" L’activité philosophique est proche de celle de l’écrivain de science-fiction." par Vincent Cespedes. Les interviews d'aurore.
Vincent Cespedes. Philosophe, écrivain, conférencier, compositeur.
Quel genre de philosophe-musicien-créatif-papa es-tu ?
Je développe une réflexion sur le potentiel humain en sondant les aspects non quantitatifs de la performance. Je ne sais si en tant que papa les résultats sont là mais philosophiquement je suis sollicité pour réhumaniser les organisations et maximiser les compétences humaines afin de construire de nouvelles narrations autour de l’optimisme, du bonheur, du futur, de l’intelligence, du vivre ensemble, du mélange humain.
C’est l’humain qui m’intéresse dans ses potentialités et ses liens, tant au niveau du groupe et de la sociologie, qu’au niveau de la psychologie et des potentialités individuelles.
C’est le phénomène humain que j’essaie de scruter: en tant que papa avec mes 3 bouts de chou de 2 ans à 7 ans, au niveau de la musique cette matrice émotionnelle qui nous touche tous et puis au travers de mes ouvrages de philosophie.
Qui dit efficacité , dit mesurabilité ?
Il s’agit en fait d’efficience, qui ne se voit pas. Les moyens vont colorer la fin. C’est pourquoi il faut faire attention aux moyens déployés. Effectivement, il y a des gains quand l’humain se déploie, en terme de joie de vivre et d’idées. Je suis très attentif à l’esprit critique et à comment les nouvelles idées émergent. L’efficience humaine se conjugue avec le bonheur du partage, l’inspiration et le travailler ensemble à un niveau professionnel.
Pourquoi es-tu devenu philosophe?
On ne devient pas philosophe, on écrit des livres de philosophie, on fait des conférences de philosophie…
Mon père était très versé dans la psychologie, la psychanalyse. La bibliothèque familiale ne parle que de psychologie. Quand j’ai rencontré la philosophie en terminale, j’ai senti qu’elle allait à la fois englober la psychologie et la dépasser pour me mettre sur ma propre voie. Dès la première année à l’université, j’étais dans l’idée de concevoir un système de philosophie.
Du coté de ma mère, c’est une tradition de recherche sur soi et de musique. Dès la première année de piano à haut niveau, j’étais dans l’idée de composer ma propre musique.
Comme avec les Lego quand j’étais petit, je détruis le modèle pour inventer. Décomposer les choses dans leurs éléments pour pouvoir les recomposer. J’ai toujours eu cette démarche créative avec la musique et la philosophie.
Ce qui m’amuse n’est pas la répétition des grands systèmes mais la création de systèmes qui seraient plus justes pour penser le monde et agir dans le monde. L’idée est de perfectionner la boussole qui oriente, la paire de lunettes qui permet de voir, c’est à dire d’apprendre à décomposer les pensées des philosophes pour mieux coller aux enjeux du présent.
Que pourrais-tu partager avec nous à ton sujet que personne ne sait ?
J’ai fait beaucoup d’arts martiaux à très haut niveau et j’ai été cascadeur. On peut me voir dans "Le pacte des loups" de Christophe Gans par exemple.
Trop jeune et impétueux et j’ai été pris du vertige d’hubris lié au corps. Je l’utilisais mal, c’est pour cette raison que j’ai arrêté.
Je suis allé très loin dans la compréhension de cette pensée des arts martiaux chinois, du taoïsme et même, puisque mon maître Kung Fu était coréen, de certaines pratiques coréennes comme la manupuncture – l’art de guérir par la pression des mains. C’est aussi un mode de pensée alternatif inspirant pour pleins de domaines.
Si tu étais…
Un sport ? Le jeu d’échec. J’adore, je fais 3 à 4 parties par jour.
Un défaut ? Pour moi, les défauts n’existent pas. Pour répondre, peut-être l’orgueil. On a tous à y travailler.
Un des 4 éléments ? Le feu. Il brûle et régénère. Il est fascinant. Gaston Bachelar le philosophe a écrit de longues pages sur la flamme d’une chandelle et sa danse fascinante.
Un style musical ? L’orchestre néo-classique, à la Sibelius, polyrythmique, poly-instrumental, très écrit, très lisible, qui nous emporte dans 1 000 émotions.
Un bon vin ? Un bon vin de Tokaj hongrois.
Une madeleine de Proust ? A l’origine c’est une biscotte mais Proust à changer pour la madeleine qui est plus sexy. La madeleine de Proust est un fake… trop parfaite pour être vraie ! Donc je serais une biscotte, l’origine du mythe. Pour aller voir la vérité du sentiment, indépendamment du lyrisme bucolique.
