Le voyage de tous les espoirs ou la fin d’un rêve inachevé
Par Fethi Akkari
Hommage dédié à Sabri, l'héro de ce récit, ainsi qu'à tous ceux pour qui ce monde n'est pas l'endroit rêvé
Vingt ans déjà que Sabri avait quitté son village natal pour se rendre à la capitale afin de poursuivre ses études supérieures. Il venait tout juste de réussir brillamment son certificat d’études secondaires.
À chaque période de vacances, il contribuait au maigre budget familial, travaillant au gré des jours comme cordonnier ou vendeur ambulant dans l’une des agglomérations voisines. Plus que quiconque, il savait qu’il devait décrocher sa licence et obtenir un emploi stable, au risque de finir par revenir au village pour devenir berger, comme son vieux père. Ses frères ne cessaient de lui rappeler cette destinée à chaque fois qu’il faisait l’école buissonnière.
Ne doutant jamais des vertus de l’effort, Sabri avait sacrifié, depuis son plus jeune âge, tout plaisir, acceptant d’étudier dans des conditions lamentables. Il savait que seul un travail acharné lui permettrait de s’affranchir de l’indigence. Au-delà de sa quête intellectuelle, Sabri souhaitait marquer un véritable tournant dans sa vie: rompre avec son passé de paysan et se libérer de la misère qui, depuis longtemps, le poursuivait. Il voulait également s’imprégner de la modernité de la capitale et s’acclimater à sa culture citadine.
Avant son départ, sa mère l’avait embrassé tendrement, un sourire d'orgueil naïf aux lèvres. Pour elle, l’essentiel était de voir son fils devenir un homme respectable et respectueux, qui l’aiderait à nourrir une famille si nombreuse.
À grands coups de cloche, le train quitta la gare en direction de Tunis, la capitale. Sa mère se précipita derrière lui en courant et en criant, entraînant le reste de la famille. Son cœur battait à tout rompre, sa gorge était tellement sèche qu’il n’arrivait même pas à faire ses adieux. Quelques larmes lui mouillèrent les yeux. Il fallut une bousculade de passagers pour que le jeune garçon retrouve ses forces, parvienne à dompter ses émotions et à surmonter sa peine.
Assis inconfortablement, Sabri parvenait à peine à se remémorer son village et ses habitants. Aussi loin qu’il remontât dans ses réminiscences d’enfance, l’image la plus lointaine qui surgissait dans sa mémoire était celle de sa mère, saisonnière dans les oliveraies. Elle gagnait peu et n’avait épargné aucun effort pour subvenir aux besoins de ses enfants. Son père, le berger le plus aimé du village, prenait soin des troupeaux de moutons autant que des membres de sa propre famille. Pauvre comme il l’était, il ne leur avait légué que leur nom de famille.
Sabri avait gardé en mémoire un tableau uniforme et terne, sans il n’y trouver ni charme ni émotion. Il se revoyait vêtu d’un pantalon neuf à chaque rentrée scolaire et d’une chemise qui avait traversé toutes les saisons, complètement délavée par l’usage fréquent. Il pensait que, s'il existait de meilleurs souvenirs, ils n'étaient certainement pas à chercher dans son enfance.
Ayant grandi à son insu dans une famille nombreuse et défavorisée, il regrettait même d’avoir obtenu son bac, se disant qu’en quittant l’école plus tôt, il aurait pu partir à l’étranger, comme son cousin, qui avait préféré épouser une septuagénaire fortunée plutôt que de se fier à son histoire d’amour, tissée jour après jour avec sa dulcinée, dont seuls les clairs de lune et les fleurs de jasmin avaient été témoins.
À en juger par son comportement, Sabri était susceptible et rancunier. Il en voulait à tous ceux de son village qui refusaient de le prendre au sérieux ou se moquaient de ses ambitions. L'adolescent avait toujours eu la conviction qu'il était doté d’un potentiel intellectuel qui le distinguait des autres. Il se voyait en parfaite dichotomie avec la culture des paysans naïfs, les aspirations de sa famille et les attentes des clergés, qui souhaitaient faire de lui un bon fidèle.
Contrairement à ses convictions, ses frères ne voyaient pas en lui un garçon doté d’une ingéniosité particulière. Ils attribuaient sa réussite scolaire à une amulette préparée par le vieux derviche du village. Sa mère lui remettait cet objet précieux à chaque épreuve, et ne cessait de lui en rappeler les bienfaits.
