La sobriété peut-elle réinventer le tourisme ?
Au cours de mes différentes expériences ces cinq dernières années, j’ai pu approcher du pire comme du meilleur dans le tourisme ; avec d’un côté le partage, la découverte, le développement économique des territoires, et de l’autre la destruction de l’environnement, le néo-colonialisme, le gommage de la diversité culturelle au profit de la standardisation de l’offre touristique.
Ce paradoxe du secteur touristique m’a conduit à m’interroger sur l’avenir du tourisme et sur la place de la sobriété dans cette industrie, thématique de mon mémoire professionnel.
Le voyage : un produit de consommation
Du XVIIème au XIXème siècle, le tourisme était lent, le trajet faisant partie intégrante du voyage. Depuis le XXème siècle, les innovations dans le secteur entraînent une rapidité dans le voyage de plus en plus prononcée tout en réduisant considérablement les coûts. Après la démocratisation du transport aérien, les lignes TGV ont été créées, le tourisme digital a explosé, nous pouvons aller partout, vite, à moindre coûts, avoir accès à tout, tout le temps, visiter des lieux à l’étranger à distance avant même de s’y rendre et dans quelques années nous pourrons même faire l’expérience du tourisme dans l’espace.
La frénésie du voyage : tout voir, tout faire, en un minimum de temps, est apparue en même temps que se développait une société de consommation, où tout produit doit pouvoir être acheté à toute heure et n’importe où, puis tout aussi vite délaissé et oublié.
Mais souhaitons-nous vraiment que le voyage soit l’équivalent d’un bien de consommation ?
Tourisme durable, slow-tourisme : des nouvelles formes de tourisme pour contrer le tourisme de masse ?
Les innovations du XXème et du XXIème siècle se retrouvent aussi dans les nouvelles formes de voyage, se voulant plus respectueuses des Hommes et de l’environnement en proposant des alternatives au tourisme de masse. Par exemple, le tourisme durable, dont les principes découlent de la Charte du tourisme durable (1995), est défini par l’Organisation Mondiale du Tourisme comme « un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ». Mais il est aussi une manière d’achever la mondialisation et la massification du tourisme, en mettant en tourisme des territoires qui échappaient au tourisme de masse. Tourisme de masse et tourisme durable peuvent d’ailleurs co-exister.
Le slow-tourisme est un autre exemple des nouvelles formes de tourisme, défini en France en 2009 par Babou et Callot comme « un tourisme à rythme lent, garant d’un ressourcement de l’être, peu émetteur de CO2, synonyme de patience, sérénité, découvertes approfondies, d’amélioration des connaissances et des acquis culturels ». Mais comme le tourisme durable, il a aussi ses limites, car s’il n’est pas modéré, nous pourrions aboutir à des « autoroutes » de vélos, à une prolifération de chemins détruisant certains espaces naturels, à de nouveaux aménagements touristiques pour accueillir ces voyageurs, donc finalement à une nouvelle forme du tourisme de masse.
Une pratique touristique n’est pas forcément mauvaise en soi, mais l’immodération conduit forcément à des impacts négatifs importants.
La sobriété : modérer les pratiques touristiques
Depuis l’Antiquité, des philosophes prônent la sobriété : Épicure, Aristote, Sénèque… Elle est aujourd’hui reprise par des essayistes comme Pierre Rabhi ou des sociologues comme Rodolphe Christin. Si les points de vue sur la sobriété sont divers, tous concordent vers un objectif commun : la modération dans nos pratiques. Adaptée au tourisme, la sobriété permettrait de redonner du sens au voyage, prendre le temps de découvrir, de rencontrer et de partager, quitte à partir plus longtemps, mais moins loin et moins souvent. C’est aussi questionner notre besoin de voyage : apprivoiser notre temps libre ne serait-ce pas déjà une réponse à la frénésie du voyage, dont l’une des premières motivations est de « rompre » voire de « fuir » notre quotidien ? La sobriété n’est donc pas une énième forme de voyage mais un procédé à appliquer au tourisme dans son ensemble, tant à l’offre qu’à la demande.
Mais comment appliquer réellement cette sobriété au secteur touristique ? Est-ce un concept opérationnel, ou bien un utopie pour les riches ? Je tenterai de répondre à ces questions dans mon mémoire professionnel, intitulé : « Travelitis furiosus ou la maladie du voyage – La sobriété : une cure innovante pour le tourisme », à travers la problématique suivante : « La sobriété peut-elle réinventer le tourisme ? ».
Pour aller plus loin :
- Daum Thomas, Girard Eudes, Du voyage rêvé au tourisme de masse, CNRS Éditions, Paris, 2018, 287 p.
- Rabhi Pierre, Vers la Sobriété Heureuse, Actes Sud, Mayenne, 2010, 143 p.
- Christin Rodolphe, Manuel de l’antitourisme, Ecosociété, 2ème édition, Montréal, 2017, 141 p.
- Hodgkinson Tom, L’art d’être oisif dans une monde de dingue, édition française, Les Liens Qui Libèrent, Mayenne, 2018, 336 p.
- Devanda Natacha, Interview de Rodolphe Christin, « Le tourisme est une industrie toxique », Charlie Hebdo, 18 juillet 2020
- Schaub Coralie, Interview de Rodolphe Christin, « La sobriété passe par une forme de relocalisation de notre temps libre », Libération, 1er juin 2020
Professeure agrégée en Economie et Gestion - Production de services / Formatrice Agreg on line
3 ansBravo Amandine, un beau sujet pour les professionnels du tourisme, et il vous correspond bien 👌
Co-Fondatrice de Toupik
3 ansSujet très intéressant, hâte de découvrir l'ouvrage 🤗
Formatrice en marketing et gestion de projet
3 ansChouette sujet Amandine ! Bises
Responsable pédagogique chez Keyce International Academy
3 ansQue dire, travail intéressant !
SWE -- Privacy, Security and other things ⛵
3 ansBonne intro, hâte de pouvoir lire la suite 👏