Une parole d’enfant ? N’importe quels mots d’enfant avec le mot mort dedans. Les enfants parlent très bien de la mort avec une sorte de pureté et d’absence de peur. Ils en sont intrigués et veulent comprendre les règles du jeu. Leur questionnement est basique et sain au sujet de la mort.
Une émotion ? La complicité. On sait que la personne complice nous suivra jusqu’à la fin de nos jours, au moins dans notre cœur. Être complices. Nouer quelque chose à deux. Être dans le même bateau affectif. On sait qu’une amitié est née de cette émotion là. Une amitié que l’on ne peut annuler comme sur les réseaux sociaux, qui ne peut pas s’en aller, s’enlever. Je trouve ça beau. C’est l’émotion de l’avènement d’une complicité humaine.
Une muse ? La muse de l’histoire Clio, fille de Zeus et de Mnémosyne. J’aime que l’histoire soit représentée par une divinité ou une créature surnaturelle. L’histoire est une narration, un art. Si c’est un art, il faut une muse. Au travers de faits empilés, la narration est tissée, brodée. La muse de l’histoire c’est toujours cette idée que les histoires sont des histoires, ce ne sont pas des faits. De l’humain est passé et dès qu’on change la narration, on change la fable qu’est l’histoire. Il y a des vérités historiques. Ce qui m’intéresse c’est le surplus narratif à mettre aux évènements pour leur donner du sens, raconter l’histoire.
Un sujet dérangeant ? J’ai abordé dans ma vie quelques sujets dérangeants.
- Le couple obligatoire est aujourd'hui un vrai dogme, alors qu'il ne l’est pas. C’est la remise en question de l’encouplement. Cette année j’ai organisé et animé pour la première fois l'atelier « Le célibat solaire. Initiation au libre amour ». C’est à dire, je suis un célibataire heureux et cela ne m’empêche pas d’aimer, de fixer des liens, avoir de l’amour et faire des bébés. Il est à présent pérennisé tous les premiers samedis du mois à Paris.
- L’orthographe, mon livre « Mot pour mot. Quel orthographe pour demain ? ». J'y remets en question la nécessité d’une orthographe précise.
- La question des drogues m’intéresse et dérange beaucoup aussi. On tolère la drogue qu’est l’alcool et on n’en tolère pas d’autres. Je ne suis pas consommateur mais je trouve qu’il y a beaucoup de criminalité liée à des choses illicites en lien avec les drogues. Cela mérite un débat de société de longue haleine, que le peuple discute avec de vraies informations sur les trafics, la clandestinité, les mafias...pendant un an. "Qu’entraîne le coté illicite de la drogue ?" "Pourquoi on autorise des drogues mais pas d’autres comme le tabac, l’alcool ?"...
- L’abolition de la prison et la recherche d’autres voies pour réinsérer les délinquants et criminels. La prison est totalement contre-productive. Il nous faut inventer une alternative à la prison, qui broie les individus et augmente le mal.
Une bonne nouvelle ? Le flou est là et il restera. Toutes les tentatives pour en sortir seront vaines. Plus on est dans le flou plus on se rapproche de ce qu’est le réel, la vérité. Plus on s’approche de la vérité plus on est dans le flou. La bonne nouvelle est que le flou est mon meilleur ami et non pas une crise passagère.
Un flou ? Artistique. Intriguant. Qu’on a envie de percer et qu’en s’y essayant on réinvente le monde.
Une de tes compositions ? La plus folle est un rap "Just a dream". Je l’ai écrite en une nuit, en transe de fatigue, avec 3 autres. J’aime beaucoup. C’est la magie de la vie qui n’est qu’un rêve. Et il faut y aller, ne pas rester spectateur. Participer. La vie est un rêve actif. Tout mon combat philosophique est d’engager les acteurs de leur vie à être pleinement acteurs et à scénariser leur propre vie. Même si la vie n’est qu’un rêve il faut être le scénariste de sa vie.
Du soir ou du matin? Du soir.
Thé ou café ? J’aime beaucoup les deux. Le café m’apporte une chaleur que ne m'apporte pas le thé. J’adore le thé fumé, le Lapsang Suchan.
Blonde ou brune? Je ne suis pas tellement bières. J’ai découvert la bière d’Orval en Belgique qui est pas mal. Si on parle de cigarettes, je ne fume pas. Pour le reste, je ne fonctionne pas sur la pilosité des femmes ; il n’y a pas de choix, les deux.