Sans prétendre être philosophe, Sabri méditait sans cesse sur tout ce qui l’entourait. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi une malédiction semblait frapper les paysans au profit des citadins. Pourquoi les premiers étaient-ils obligés de faire tant de sacrifices ? Pourquoi tant d’inégalités dans la répartition des richesses ? Pourquoi le bonheur n’était-il qu’un simple produit du hasard ?
Depuis son jeune âge, Sabri menait une véritable quête identitaire. Il avait néanmoins une volonté manifeste de tout changer : de réfuter le conformisme imposé par le destin, de rompre avec son milieu originel, et de s'intégrer à une communauté plus en accord avec ses ambitions. Au-delà de ses intentions, Sabri voulait être le maître de sa destinée, prendre son sort en main pour qu'il n’obéisse qu’à sa volonté, un défi qu’il avait relevé depuis son départ du village.
À grands coups de cloche, le train s’arrêta et une voix annonça l’arrivée à Tunis, la capitale. Sabri ne sentait plus son corps après ce long voyage. La fatigue engourdissait son esprit. Il s’efforça de quitter son siège et se dirigea vers la Maison d’accueil des étudiants défavorisés où il allait être logé durant toute sa scolarité supérieure, un privilège réservé uniquement aux étudiants les plus démunis.
En arpentant les rues encombrées et les impasses qui ne menaient nulle part, il cherchait à découvrir les lieux, à se familiariser avec les citadins. Il humait l’odeur de la ville sans parvenir à l’apprécier. En guise de bienvenue, ses colocataires décidèrent de fêter son arrivée dans un endroit mythique. Quelques minutes de marche et ils se retrouvèrent dans un vieux cabaret.
Sabri découvrit alors un monde nouveau, qui jusque-là lui était étrange. Un univers glauque, dépourvu de scrupules, où des pratiques incongrues violaient les tabous : consommation de vin et serveuses soumises à des règles de conduite loin d’être conventionnelles. Ses nouveaux camarades faisaient circuler le narguilé rempli de tabac aromatisé. Difficile pour Sabri de décliner l’offre. Quelques bouffées suffirent pour que la fumée envahisse jusqu’au moindre recoin de ses entrailles, sa tête s’embrumait.
La danseuse du cabaret, tant attendue, entra sur scène. Elle se dévoila et plongea l’assistance dans un univers subjuguant. Tout le monde avait les yeux rivés sur sa belle silhouette. Elle s’appelait Warda (Rose), au demeurant elle portait bien son prénom. Sabri devint rapidement un habitué du cabaret ; à chaque fin de numéro, il se précipitait dans la loge de Warda pour lui présenter ses compliments et lui exprimer ses sentiments.
Dans l'ombre des imposants édifices de l'université, Sabri s'isolait et se livra comme à l’accoutumé à parler en soliloque. Déprimé, il se sentait perdu au milieu d’étudiants bien vêtus. Il marchait timidement, rougissait à chaque instant sans raison apparente, finissant toujours par s’isoler à l’abri des regards moqueurs. Telle une plume frêle emportée par les rafales cruelles du mépris, il se sentait vexé dans cet environnement impitoyable où la frime était érigée en règle suprême. Ses modestes habits étaient un écho discordant dans cet océan d'élégance factice. Les regards dédaigneux, les sourires condescendants et les chuchotements moqueurs, tels des coups de fouet invisibles, venaient s'abattre sur lui, le transperçant d'une douleur silencieuse.
Sabri trouvait refuge dans l'obscurité des bibliothèques, se plongeant dans les pages érodées des ouvrages anciens, avide de connaissances. Là, entre les étagères abandonnées, il se sentait libéré des sarcasmes et des jugements cruels. Les lettres d'encre noire étaient ses compagnons fidèles, ses véritables amis, capables de l'emmener loin des rires méprisants et des sourires narquois.
Pourtant, malgré ses efforts pour se protéger des blessures de l'âme, Sabri continuait de porter en lui une douleur profonde, une douleur qui s'enracinait dans les tréfonds de son être. Cette blessure invisible, indélébile, qui ne cesserait jamais de le hanter.
Derrière ce masque d'apparence insensible, Sabri était doté d'une force intérieure incommensurable. Chaque éclat de moquerie se transformait en une flamme ardente qui embrasait sa volonté. Il se nourrissait des obstacles qui se dressaient devant lui, car il savait que la plus grande des richesses résidait en lui-même, c’est sa détermination à se frayer un chemin dans ce monde empreint d'injustice.
