LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE NE SE REVENDIQUE PAS, C’EST UN PROCESSUS INSTABLE EN COURS

La revendication d’une transition démocratique a repris de l’actualité avec la préparation et la tenue de l’élection présidentielle de septembre 2024.

La « déclaration ouverte » d’anciens animateurs du Hirak et la pétition de la diaspora algérienne la remettent au premier plan. Elle figure également dans les proclamations de partis politiques se réclamant de la démocratie.

Formulée lors des premières manifestations du Hirak, elle apparaissait comme une des options de l’alternative posée : élection présidentielle immédiate ou transition démocratique.

Le choix d’une telle option supposait que le commandement de l’ANP la partageât. Cela ne fut pas le cas.

L’élection présidentielle de décembre 2019 qui a vu le pouvoir en place renouveler sa composition et se renforcer écarta cette revendication. 

Le commandement militaire ne considérait pas que le Hirak, sans leader charismatique et sans programme rassembleur, pouvait constituer le partenaire d’une solution politique négociée.

Quelle signification revêtait alors la transition démocratique ?

La transition démocratique devait être comprise comme une période s’étalant sur une année ou quelques mois de plus pour créer les conditions favorables à l’expression des citoyens, à leur organisation et à leur participation à l’élection présidentielle reportée à cette fin.

Rapportée au contexte de la fin du 4ème mandat du feu président Bouteflika, la revendication d’une transition démocratique traduisait le grand espoir des manifestants de vivre dans des conditions de plus grandes libertés.

Des espoirs de changement du régime politique étaient également présents dans les esprits. Mais l’impréparation de la société civile et des forces politiques en présence ne permettaient pas de dessiner un projet cohérent.

Le slogan, « État civil et non militaire » qui a prédominé au cours de la deuxième période des manifestations du Hirak, après l’élection présidentielle et l’interruption covid, ne pouvait favoriser une perspective claire.

A postériori, il semble bien que ce slogan scellât une unité d’action avec divers milieux islamistes qui se sont fondus dans les manifestations.

Cette préoccupation a été nettement exprimée par ceux qui ont plaidé pour la présence d’une organisation islamiste au sein du Hirak.

Dans tous les cas, la transition démocratique imaginée en 2019-2021 ne peut être assimilée à une transition historique traduisant le passage d’un État autoritaire à un État de droit.

Ainsi, rapportée à la période qui vit la démission du défunt président Bouteflika et l’imminence d’une élection présidentielle, la revendication d’une transition démocratique apparait donc circonstancielle et avec des perspectives de court terme.

La pétition de la Diaspora et la « Déclaration ouverte » des anciens animateurs du Hirak publiées à la veille de la présidentielle du 07 septembre 2024 marquent une différence notable.

Les signataires de ces deux documents inscrivent la transition démocratique dans la perspective de l’instauration « d’un État de droit démocratique ».

Cette revendication est fondée ici sur le caractère déclaré illégitime du pouvoir. Il est opposé à ce pouvoir une souveraineté populaire « confisquée » qu’il s’agit de recouvrer.

Cependant, la « Déclaration ouverte » comme la pétition de la Diaspora reconnaissent l’existence d’un rapport de forces défavorable puisqu’elles en appellent toutes deux à la construction d’un nouveau rapport de forces.

Toutes deux restent muettes sur les moyens de parvenir à ce changement de rapport de forces. Il faut supposer qu’un mouvement populaire spontané, à l’exemple du Hirak, répondrait à leur attente.

Ce qui est une première illusion.

Un mouvement populaire peut ébranler un pouvoir. Il peut entrainer le départ de dirigeants.

Mais, aussi spectaculaire soit-il, il ne peut s’inscrire spontanément dans une trajectoire stratégique, celui de l’instauration d’un État de droit.

Un grand mouvement populaire est forcément une association de couches sociales diverses, de forces politiques distinctes unies par un grand objectif commun qui est de l’ordre de la contestation.

L’association autour d’un objectif de construction d’une perspective ne relève pas d’un mouvement spontané.

Elle exige une société civile avec des réseaux d’organisations politiques et d’associations professionnelles et culturelles qui font mûrir la perspective commune d’instauration des libertés individuelles.

C’est ce qui a manqué au Hirak.

Une deuxième illusion est entretenue par les partisans de la transition démocratique.

Affirmer que la transition démocratique est un projet, c’est considérer qu’il résultera d’une planification qui obéira à des règles, à des modalités et à des étapes. Comme tout phénomène planifiable, il obéira donc à une maitrise des moyens de réalisation.

Cette manière de concevoir l’évolution politique ignore toutes les incertitudes et discontinuités qui accompagnent les évolutions idéologiques et culturelles de la société.

L’idée de planification se conjugue ici avec une conception linéaire de l’évolution de la société.