Cyber-philo ou présence apprenante ? Cyber philo, j’appelle ça de la philosophie directe et c'est très intéressant. Le coté en présence est pratiqué depuis 2 000 ans, il n’y a rien de nouveau. Ce qu’il y a de nouveau c'est la cybermodernité qui qualifie notre modernité avec le virtuel, qui s’invite de plus en plus dans le réel. Depuis 2016, j'ai testé les Agoravidéos Live, d’abord sur Facebook, puis sur ma chaîne Youtube tous les dimanches à 20h20. J’y reçois, des philosophes, des artistes, des politiciens… Durant les 55 jours de confinement, j’en ai fait 110. Un exploit sportif parce que c’est d’une intensité qui demande une grande gymnastique intellectuelle. J’aime le coté physique quand la pensée transpire et le coté intellectuel quand les corps ne sont pas en présence, que les egos ne sont plus là. Alors nous sommes purement dans la magie de l’argumentation. Il y a tout un nouveau champ pour la philosophie que je veux investir comme pour les jeux de rôles, ce que j’ai expérimenté en live en 2016 avec Primate Joke.
C’est une sorte de laboratoire sur tout ce que la vidéo live peut apporter aux débats d’idées, à la création, à l’imaginaire, au monde utopique. J’ai emmagasiné des choses tout à fait nouvelles qui m’ont servi d’ailleurs pour mon prochain livre qui parle de cette révolution cybermoderne, y compris dans le domaine de l’intelligence.
Enchantement féminin ou complétude des genres ? Pour moi les genres n’existent pas. Après je suis très formaté moi-même. Je peux me qualifier comme hétérosexuel selon des critères qui sont archaïques. J’aimerais vraiment me penser en dehors de ces catégories. On a un certain tropisme c'est vrai.
A la fois j’ai envie de me dégager de tout ça et à la fois par mon côté dinosaure c’est le féminin qui m’attire et m’enchante. Culturellement, je trouve que c’est plus facile d’avoir accès à des êtres humains connectés à leurs émotions dans la gente féminine que masculine. J’ai bien sûr des amis hommes; ils sont plus rares et plus jeunes. J’ai l’impression que passé 40 ans, c’est beaucoup plus dur de les rencontrer affectivement que les femmes qui au contraire avec l’âge se libèrent d’entraves sociétales qui n’ont plus cours quand elles passent la cinquantaine. Elles deviennent très libres. Quand les hommes passent la cinquantaine, j’ai l’impression qu’ils sont très enfermés. J’ai 47 ans, je trouve mon bonheur auprès des femmes parce qu’elles ont plus de sincérité affective. Tout simplement. Je le déplore et je veux que ça change. C’est pour ça que j’ai écrit « L’homme expliqué aux femmes » pour expliquer aux hommes qu’il faudrait être dans un monde où la sensibilité fait partie intégrante de la personnalité et qu’ils n’ont pas besoin de la fossiliser ou de bluffer pour être puissants.
Comment rêves-tu le monde ?
C’est l’objet de mon prochain livre. C’est un rêve d’un monde futur. Je le rêve en essayant d’imaginer quels pourraient être les nouveaux dangers et les nouveaux soins à apporter au monde. Pour moi l’activité philosophique est proche de celle de l’écrivain de science-fiction, même si on parle du présent en philosophie. C’est l’idée de voir les nouveaux dangers, les nouvelles menaces et puis les nouvelles formes d’extase, de soins et d’apaisement. Donc être du côté du poison et du côté du remède. Intensifier ces 2 pôles pour essayer de penser autrement que nos contemporains et apporter du nouveau dans le débat.
Sortie prévue début 2021« Le monde est flou. L’avenir des intelligences. » chez Plon.
Quels sont tes projets? J’en ai plein.
- J’ai renoué avec l’écriture créatrice. J’enchaînerai d'ailleurs avec un deuxième livre sur la philosophie française. Je veux garder ce lien avec l’écriture que le monde de la modernité peut facilement nous faire perdre, tout comme celui de l’oralité avec les conférences. J’ai beaucoup écrit depuis l’âge de 27 ans, une quinzaine d’ouvrages dont certains de 500 pages riches et documentés qui m’ont demandé beaucoup de travail. Je m’étais accordé une année sabbatique qui est devenue plusieurs années. Mon grand projet est d’enchaîner avec l’écriture. J’ai deux, trois livres en tête prêts à naître.
- Coté musique, j’ai plein d’albums et de chansons en projet, de musiques de films.
- L’atelier sur « Le célibat solaire. Initiation au libre amour », tous les 1ers samedi du mois à Paris. Il suffit de rejoindre le groupe Facebook
- Les live philosophiques, les laboratoires d’idées, tous les dimanches à 20h20 sur ma chaîne Youtube.
J'ai beaucoup d’autres projets que l'on peut retrouver sur ma chaine Youtube: Intelligence Artificielle, Modernité, Science Fiction... C’est super actif.
Toute l'actualité de Vincent sur son site www.vincentcespedes.com
Pour suivre Vincent sur Linkedin, sur Twitter, sur sa chaîne Youtube
Pour suivre Vincent le compositeur