Quelques mois plus tard, Sabri se laissa totalement happer par cette nouvelle vie citadine. Son rêve initial s’éloignait peu à peu. Les livres, autrefois ses seuls compagnons de solitude, s’empoussiéraient.
Dans le creuset de son isolement, Sabri était inconscient confronté à une tentation ardente, une pulsion charnelle qui brûlait en lui tel un feu insatiable. C'était une nuit où les étoiles semblaient guider ses pas vers une évasion, vers un monde qui va oblitérer les souvenirs cuisants des moqueries incessantes de ses pairs.
Sous la lueur tamisée du cabaret, Sabri découvrit Warda, la danseuse ensorcelante. Ses mouvements gracieux éveillaient en lui une passion dévorante, une soif d'oubli qui promettait un instant de répit des regards moqueurs et des jugements cruels.
Guidé par son désir charnel, l'étudiant s'approcha de la danseuse, captivé par sa beauté envoûtante. Leurs regards se croisèrent, et dans cet instant fugace, tous ses tourments s'effacèrent. Une alchimie mystérieuse naquit entre eux, une connexion qui transcendait les différences de statut. Dans ses bras, il se sentait enfin libre, délivré de l'étreinte écrasante de la réalité, enveloppé par un élixir enivrant d'oubli et de passion.
Emporté par une manifestation de plaisir charnel, Sabri ne savait plus ce qui lui arrivait : il se sentait déchiré, tiraillé entre un désir fou qui le poussait à céder et une sagesse qui le retenait. Warda se blottit contre lui, ses lèvres grignotant les siennes. Son front était couvert de gouttes froides, son cœur battait la chamade ; il ressentait l'envie de commettre le péché, une volupté intense qui le poussait à succomber, délibérément, aux jeux pervers de la séduction.
Craignant ces accointances douteuses, Sabri se retira et s'isola dans un coin sombre du cabaret. Complètement sidéré, il contempla le ciel étoilé comme s’il le voyait pour la première fois. Il savourait l’air du changement, frissonnant d'une joie intense qui surpassait celle que procuraient les lèvres de sa dulcinée.
Noyant son chagrin dans la fumée de sa cigarette, il se voyait l’ombre de lui-même. Sabri comprit que le vrai changement qu’il s’efforçait depuis longtemps de chercher était cette quête de la vérité à travers une différenciation subtile entre l’illusion du bonheur et le bonheur de l’illusion. Tel un fugitif qui cherche à s’auto-concilier avec son passé.
Comme toute passion éphémère, l'éclat de cette nuit s'éteignit, laissant derrière lui un goût amer de regret et une conscience troublée. À la lumière du jour, il réalisa que cette fuite vers les plaisirs charnels n'était qu'un mirage, une vaine tentative d'échapper à sa condition.
Les regards moqueurs de ses pairs demeuraient bien ancrés dans son esprit tourmenté. La danseuse, autrefois un refuge, était devenue une silhouette fantomatique, rappelant les péchés commis et les compromis faits en quête d'oubli.
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Résigné à son sort, Sabri fit le bilan de son voyage. Un voyage censé lui apporter des réponses claires sur sa quête intellectuelle et identitaire : une enfance gâchée, une adolescence ratée, un parcours universitaire interrompu, et le voilà qui se sentait victime d’une société malade. Il se sentait victime de ses propres choix, déshonoré par un destin injuste. Tout lui semblait hostile, au point qu’il commençait à croire en l’efficacité de l’amulette qu’il ne portait plus depuis qu’il avait quitté son village.
Chaque sourire cachait un ennui, chaque joie devançait une malédiction, tout plaisir se transformait en dégoût, et les baisers ne laissaient sur ses lèvres que l’amertume d’un destin détourné. Sabri avait conscience de fonder son avenir sur une réalité perfide et une mauvaise compréhension du fossé culturel qui sépare la vie paysanne de la culture citadine.
Dévoré par une inquiétude qui l’obsédait, l’adolescent était victime d’un déchirement culturel profond. Il éprouvait une grande difficulté à concilier son attachement aux traditions paysannes et sa fascination pour la modernité de la capitale, une modernité qui mêlait harmonieusement narcissisme et valeurs, selon un calcul dénué de tout scrupule.
