"La"diet'éthique", ou manger selon ses valeurs"
PUBLIÉ LE 30/04/2020 dans LSA
DOSSIER L'analyse de Christophe Manceau (Directeur du planning stratégique - Kantar Division Media) :
- Christophe Manceau (Directeur du planning stratégique - Kantar Division Media) : "La"diet'éthique", ou manger selon ses valeurs"
La simple observation des marques alimentaires au sein de nos hypers et supermarchés et de leurs messages publicitaires nous permet de constater qu’une sorte de transition alimentaire s’est opérée ces dernières années. Cette tendance d’une alimentation plus saine, plus naturelle et, de surcroît, plus locale s’explique par différentes évolutions.
Notre rapport à la consommation a changé, c’est un fait. Le phénomène de globalisation a permis d’offrir à tous l’accès à la consommation de biens. Mais son développement, la démocratisation de l’information ainsi que la montée en puissance des réseaux sociaux ont fini par dévoiler des aspects plus obscurs de ce système : dégradation de l’environnement, non-respect des droits de l’homme, risques sanitaires. Cette prise de conscience s’est illustrée peu à peu dans nos habitudes de consommation. La crise de confiance envers les différents pouvoirs politiques donne un nouveau pouvoir, un nouveau sens à notre consommation. Consommer serait notre nouvel acte politique pour indiquer notre choix de société. Dans ce contexte, notre carte bancaire devient plus puissante qu’un bulletin de vote. Apparaît une consommation consciente, qui se traduit par des achats plus réfléchis, où le facteur éthique prend une place croissante dans les décisions, bousculant le repère prix que nous avions encore voici quelques années. Bien que le prix reste le premier facteur de décision, les valeurs que véhicule la marque, ainsi que son aptitude à mener un changement social positif comptent dorénavant réellement dans l’esprit des consommateurs. La compréhension de ces nouveaux comportements explique en partie le positionnement des marques entrant sur différents marchés.
Paraître plutôt qu’avoir
Nous tendons vers une consommation spirituelle, même si cette notion peut sembler s’opposer à l’accumulation de biens. Privilégiant l’être à l’avoir, nous sommes aujourd’hui de plus en plus consommateurs de spiritualités, de méthodes et de courants de pensée, impliquant donc une certaine forme de volatilité à ces conceptions.
Il peut également être considéré que ce n’est pas l’être qui est privilégié, mais le paraître. La question se pose alors de transposer le terme de société de consommation vers celui d’une société de communication. L’idée selon laquelle le bien-être passe par une accumulation de biens matériels, parfois démesurée, est donc en cours de désuétude. Aujourd’hui, le « moins mais mieux » émerge, avec des consommateurs de plus en plus exigeants quant à l’origine de leur consommation, sa composition, sa fabrication et l’expérience qui l’accompagne. L’individu, dans sa quête de sens, cherche à maximiser son bien-être individuel mais, désormais, également, le bien-être de sa sphère sympathique (son environnement proche).
Le bien-être global de l’individu passe par un mode de vie sain comprenant par exemple une activité physique régulière, un sommeil respecté, du temps accordé pour méditer, mais également une alimentation saine et équilibrée. Cela nous amène à une vision plus globale de la santé, comme la définit l’OMS : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »
Notre rapport à la santé n’est plus seulement lié aux médecins et aux médicaments mais aussi à notre propension à contrôler notre équilibre de vie individuel. Notre attention est désormais toujours plus importante sur la façon dont nous nous alimentons. Or, le régime alimentaire occidental, riche en viandes, sucres, sel, calories et, plus généralement, en plats industriels très transformés, a prouvé avoir des conséquences néfastes sur notre santé. En témoignent les chiffres croissants des populations touchées par des maladies telles que le diabète, l’obésité, etc. Face à la présence croissante de conservateurs, d’additifs et d’arômes artificiels dans les produits que nous consommons, les produits simples et naturels, qui paraissent plus sains, sont de plus en plus privilégiés par les consommateurs.
Cette recherche de bien-être individuel via une alimentation équilibrée s’observe chez les consommateurs français : 52,7 % d’entre eux (source : Kantar TGI) attestent manger plus sainement qu’avant.
Mais comme nous l’abordions précédemment, dans leur quête de sens, les individus vont également chercher à maximiser le bien-être collectif. Dans ce contexte, la consommation de viande est souvent pointée du doigt tant pour le rapport à l’animal lui-même que pour son impact environnemental.
Respecter le vivant
Le rapport que nous entretenons avec le vivant est très certainement une clé de notre alimentation à venir. La consommation de produits carnés recule alors que l’on voit surgir de plus en plus de produits végétaux. La pression des associations de protection animale a logiquement joué un rôle majeur dans la prise de conscience des consommateurs et dans l’émergence de nouvelles attentes sociétales.
À l’écoute des transformations du marché, de nombreux éleveurs ont donc fait évoluer leurs méthodes d’élevage (puce RFID, arrêt des antibiotiques, fin de la castration, etc.) afin de garantir aux consommateurs une viande issue d’un animal qui n’a subi aucune maltraitance. Si la transformation des méthodes de production est une avancée dans la lutte pour la protection des animaux, la transition vers un régime alimentaire végétal permet de franchir un pas considérable. C’est donc sans surprise que le rapport au vivant est l’un des leviers sur lequel s’appuient et s’appuieront les marques développant une offre végétale. Au « je suis ce que je mange », proposé par le sociologue français Claude Fischler en 1990, succède un « je mange ce que je suis, c’est-à-dire ce que je veux être », où le mangeur va être porté à retrouver dans ce qu’il mange quelque chose qui est en accord avec sa vision du monde, son rapport à soi et aux autres, notamment les animaux. La « diet’éthique » sera l’un des piliers sur lequel marques et consommateurs pourront se retrouver à l’avenir. Il ne suffit plus pour les industriels de produire des biens de consommation de qualité, il faut que ceux-ci soient produits de manière éthique : en étant respectueux des hommes et de la nature. Et pour cause : 67,2 % des Français sont très soucieux des problèmes liés à l’environnement.
Finalement, en s’impliquant davantage dans leurs actes d’achat, les consommateurs ont pris conscience de la complexité de la chaîne agroalimentaire. Quand auparavant le consommateur ne cherchait qu’à subvenir à ses besoins, il est dorénavant conscient des différentes conséquences que peut avoir sa consommation. Les individus se posent des questions : ce produit participe-t-il positivement à l’économie locale ? Consommer ce produit est-il vraiment bon pour ma santé ? Quel est l’impact environnemental de sa production ? Ou, encore, ce produit a-t-il participé à une forme de maltraitance animale ?