La tétraplégie, un obstacle ? Vincent Ferry, chef d’entreprise, la transforme en création
Prenez le temps de regarder cette vidéo avant de lire la suite. Elle colle parfaitement au thème sur lequel je travaille : “Artiste, entrepreneur, même combat !”.
Formidable témoignage, en effet. La réussite exceptionnelle de l’entreprise de Vincent Ferry est pourtant le résultat d’une recette particulière dont l'originalité vient du fait qu’elle est unique, ne peut servir qu’une fois et que personne n’en prend connaissance avant de voir le plat sortir du four. D’ailleurs, personne ne savait qu’il y avait un four et encore moins qu’un plat mitonnait à l’intérieur. Dans l'entreprise de Vincent Ferry, chaque intervenant, patron, manager ou collaborateur est un ingrédient de la recette en question.
Je perçois que Vincent Ferry n’a pas recruté ses employés pour qu'ils puissent faire face, un jour, à la situation inattendue et dramatique de son handicap. Mais ses critères de recrutement étaient, inconsciemment, ceux qui permettraient de la gérer avec succès. Il manquait juste deux ingrédients pour la déclencher, toujours inconsciemment : un obstacle et une réponse.
Je comprends que Vincent Ferry était un patron présent, actif et au management de proximité. Il avait pourtant engagé un personnel autonome et responsable… ceinture et bretelles. Lorsque son accident l’a obligé à donner de l’espace à la relation qu’il avait avec son entreprise, il a permis à ses collaborateurs de se trouver en situation de créer, lui n’étant plus suffisamment proche pour les accompagner dans le façonnement des solutions.
En agissant ainsi, Vincent Ferry a inconsciemment transformé l’obstacle de sa tétraplégie en opportunité. S’il avait cherché à reprendre sa place telle qu’il l’occupait précédemment, il aurait voulu éliminer l’obstacle du handicap par une lutte et des moyens que lui seul pouvait mettre en œuvre. En ayant une posture d’acceptation de la réalité et de prise en compte des ressources dont il disposait, il n’était plus simplement question de lutte mais de construction.
En tant qu’artiste issu du monde de l’entreprise, je vis quotidiennement l’effet de la distance et de l’espace sur ma capacité à créer. La création s’est toujours invitée sans qu’elle soit attendue. Comme Vincent Ferry ne s’est pas dit « je vais doubler mon C.A. », je ne me suis jamais dit « allez ! je vais créer aujourd’hui ». Ou plutôt si... je me le suis dit, mais ça n’a jamais fonctionné. Son projet était de faire perdurer son entreprise. J’ai le sentiment qu’il a fait beaucoup mieux avec, en plus, de la fierté à revendre pour chacune des parties prenantes, clients, fournisseurs, collaborateurs et… lui-même.
Tout cela illustre quelques principes dont j’ai pris conscience par mes six années d’expérience artistique bien plus que pendant mes trente-deux années de collaborateur en entreprise :
- La création est toujours là où on ne l’attend pas
- Le rôle de l’artiste est de rendre l’environnement propice à l’émergence de la création sans jamais avoir la certitude qu’elle viendra
- C’est en ne cherchant pas que l’on trouve
- La création a besoin d’espace pour naître
- Créer, c’est transformer l’obstacle
En leur demandant d’agir selon leur intuition, en les rendant libres de créer, Vincent Ferry a rendu ses collaborateurs responsables de leurs actes. Quand il n’y a plus de parapet sur une passerelle en altitude, celui qui la parcourt doit s’engager plus intensément et rester sourd aux jugements, s’il veut garder concentration et équilibre. Lui seule est capable de savoir comment faire pour ne pas tomber. Cela développe l’autonomie et la fierté.
L’entrepreneur qui veut décliner cette recette pour son entreprise a toutes les chances de parvenir à un résultat différent. Il dépendra de l’esprit que le dirigeant insuffle à l’entreprise et ses équipes depuis l’origine et de la sincérité de ses actes en tant que recruteur, manager et personne relationnelle. Cela dépendra aussi des obstacles qui se dresseront, de la façon dont ils seront considérés et de la réponse donnée. Le problème est qu’on ne sait jamais ce qui va se passer et que la réalité se charge toujours de modifier les plans et prévisions. Peut-être est-ce dommage, peut-être est-ce tant mieux, en tous cas c’est ainsi !
Par sa posture, Vincent Ferry s’est comporté en artiste, créateur de quelque chose que personne n’attendait, inespéré, improbable. L’artiste ne sait pas plus qu’un autre ce qui va arriver. Mais sa sensibilité, son sens de l’observation, sa capacité à oser et la sincérité de ses actes font qu’il est en situation d’apporter une réponse à un problème qui n’existe pas encore.
L’expérience artistique m’a permis de prendre conscience de tout cela. La question de la création se pose à l’artiste comme à l’entreprise. Elle se traduit de façon différente mais elle a au moins une conséquence commune : l’épanouissement des êtres… et, corollairement, des entités.
Denis Fournier
www.denisfournier.com