L'agrégation de comptes : une première désintermédiation de la relation client en passe d’être réussie par les Fintechs ?
L’agrégation de comptes consiste à fournir une vision consolidée de l’ensemble des comptes d’un client, quelle que soit leur banque de rattachement.
Ce service est à ce jour uniquement proposé par des fintechs comme Linxo ou Bankin en France ou encore Yodlee et Mint outre-Atlantique. Le succès de ces applications est réel comme en témoigne leur nombre respectif d’utilisateurs actifs : plus de 700.000 pour Linxo, Mint plus de 10 millions. Toutefois, l’utilisation de ces applications implique que les clients communiquent leurs propres identifiants bancaires à ces sociétés encore peu connues du grand public. Ces acteurs exercent donc leur activité en dehors de tout cadre règlementaire et pratiquent ce que l’on appelle du « scraping » en collectant les données d’authentification du client pour se connecter à sa place. Par ailleurs, ces applications ne proposent aujourd’hui que des fonctions de consultation et aucune fonction transactionnelle, de type virements.
Aujourd’hui, les frontières entre fintechs et banques s’estompent : les fintechs se développent fortement sur l’initiation de mouvements financiers, les banques commencent à proposer de l’agrégation de comptes externes.
Ainsi, en Europe, des nouveaux entrants - notamment SoFort - proposent d’initier des virements depuis un compte simplement en renseignant les codes d’authentification de banque à distance. En France, Boursorama a été la première banque à proposer un service d’agrégation de comptes externes : ses clients peuvent consulter sur le site client Boursorama l’ensemble de leurs comptes personnels, y compris ceux détenus au sein d’autres banques. Ces mouvements de fond se traduisent par des acquisitions remarquées dans le secteur comme le rachat de Fiduceo par Boursorama en mars 2015, ou encore la levée de fonds de Linxo auprès de Crédit Mutuel et du Crédit Agricole pour 2 millions d’euros.
C’est dans ce cadre, que la DSP 2, nouvelle directive sur les services de paiements, entre en jeu avec pour objectifs de favoriser la concurrence et la transparence dans les services de paiement en libéralisant le marché des paiements et de la consultation de comptes.
Venant après MIF2, elle promet de bousculer le monde bancaire dans son cœur d’activité, la gestion de comptes. D’une part, les banques devront désormais ouvrir leurs systèmes d’information à ces acteurs, en leur fournissant un accès propre et différencié des clients (la fin du « scraping ») et seront obligées de traiter les mouvements financiers initiés depuis ces plateformes « sans discrimination ». Dans ce cadre, les banques ne pourront plus limiter l’accès à ces services, comme c’est aujourd’hui le cas par de mesures techniques ou au travers de certaines conditions générales dénonçant toute responsabilité en cas d’utilisation de ces services. D’autre part, l’activité de ces fintechs sera régulée. Ces dernières devront détenir un agrément, disposer d’un capital et de fonds propres et seront sous le joug d’une surveillance organisée par l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution).
Les impacts d’une telle réforme sur les business models des banques ne peuvent être négligés.
Tout d’abord, le taux de multi-bancarisation n’a jamais été aussi haut en Europe faisant de l’agrégation de comptes un vrai plus. Aujourd’hui, près d’un client sur trois détient des comptes dans au moins deux enseignes. Dans ce contexte, l’agrégation de comptes répond à un réel besoin client. L’arrivée de nouveaux acteurs aux stratégies marketing agressives, ainsi que la loi sur la mobilité bancaire, devraient accentuer ce phénomène. De plus, l’offre des agrégateurs est de plus en plus mature : la nature des comptes gérés est de plus en plus complexe (aujourd’hui les comptes courants, comptes épargne, PEA et assurance-vie, demain les plans d’épargne entreprise et autres plans d’épargne retraite), les fonctionnalités de plus en plus riches (anticipation des soldes de fin de mois, répartition des dépenses par catégorie, analyse des comportements de dépenses ou d’épargne, etc). L’apport de valeur est réel, tangible et touche au cœur du métier de banque. Demain, nous pourrons donc depuis ces interfaces consulter l’ensemble de nos comptes, avec une restitution visuellement et analytiquement aboutie et effectuer des transactions de type virements. Dès lors, pourquoi se connecter à un espace client propre à une banque ?
L’avance technologique de certains nouveaux entrants est réelle et leur agilité, permise aussi bien par un état d’esprit que par des systèmes d’informations construits from scratch, devrait leur permettre de garder cet avantage.
L’agrégation de comptes pourrait donc conduire à désintermédier la relation client/banque elle-même et donner un ascendant marketing et commercial très fort à ces plateformes d’agrégation. Dès lors, les acteurs traditionnels de la banque pourraient voir leur position remise en cause et devenir à terme de simples producteurs de produits bancaires. Toutefois, les institutions financières disposent d’atouts majeurs : une relation client établie, la confiance de leurs clients, une puissance financière et une réelle force de frappe commerciale et marketing.
L’arrivée de ces nouveaux entrants offre une occasion unique d’améliorer la proposition de valeur faite aux clients et par la même occasion de se préparer à l’arrivée sur le marché bancaire d’acteurs comme Orange.
Pour en savoir plus : notre éclairage complet
Directeur financier - Crédit Agricole Transitions et Energies
8 ansArticle très intéressant Marc. Evolution ou Révolution du marché bancaire ? L'avenir nous le dira mais il faut travailler le sujet dès à présent.
Consultant Senior Titres ESG Retail
8 ansEst-ce que la partie 'Passif' est également dans le périmètre de consolidation ? Il serait intéressant qu'un utilisateur de ces applications Fintech puisse consulter également ses échéances de prêts (consommation, immobilier, revolving, étudiant, et prêts 'fintech' ...).
Directeur General Adjoint Industrialisation et Synergies Groupe CACF
8 ansLa digitalisation du retail bankîng induit un éclatement des barrières et frontières. S'il reste des limites réglementaires justifiées de protection systémique ou simplement de données, il n'en reste pas moins que ce paradigme bancaire est en pleine mutation. Les banques actuelles seront elles dinosaures ou mammifères? Personnellement, je pencherais our la deuxième hypothèse en France.
AI Tribe Manager | Strategy and Management Consulting
8 ansBelle analyse. Concise et efficace ! Bravo Marc Giordanengo !