La solitude du dirigeant
L’anecdote
C’est une très bonne amie, de celle qui compose la famille qu’on s’est choisie. Nous ne nous étions pas revus depuis longtemps, mais jamais perdus de vue, et la discussion reprend comme si elle ne s’était jamais arrêtée. Nous échangeons de nos nouvelles et parlons de nos emplois du moment. Elle dirige un organisme prestigieux.
L’endroit n’était pas spécialement approprié pour aborder des sujets sensibles, nous l’avons fait ensuite par téléphone.
Elle me parle d’un problème managérial, un salarié difficile à gérer. Elle se contient, mais commence à douter et sent qu’elle va craquer. Elle ventile, cela lui fait du bien. Nous discutons calmement, paisiblement du sujet et elle commence à reprendre le dessus d’elle-même. C’est une femme très intelligente et très sensible. Les situations de double contrainte la tétanisent et c’est bien normal. En en discutant, en l’interrogeant, elle contient mieux ses émotions et comprend que cela ne vient pas d’elle ni du salarié, mais de leur interaction. Cela la soulage, elle peut maintenant aborder plus sereinement l’entretien auquel elle l’a convoqué.
L'analyse
La solitude du dirigeant n’est pas une idée reçue. C’est une réalité qu’il est parfois difficile à saisir pour qui ne s’est jamais retrouvé dans cette position. Le dirigeant élabore une stratégie en décidant de choix et en les faisant appliquer.
Le rôle est fascinant: déterminer une stratégie est grisant; imaginer quelque chose qui ne l’a jamais été, jouer des circonstances et de situations pour en tirer le meilleur de ce qu’elles renferment. Il y a là quelque chose de l’ordre du faiseur ou de l’artiste qui est magique. Pour reprendre l’étonnement de l’enfant qui demande au sculpteur comment il savait qu’il y avait un cheval dans le bloc de marbre, on peut poser la question du dirigeant de savoir comment il savait qu’il y avait tant de ressources et de richesses dans cette situation. C’est simplement l’expression de capabilités particulières.
Décider, trancher des choix, découle de la conception de la stratégie. Prendre ces décisions c’est modeler le possible pour le rendre actuel et concret. C’est hypothéquer des développements potentiels du monde pour ne retenir que ceux qu’on estime les meilleurs. On peut se tromper, c’est ce risque de perte qui fait la valeur des gains. C’est parce qu’on prend le risque d'en prendre qu’on peut gagner beaucoup. Cette prise de risques, c’est le dirigeant qui en porte la responsabilité. C’est lui qui sera blâmé si les choses tournent mal. C’est ce qui justifie sa rémunération, car c’est lui qui est récompensé quand les choses vont bien. Le risque est calculé sur l’appréhension, sur la compréhension et sur l’analyse de la situation, à partir des données à disposition du dirigeant. D’où l’importance de la communication et de la qualité des préconisations pour l’aider dans cette saisie globale de la situation et dans ses choix.
L’application de la stratégie à partir de choix ne peut, en général, être menée par le dirigeant seul, il doit alors communiquer, expliquer, marketer ses décisions et leurs sens, à travers la stratégie, pour que les autres puissent la développer en tactiques et techniques et la concrétiser. C’est là que le leadership et la capacité d’entraîner les autres sont nécessaires.
Accompagner le dirigeant ne signifie pas penser, concevoir, diriger ou communiquer à sa place, cela serait juste l’entraver. Accompagner le dirigeant consiste à lui donner les conditions de possibilités de l’expression de ses capabilités, cela revient à « manager » le dirigeant. Ces conditions sont avant tout la prise de recul, l’appréhension globale de la situation et la pondération objective des choix. Autrement dit l’indépendance de jugement dans un contexte donné. En découle une connaissance de soi. Plutôt que de partir de celle-ci, in abstracto, je préfère, pour ma part, partir de l’action concrète pour aboutir à cette maîtrise de soi. Cela passe par exemple par la prise de conscience de l’impact émotionnel d’une situation sur et par le dirigeant afin qu’il puisse prendre du recul subjectif sur celle-ci et l’aborder plus objectivement. La ventilation des émotions aide pour cela. La maïeutique, la modélisation de situation (cartographie, diagramme)s et le challenge logique des idées permettent de considérer les choix et les prises de décisions sous plusieurs angles et de les tester comme des hypothèses, ce qui permet de prendre du recul sur les urgences et sur les conséquences. L’explicitation est une bonne technique également pour la clarification des idées, qui servira à leurs communication et marketing.
Ces approches, de briefing et de débriefing utilisées en salle de crise en négociation complexe, sont très efficaces et peuvent, sinon doivent, être faites en situation, dans l’action, ce qui les rend très pragmatiques et concrètes. Elles ne sont pas incompatibles avec des techniques plus classiques de coaching, qui peuvent être complémentaires.
Prendre du recul pour imaginer le développement souhaité d’une situation, décider des choix qui permettent de l’atteindre, donner des instructions claires et engageantes pour le réaliser, voici en quoi consiste l’accompagnement du dirigeant. S’il reste seul il n’est plus isolé, il peut maintenant échanger, discuter, challenger en toute autonomie avec un partenaire externe, objectif et distancié capable d’empathie et d’écoute active.
Essayons!