >> @CelineEtNico
3 ansIl y a aussi ceux, lors de cette projection, qui projettent leur propres limites, croyances et peurs sur la réaction des autres. Celles qu’il aurait eu si ces personnes seraient dans leurs futures situations…