Il se voyait impliqué dans un jeu dont le destin avait fixé arbitrairement les règles, et dont il était le seul perdant. Désormais, il serait condamné à revivre sans cesse ce qu’il avait fui. Confiné dans le désespoir, il avait frôlé l’échec et dilapidé toutes ses économies dans une aventure sans lendemain, alors qu’au même moment sa famille s’inquiétait de son pain quotidien.
Face à cette vérité décevante, Sabri était convaincu que le cabaret n’était que l’image d’une société animée par l’inégalité et l’injustice qui plonge les âmes sensibles dans un bonheur illusoire. Il se sentait coupable d’avoir affronté son destin sans l’avoir vaincu et il se méprisait d’avoir déçu sa pauvre mère, qui voyait dans son voyage, le voyage de tous ses espoirs.
Dépité et épuisé par sa souffrance muette, Sabri s’isola un moment dans un coin sombre pour se livrer à son imagination. Il se représentait la réaction de sa mère lors de son retour au village avec un échec en poche. Il la voyait pâle, levant sur lui des yeux méconnaissables, des yeux au regard changeant, reflétant à la fois un mélange de joie et d’angoisse. L’amertume se lisait facilement sur son visage, comme si elle avait fait un songe prémonitoire.
Les larmes coulaient le long de ses joues. Il lui était difficile de vivre une pareille situation, d’autant plus qu’il portait l’espoir de toute sa famille. Au lieu de sombrer dans le désespoir, Sabri décida de renouer avec le courage qui, d’un coup, envahit son corps fébrile. Il défia le manque de moyens, les ricanements des adeptes de l’apparence, en gardant simplement en tête l’image de sa mère, la pauvre paysanne.
Il trouvait sa force dans les moments de solitude où il se retirait du tumulte de l'université, se réfugiant dans la nature paisible. Les arbres majestueux étaient ses confidents silencieux, les ruisseaux du village murmuraient à son oreille des récits d'espoir et de résilience.
Ainsi, Sabri renonça à l'illusion fugace du cabaret et embrassa l'étincelle de dignité qui brûlait en lui. Désormais, il ne se laisserait plus influencé par les normes étriquées d'une société superficielle. Il écrirait sa propre histoire, façonnant son destin avec l'encre de la persévérance et l'ampleur de son esprit.
Telle une étoile solitaire brillant au milieu de l'obscurité, Sabri avait compris que les apparences trompeuses ne faisaient que voiler la véritable essence des êtres, et que le vrai succès résidait dans la force de caractère et la valeur des actions accomplies, indépendamment des étiquettes sociales ou matérielles.
Il comprit alors que la véritable évasion résidait dans l'affirmation de son être, dans la recherche de l'excellence académique et intellectuelle qui transcenderait les frontières de sa condition. Il devait se hisser au-dessus des railleries mesquines, s'élever avec courage et détermination vers les sommets du savoir.
Livré à son destin, Sabri redécouvrit les sentiers du bonheur. Le bonheur, concept ô combien galvaudé, n’était-il pas lui-même une fatalité qui dépend du jeu du hasard, lequel ne peut être atteint que par une prise de conscience des limites de notre compréhension ?
Comment peut-on extirper du monde son caractère absurde, où l’Homme n’est qu’un amas de cellules sur un gros caillou qui tourne autour d’une énorme boule de feu dans un univers froid et vide ?
L’absurde serait-il notre thérapie, appelée plus que jamais à nous soulager de cette quête épuisante de la recherche des sources du bonheur?
Le bonheur est-il dans le travail ? Probablement pas, car comment se fait-il que le lieu de travail soit à la fois perçu à la fois comme un lieu de conflit et d’aliénation ainsi que notre refuge et notre ultime aspiration pour l’épanouissement de soi ?
Le bonheur est-il donc l’ultime quête de l’idéal humain ?
Peut-on vivre dans un monde absurde où le bonheur semble dépendre du pur hasard ? Sinon, comment qualifier un monde où l’on continue à s’entretuer au nom de Dieu ? Un monde caractérisé par l’oppression, le désespoir, la terreur, la violence, l’immoralité, la pauvreté, la misère, l’analphabétisme et la maladie, où les riches exploitent les pauvres et où des oppresseurs sans pitié imposent leur joug aux faibles, et où, malgré tout, certains continuent de trouver des raisons d’être heureux ?
