La Russie a essayé de vendre une énorme quantité de pétrole... Mais personne n’en a voulu
Les négociants internationaux se tournent vers d’autres pays et le géant russe Rosneft a du mal à liquider son pétrole
La Russie a échoué à vendre une énorme cargaison de pétrole, signe que les sanctions sur le point d’être infligées à son géant pétrolier d’Etat font des ravages dans le secteur énergétique qui soutient son économie meurtrie.
Moscou a continué d’exporter de l’énergie à un rythme soutenu pendant les deux mois qui ont suivi son invasion de l’Ukraine, générant des recettes qui, selon Kiev, finance la machine de guerre du Kremlin. Beaucoup d’alliés des Etats-Unis n’ont pas inclus les livraisons de pétrole et de gaz dans leurs sanctions les plus sévères contre la Russie. Des importateurs d’Inde et d’ailleurs se sont précipités pour acheter des barils russes bon marché à l’heure où les prix de l’énergie flambent.
Mais les exportations se sont retrouvées dans l’impasse il y a quelques jours, lorsque, selon certains courtiers, Rosneft n’a pas réussi à trouver d’acheteurs pour une cargaison susceptible de remplir toute une flotte de pétroliers. Le producteur, dont le gouvernement russe possède une importante participation minoritaire, a lancé un appel d’offres pour son pétrole la semaine dernière selon les négociants et un document consulté par The Wall Street Journal.
Le porte-parole de Rosneft n’a pas désiré faire de commentaire dans l’immédiat.
Ces problèmes de vente indiquent que les sanctions européennes visant Rosneft et censées prendre effet le 15 mai commencent déjà à perturber la capacité de la Russie à expédier le brut de ses gisements aux acheteurs étrangers.
Les sanctions ne vont pas jusqu’à l’interdiction totale des importations russes. De nombreuses personnes s’attendent à ce que l’Europe finisse par opter pour un embargo total, par étapes, sur le pétrole russe - une mesure prônée par le président français fraîchement réélu, Emmanuel Macron, mais auquel l’Allemagne et la Hongrie, entre autres, résistent.
Contrairement aux Etats-Unis, la Russie ne dispose pas de beaucoup de place pour stocker son pétrole ; une baisse de la demande se répercute donc rapidement sur toute la chaîne d’approvisionnement et incite les producteurs à réduire la voilure
Mais les sanctions mises en place depuis la mi-mars par l’Union européenne, et imitées par la Suisse, vont interdire la revente du pétrole Rosneft en dehors de l’Europe. Cela comprend donc les ventes à destination du grand marché asiatique, notamment en Inde, qui absorbe une partie de l’offre de pétrole russe depuis l’invasion de l’Ukraine par Moscou.
Les négociants pourront toujours importer du brut et des produits raffinés de Rosneft en Europe et en Suisse, qui ont été exemptés afin de ne pas aggraver une pénurie de diesel et autres carburants. Mais en Europe, nombre d’entreprises ont rapidement réussi à trouver des fournisseurs ailleurs qu’en Russie. Par ailleurs, les sanctions visent aussi Transneft, l’immense système de pipelines d’Etat qui transporte le pétrole jusqu’aux ports, ce qui crée un obstacle supplémentaire à la gestion du pétrole russe.
Si Rosneft continue d’avoir du mal à écouler son pétrole, cela constituera un choc supplémentaire pour une économie déjà exclue d’une bonne partie de la finance et du commerce occidentaux. L’entreprise affirme qu’en tant que plus gros contribuable de Russie, elle compte pour un cinquième des recettes budgétaires. Au total, les ventes de pétrole et de gaz russes représentaient 45% du budget fédéral russe de 2021, selon l’Agence internationale de l’énergie.
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« S’ils ne peuvent pas vendre, ils devront se mettre à fermer les robinets », explique Adi Imsirovic, chercheur à l’Oxford Institute for Energy Studies et ancien responsable des ventes pétrolières internationales d’une filiale de Gazprom.
Rosneft, compagnie pétrolière gérée par Igor Setchine, un vieil allié de Poutine, a lancé un appel d’offres pour environ 5,1 millions de tonnes d’Oural (soit 38 millions de barils, suffisamment pour remplir 19 gros pétroliers) selon les courtiers et les documents consultés par The Wall Street Journal. La major a demandé un paiement en roubles, ce qui est inhabituel, et annoncé que le pétrole serait chargé sur des pétroliers dans des ports de la mer Baltique et de la mer Noire en mai et juin. De plus petits volumes d’autres types de bruts (comme du Siberian Light, de l’Espo et du Sokol) ont également été proposés.
Reuters a déjà annoncé que Rosneft n’arrivait pas à vendre son pétrole.
Rosneft concentre son activité sur le forage de pétrole et de gaz, ainsi que sur le raffinage de brut afin de le transformer en carburants utilisables. Cela fait un bon moment que le géant russe sous-traite la plus grande partie de l’activité de vente à une poignée de négociants, tels Trafigura, Vitol et Glencore, qui se chargent d’expédier le pétrole aux acheteurs du monde entier.
Cependant, ces sociétés de négoce sont en train de se retirer du marché russe avant que les sanctions européennes ne prennent tout leur effet. Selon certaines sources, Vitol, le plus grand courtier indépendant d’or noir du monde, présent à Moscou depuis trente ans, prévoit de cesser de négocier le pétrole russe d’ici la fin de l’année.
Selon des sources au fait du dossier, l’appel d’offres de Rosneft était une tentative d’exporter du brut dont les sociétés de courtage ne veulent plus se charger.
Contrairement aux Etats-Unis, la Russie ne dispose pas de beaucoup de place pour stocker son pétrole ; une baisse de la demande se répercute donc rapidement sur toute la chaîne d’approvisionnement et incite les producteurs à réduire la voilure. Et une fois que les puits sont mis à l’arrêt, il peut s’avérer difficile de les remettre en service à leur niveau antérieur.
Si la production a déjà baissé depuis l’invasion du 24 février, l’échelle des pertes est compliquée à évaluer dans la mesure où Moscou limite la publication des données d’un certain nombre de secteurs. Rosneft et de plus petits producteurs privés devraient se retrouver confrontés à des problèmes à plus long terme à la suite des sanctions visant la vente de pièces et de technologies occidentales à la Russie, affirment les analystes.
Signe que les raffineurs hors de Russie sont en quête de fournisseurs alternatifs, le brut Oural, le fleuron national, s’échange autour de 35 dollars le baril de moins que le Brent, la référence internationale, explique Tamas Varga, analyste de la maison de courtage PVM Oil Associates. Avant la guerre, les deux types de bruts se négociaient à seulement quelques dollars d’écart.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Bérengère Viennot)
P ar Joe Wallace et Anna Hirtenstein | The Wall Street Journal 27 avril 2022 - L'Opinion