Or, la transition démocratique qui s’en remet à une variable capricieuse, la souveraineté populaire ne garantit pas un résultat planifié.

L’Algérie en a déjà fait l’expérience.

L’ouverture démocratique de 1989 a conduit à un résultat inattendu du point de vue de la planification politique.

Alors que les « planificateurs » de l’État et du FLN prévoyaient un résultat électoral de 30% pour le FIS, ce dernier est sorti vainqueur des législatives de 1991.

Le processus électoral a failli conduire à un pouvoir totalitaire islamiste.

La revendication de transition démocratique telle que formulée par l’opposition démocratique entretient l’illusion d’une relation d’implication entre la souveraineté populaire et l’État de droit.

Il convient avant tout de sortir de cette confusion et considérer que l’État de droit ne dépend pas de la démocratie et de la souveraineté populaire.

L’Etat de droit tire ses fondements des droits naturels, des droits fondamentaux de la personne humaine qui sont imprescriptibles et inviolables.

L’État de droit est le protecteur de ces droits naturels de la personne humaine et on peut considérer que la souveraineté populaire peut aboutir à une remise en cause de ces droits qui concernent chaque Algérien.

C’est pourquoi, il faut considérer l’idée de transition démocratique comme un processus de longue haleine au cours duquel l’État et la société accèdent à la culture des droits humains fondamentaux.

C’est un chemin qui demande du temps. Les changements attendus se heurtent à l’appareil d’État formé dans la centralisation et l’autoritarisme.

Ils se heurtent aussi à la société algérienne imprégnée d’un héritage culturel collectiviste, de préjugés religieux, d’une tradition de soumission à l’État et de l’absence de pratique des libertés individuelles.

Toutes ces considérations indiquent la complexité de l’évolution solidaire de l’État et de la société algérienne.

Cette évolution ne peut être linéaire. Elle comporte inévitablement des avancées et des reculs. Elle est tributaire des mouvements culturels qui affectent les différentes couches de la société et des fluctuations idéologiques des élites intellectuelles et politiques.

On doit ainsi revenir à la définition de la transition comme un moment historique long où se réalise progressivement le passage d’un État totalitaire ou autoritaire à un État de droit.

La transition démocratique ne se décrète pas.

Elle ne se revendique pas.

Ce moment historique long intègre obligatoirement une transformation culturelle de la société, transformation qui l’a fait passer du culte de la communauté à la promotion de l’individu et par conséquent aux libertés individuelles.

En réalité cette transformation a commencé dès lors que l’Algérie a quitté le régime du socialisme et du parti unique en 1989.

Depuis ce début de sortie d’un régime quasi totalitaire, L’Algérie tend à avancer d’une manière non linéaire avec des reflux ou des reculs dans la voie de l’État de droit.

L’Algérie connait dans tous les domaines des situations hybrides. Dans le droit, dans l’économie, dans la politique et dans la culture coexistent selon des rapports de forces fluctuants des éléments étatistes et conservateurs et des ouvertures encore timides vers l’économie de marché et quelques libertés encore limitées.

Tous les évènements qui jalonnent cette période expriment le contenu instable et incertain de cette transition.

Cette approche de la transition démocratique assume les incertitudes, les discontinuités et par conséquent les avancées et les reculs. Elle conçoit donc un parcours escarpé lié aux changements négatifs et positifs qui affectent la vie de la société et de l’État.

Elle conçoit un objectif stratégique clair : L’État de droit.

Dans le contexte du choix républicain de l’Algérie, l’État de droit ne peut que garantir la voie démocratique et la souveraineté populaire.

L’État de droit est en même temps un préalable pour une démocratie aboutie et la condition pour que la souveraineté populaire ne soit pas dirigée contre les libertés individuelles et les libertés politiques.

Cette capacité résulte de la suprématie du droit qui s’impose aux institutions et à la société parce qu’il protège les libertés de chaque Algérien sans discrimination aucune.

Au lieu d’avancer un objectif à l’apparence globale mais en fait abstrait, il faut s’engager dans les tâches qui donnent corps à la transition démocratique en cours.

Les revendications de libération des détenus politiques, d’abrogation des lois ou des dispositions liberticides de ces lois, de rétablissement des libertés individuelles dans leur plénitude, de liberté de création artistique, de liberté de la presse, de liberté d’investissement et de respect de la propriété privée, d’une politique sociale équitable et maitrisée, s’inscrivent dans la voie de la construction progressive d’un État de droit.

Elles n’excluent aucune force politique. Elles permettent de favoriser les décantations politiques.

Les tâches de la transition démocratique doivent faire avancer la compréhension de l’État de droit comme réponse durable à l’aspiration des Algériens à la sécurité et au plein épanouissement individuel dans le respect de leurs libres choix de pensée, de mode de vie et de culture.

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