La vraie question que pose le télétravail : c’est l’utilité du travail !
Et si tout cela était du vent ?
J’avoue avoir été très surprise ces derniers jours par des retours du grand confinement. Des personnes qui après deux mois de télétravail intensif me disaient en substance : « Mais si tout cela c’était du vent ? » Tout cela ? Tout simplement les missions, qu’il ou elle assumait sans se poser de question depuis des années dans leur entreprise, des tâches occupant leurs semaines de travail et assurant leur salaire de fin de mois.
Des états d’âme passagers ? Une prise de conscience d’une réalité qui saute soudain aux yeux ? Certainement quelque chose entre les deux. Et certainement l’occasion de comprendre ce qui peut se jouer pour de nombreuses personnes.
Le confinement et le télétravail : une cure d’amaigrissement
Avec le télétravail, beaucoup de tout ce qui nous occupait a disparu : les trajets travail-domicile bien évidemment mais aussi tous les déplacements intra professionnels. Les moments de socialisation se sont réduits à peau de chagrin : les pauses, les déjeuners, les afterworks ont disparu pffff envolés ! Les conférences, les cours, les réunions et tout ce qui va autour sont devenus des webinars.
Et en effet, le bilan est là : le job est fait ! Est-ce que pour autant tout ce qu’il y avait autour, était superfétatoire ? Inutile ?
Prenons l’exemple d’une soutenance de thèse de doctorat : l’exposé du doctorant, les évaluations du jury, les réponses du doctorant, la délibération, la diplomation … tout est en effet possible en distanciel. Même la présence du public qui peut assister par caméra interposée. Ce qui pouvait prendre une journée prend 2 à 3 heures. Faut-il en conclure que les déplacements, le déjeuner du jury, le pot après thèse offert par le doctorant, les échanges « autour de la thèse » sont inutiles ? Ou du moins un luxe ?
Pour un cours, la transmission des connaissances peut être faite et même très bien faite en distanciel. Les discussions d’après cours, les questions qui « piquent », le brouhaha de la salle … apportent-ils vraiment un « plus » à ces enseignements ?
Dans une réunion, est-ce que les échanges de regard, les discussions off, les allers-retours dans le couloir … contribuent vraiment à la qualité de la réunion ?
J’ai le sentiment que beaucoup se posent la question.
Il y a quelque chose de cassé au royaume du travail
La prise de conscience se fait : ce qui était accepté en présentiel devient insupportable en distanciel. Ces réunions qui durent des heures avec de très longs monologues qui n’intéressent que celui qui « cause », ces enseignants qui se contentent de lire leurs slides, ces conférences mal préparés qui brassent des idées vagues et tournent au café du commerce. Ça se voit trop !
Le distanciel grossit le trait et zoome sur toutes ces dérives.
Temps au travail, temps de travail : quel écart acceptable ?
On peut aller plus loin : est-ce que toutes ces réunions, rencontres, colloques, séminaires … sont bien utiles ? Et est-ce qu’elles ne sont pas là comme une justification du temps de travail, voire de certaines fonctions dans l’entreprise ?
De nombreuses entreprises ont pu vérifier le temps de connexion de leurs salariés en télétravail pendant le confinement et en tirent d’ores et déjà des conclusions sur la réelle « utilité » du temps alloué. Un DRH évoquait récemment lors d’une émission de grande écoute les « temps inutiles » du management. Personne n’a relevé. Là est pourtant une vraie question.
Productifs, Improductifs ?
C’est un long débat qui existe depuis longtemps : il y aurait ceux qui font : les « productifs » et ceux qui regardent : « les improductifs ».
D’ailleurs, cette idée a perfusé pendant tout le confinement à longueur de reportages, il y avait les vrais « utiles », ceux et celles qui « font »... et les autres. Au-delà de la réhabilitation ou de la mise en valeur de métiers trop souvent ignorés ou méprisés, on ne s’est pas posé la question des « autres ». Une banque en a même fait son message « Nous ne sommes pas des héros, mais nous vous accompagnons ».
La vague du retour au « business »
Le déconfinement surfe sur cette vague en prônant l’urgence du « retour au business ». On l’observe dans nombre d’entreprises. Ce qui n’est pas directement « utile », lié à la production ou au cœur de métier, peut attendre.
L’attente forte vis à vis du télétravail accentue encore la faille puisque, dans bon nombre de cas, les vrais productifs (ouvriers, caissiers, infirmiers…) ne pourront bénéficier de ce dispositif, avec la tentation de pointer du doigt « ceux qui restent à la maison ».
Une vaste ubérisation du travail ?
La tentation est grande de vouloir « rationnaliser », en supprimant tous les temps « improductifs », puis, pourquoi pas, tous les « improductifs » ?
Ce serait une intense accélération, au nom de la reprise, de l’ubérisation du travail et un retour au travail « à la tâche » à domicile. Modèle d’avant le « factory system », d’ailleurs encore en vigueur dans de nombreux pays
Résister à la tentation et réinventer les modalités de travail
Je proposerais quatre pistes de façon très lapidaire :
- La première est de réfléchir à l’ « indirectement productif », ce qui consiste à mieux définir ce qu’on attend des temps non directement alloués à une production, ou à ce qu’on appelle les fonctions support. Ce qui reste encore souvent une vaste zone grise.
- La deuxième est de mettre en place des systèmes hybrides conjuguant présentiel et distanciel, qui amène à redéfinir le présentiel comme des temps et des lieux d’échanges et de socialisation.
- La troisième piste est de former massivement les salariés à des méthodologies, gestion du temps, gestion de projet, prise de parole en réunion, animation de groupes de travail … ce qui est jusqu’à présent dévolu à certains happy few.
- La dernière idée est de penser le temps long. Réduire la voilure, rationnaliser, peut être en effet une étape mais il faut aussi penser à recharger les batteries et se ressourcer pour la suite.
La capacité à innover, à créer, à affronter de nouvelles crises ne se construisent pas dans le « faire », à court terme et à tout prix, mais par la constitution de l’intelligence collective sur le temps long.
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Ingénieur en ETP-Coordonnateur de parcours en santé- Formateur- Digital Learning Designer
4 ansMerci pour cette réflexion pleine de bon sens
Consultant formateur en management & amélioration continue - Spécialisé en organisation visuelle agile
4 ansIsabelle Barth c'est une situation inédite 🤯 et forcément comme vous le dites elle nous apprends beaucoup 🌱 !!!
VP Business Development & RSE • Présidente de la CCI Paris • Co-fondatrice de l’AFMD
4 ansMerci Isabelle
Merci pour ce partage. L’article touche à plusieurs aspects importants du travail et de la vie en général. Il faudrait presque le décortiquer: Productivité, socialisation, “work-life balance”... j’ajoute la collaboration/co-creation (de temps en temps plus difficile à distance si l’on utilise pas les bons “outils”). Il est clair qu’il devient de plus en plus important comprendre ce qui nous donne de l’énergie et nous motive au travail!
présidente chez LE THOR TOUS ENSEMBLE POUR TOUS
4 ansIl s'agit bien de temps, vendre son temps et pourquoi ?