Le bonheur implique-t-il le choix d’être heureux ? Les apparences de bonheur ne sont-elles pas des pièges grossiers où la condition humaine se perd dans les détails ?
Étant une simple imagination d’être heureux comme l’admettait Albert Camus, Sabri voyait dans le bonheur une vision absurde de l’humanité. Il concluait que «le bonheur est pour les imbéciles » comme l’avait prédit André Malraux en ce sens qu’il est utopique de croire qu’on peut atteindre un état de bonheur absolu alors qu’on vit dans un monde relatif.
Sabri se sentait constamment prisonnier d'une réalité oppressante, dont il ne parvenait pas à s'échapper. Vivant dans la pauvreté au sein d'une société matérialiste, il percevait la réalisation de ses rêves comme un mirage presque inaccessible. Les enseignements de Camus, des stoïciens, d’Épictète et de Malraux résonnaient en lui comme des vérités profondes, nourrissant ses doutes sur la nature même du bonheur.
Les rires de ses compagnons citadins devenaient pour lui des symboles cruels d'une existence où la quête de bonheur apparaissait comme une illusion inaccessible. Dans cette atmosphère étouffante, Sabri se voyait comme un étranger, condamné à errer dans un monde où le bonheur n’était qu’un mirage insaisissable, se dérobant à chaque tentative désespérée de l'atteindre.
Les regards moqueurs et les sarcasmes incessants résonnaient dans sa tête, minant sa confiance et sapant sa volonté. Dans l'ombre de son désespoir, il chercha refuge dans une spirale destructrice de doutes. Les ténèbres de la dépression enveloppèrent son esprit, l'éloignant de la lumière qu'il avait autrefois si brillamment embrassée.
La charge des désillusions et des humiliations devint un fardeau si lourd qu’il ne pouvait plus le porter. Espérant échapper à jamais à la cruauté du monde qui l’entourait, Sabri choisit délibérément de tirer sa révérence, ne laissant derrière lui qu’un silence de regrets et un nom inscrit dans la rubrique nécrologique d’un journal oublié et poussiéreux.
En choisissant l’au-delà, Sabri souhaitait mettre un terme à une souffrance obsessionnelle, alimentée par la sacralisation des apparences et protester contre une société en pleine crise morale.
À en croire son journal intime, Sabri avait rejeté un monde où, selon lui, la dignité humaine se voyait chaque jour rabaissée, un monde où l’illusion de la réussite écrasait les âmes. Dans ses dernières lignes, il avouait avoir perdu foi en cette utopie. Lui qui avait cherché à trouver un sens, une vérité profonde, se retrouva emporté par la banalité d’une réalité trop cruelle.
Sa disparition tragique fit écho parmi ses camarades, réveillant une conscience collective sur la cruauté des moqueries et l'importance de la bienveillance. Les regards moqueurs se ternirent, les murmures s'éteignirent, mais le poids de la culpabilité et du regret resta comme une stigmatisation lourde sur ceux qui avaient participé à l'oppression silencieuse.
Son nom, gravé dans les mémoires de l'université, devint un symbole sombre, un rappel tragique de la nécessité d'établir une culture de compassion, où la frime et l'arrogance n'auraient plus leur place.
Profondément touchée par la tragédie, la mairie de la ville prit, dans un geste de rédemption, une décision audacieuse. Elle suggéra de rebaptiser le grand amphithéâtre de l'université en l'honneur de Sabri, symbole de la lutte contre la superficialité. Ce geste, supposé constituer un rappel constant de la nécessité d'une société plus humaine et bienveillante, ne fit même pas l’unanimité. Certains conseillers municipaux ne partageaient pas cette vision d'un hommage posthume. Pour eux, associer l'amphithéâtre à Sabri ne faisait que rappeler un chapitre sombre de son histoire.
L’hommage posthume qui lui fut destiné avait été rejeté soulignant à quel point la société reste divisée face à l’impératif d’un changement profond, d’une remise en question des valeurs souvent privilégiant l’apparence sur l’essence même de l’être humain.
Il ne reste aujourd’hui de Sabri que son journal intime, seul témoin des conditions sociales qui l’entouraient. À travers ces pages, Sabri dévoile son combat intérieur, ses rêves avortés et sa quête d’un monde meilleur. Ce journal témoigne d’un questionnement incessant sur les valeurs humaines, un appel silencieux à comprendre et à s’interroger sur les maux que dissimulent les mots.
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