La Tunisie, l’UE et la mondialisation
Un nouveau round de négociations avec l’UE au sujet de l’ALECA, l’Accord de libre-échange complet et approfondi s’ouvre à Tunis
Sur ce sujet comme sur bien d’autres, la société civile est sortie de sa réserve pour revendiquer son droit à la parole. C’est nouveau, et c’est tant mieux ainsi, l’UE voulait la démocratie, elle est bien servie.
Les corps constitués, la Centrale patronale, le syndicat ouvrier, l’Union des agriculteurs, les groupements professionnels tout autant que de nombreuses associations et clubs de réflexion se sont largement exprimés. Ils ont fait part de leurs craintes et leurs appréhensions. Ils ont dit haut et fort - j’imagine qu’ils ne manqueront pas de le rappeler ce soir - à quel point ils redoutent un tel accord au motif qu’il mettrait en danger notre agriculture et nos activités de services qui ne seraient pas en capacité à ce jour de résister à la concurrence venue du Nord de la Méditerranée.
Ont-ils tort ? Ont-ils raison ? Une chose est sûre : leur crainte n’est pas illégitime. Ils refusent l’idée même de réciprocité et revendiquent une certaine forme d’asymétrie, une sorte de discrimination positive au regard de l’écart et du différentiel de développement entre les deux parties.
L’ALECA serait pour certains experts notre seule planche de salut. L’Accord serait perçu comme un accélérateur et un facilitateur de la modernisation de l’agriculture et des activités de services. Ce serait le déclic en quelque sorte pour amorcer leur mutation, leur transformation à l’instar de ce qui s’était fait lors de la signature de l’Accord de libre- échange en 1995 qui avait mis en perspective avec succès la mise à niveau des entreprises industrielles.
Reste que pour y parvenir, il faut d’énormes moyens financiers très au-delà des possibilités du pays. Il faut, en effet, engager de nécessaires et couteuses actions de mise à niveau des services et surtout des activités agricoles qui ne bénéficient pas chez nous de subventions alors même qu’elles sont loin de se hisser aux standards des rendements européens.
Au-delà de l’ALECA d’autres interrogations subsistent : Nos relations économiques et commerciales avec l’Europe sont si fortes et si imbriquées que cela nous met dans une situation de grande dépendance au risque de nous fragiliser.
L’UE absorbe 80% de nos exportations et 4 pays - la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne - nous achètent à eux seuls plus de 60% de nos produits à l’export.
C’est à la fois le signe de vitalité, de diversité, de complexité et de compétitivité -pourquoi pas- de l’économie tunisienne mais cela ne nous protège pas pour autant de menace, en nous rendant assez vulnérables aux chocs extérieurs, notamment en provenance d’Europe.
Un choc de croissance européenne, à cause de la remise en question du multilatéralisme et de la guerre commerciale lancée par le Président américain, Donald Trump, nous serait préjudiciable s’il venait à se produire.
Déjà, les restrictions douanières et autres imposées à la Chine en plein ralentissement de croissance commencent à produire leurs effets. Si la Chine venait à connaître la récession, l’Europe en sera impactée. La Tunisie, au regard de ses liens commerciaux avec l’Union européenne, sera à son tour pénalisée.
Sans compter le fait que si la Chine accuse le coup sur le marché américain, - comme d’autres pays – elle va se redéployer et mener ailleurs une offensive commerciale tous azimuts.
On peut alors craindre pour les entreprises tunisiennes, déjà ébranlées par la concurrence venue d’Asie. On ignore ce que nous réserve la Route de la Soie ? Et s’il ne s’agissait que d’une mondialisation à la chinoise pas plus heureuse que celle que nous avons connue jusque-là. On comprend à cet enchaînement pourquoi nous avons titré : la Tunisie, l’UE et la mondialisation.
Hédi Mechri. 2 mai 2019