L'action climatique n'est pas seulement une contrainte
Un paysan se rafraîchit après une journée de canicule à Jammu (Inde), le 1ᵉʳ juin 2024. MUKESH GUPTA / AFP

L'action climatique n'est pas seulement une contrainte

Sale temps pour la lutte contre le changement climatique. Un peu partout dans le monde, le rythme de la décarbonation de l’économie est devenu un sujet de polarisation politique. La dynamique qu’avait enclenchée la signature de l’accord de Paris s’épuise. Face aux efforts et aux bouleversements à venir, le doute s’installe, les réticences grandissent. A moins d’une semaine des élections européennes, le pacte vert, à peine adopté par les Vingt-Sept, est déjà menacé. L’extrême droite et une partie de la droite européenne prônent un détricotage des mesures que la Commission européenne sortante a fait voter au cours des derniers mois.

N’en fait-on pas trop ? Ne va-t-on pas trop vite ? Ne risque-t-on pas de déstabiliser dangereusement nos économies et de sacrifier imprudemment notre niveau de vie ? Si ces questions sont légitimes, les réponses sont plus contre-intuitives que ne le laisse entendre le simplisme de certains programmes électoraux. Une étude empirique publiée il y a quelques jours par le National Bureau of Economic Research affirme ainsi que l’inaction climatique risque de coûter beaucoup plus cher que prévu.

Les auteurs, Adrien Bilal, chercheur à Harvard, et Diego Känzig, de la Northwestern University, ont développé une nouvelle approche statistique pour évaluer l’effet d’une hausse de la température moyenne mondiale sur l’activité économique. Ils ont calculé qu’une hausse de 2 °C à l’horizon 2100 entraînerait une baisse du PIB mondial de l’ordre de 50 %. « Cela se traduirait par une diminution moyenne du pouvoir d’achat de 31 %, soit un niveau équivalent à celui qui a été constaté au pic de la Grande Dépression américaine de 1929 », nous explique Adrien Bilal.

Le consensus bousculé

Ce travail est disruptif à plus d’un titre. D’abord il bat en brèche l’idée selon laquelle la procrastination et la résistance aux changements qu’exige la lutte contre le réchauffement climatique permettraient de protéger la croissance et de maintenir notre niveau de vie. Surtout, il bouscule le consensus qui prévalait jusqu’à présent à propos de l’effet relativement modéré du climat sur l’activité économique.

Tandis que les scientifiques alertent sur la menace d’une planète invivable au détour de la fin du siècle, la plupart des projections des macro-économistes – à commencer par le lauréat 2018 du prix de la Banque de Suède en sciences économiques, William Nordhaus – tablent en moyenne sur un impact du réchauffement climatique somme toute assez faible, de l’ordre d’un à deux points de PIB par degré supplémentaire à la surface du globe.

Ce paradoxe a intrigué les auteurs et les a incités à changer l’angle d’analyse. Jusqu’à présent, les économistes basaient leurs évaluations à partir des changements de températures locales, dans un pays donné, par exemple. L’étude de Bilal et Känzig renverse la table en prenant en compte la hausse des températures moyennes mondiales. Ils sont partis du principe que les événements climatiques (canicules, sécheresses, incendies, hausse de la température des océans, précipitations intenses, tempêtes) ont, bien sûr, des répercussions au niveau local, mais aussi des effets de long terme à l’échelle globale. Jusqu’à présent, ceux-ci n’étaient qu’imparfaitement pris en compte.

Ce changement de perspective permet d’obtenir une estimation causale du réchauffement au niveau mondial et non plus seulement une addition de corrélations pays par pays. Le résultat est spectaculaire : l’impact économique est six fois plus élevé que les conclusions auxquelles les chercheurs arrivaient jusqu’à présent. « Nous avons été nous-même surpris », reconnaît M. Bilal. « Cela nous a incités à intégrer beaucoup de variantes pour garantir la fiabilité du résultat », ajoute-t-il en précisant que les estimations finales sont plutôt conservatrices.

Un intérêt immédiat à agir

Dans l’attente d’une publication académique, cette étude pourrait changer considérablement la façon d’envisager la décarbonation. Dès lors que les impacts (sanitaires, assurantiels, baisse de la productivité, destruction de capital…) sont beaucoup plus élevés que ce qui était jusqu’à présent anticipé, l’incitation à investir dans la décarbonation est décuplée. L’étude estime le coût économique de l’émission de 1 tonne de carbone aux environs de 1 000 euros, à comparer avec les 160 euros en moyenne habituellement avancés par les économistes.

Le rapport coût-bénéfice de la lutte contre le changement climatique se retrouve donc complètement inversé. A l’aune de cette révision du prix de l’émission de 1 tonne de carbone, chacune des grandes zones économiques (Etats-Unis, Chine, Union européenne…), de par le poids de sa contribution au changement climatique, a un intérêt financier réel et immédiat à agir de façon unilatérale, sans attendre que le reste de la communauté internationale prenne des initiatives. La décarbonation n’est plus regardée comme un coût net, mais comme un gain à long terme, même si le sujet de son financement reste entier.

L’étude de Bilal et Känzig sera sans doute critiquée, disséquée, amendée, mais elle constitue une contribution utile au débat, au moment où les politiques climatiques sont contestées. L’action dans ce domaine ne peut être regardée seulement comme une contrainte. C’est surtout une façon de rendre le futur supportable.

Le coût de l’inaction climatique est encore largement édulcoré, voire carrément nié. Le réveil risque d’être brutal, car les compteurs tournent déjà. Bilal et Känzig estiment qu’entre 1960 et 2019, le réchauffement a déjà réduit le PIB par tête de 37 %. Comme la planète a connu sur cette période une croissance soutenue, cette ponction a été relativement indolore. Au regard de l’accélération du réchauffement climatique et de la multiplication des phénomènes extrêmes, l’anesthésiant pourrait se révéler beaucoup moins efficace à l’avenir.

Chalochet Guy

Expert ferroviaire - Maintenance des matériels roulants

6 mois

Et bla bla bla et bla bla bla. En 1989, une étude prévoyait 1m d'eau à Manhattan en 2000... Au fait, qui finance l'étude en question ?

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