L'apaisement
#RENCONTRE12, Librairie La Grande illusion, Hendaye 64), samedi 24 juin.
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Compte rendu 👇
Il y a de la beauté à observer un être apaisé, quand son corps a été brutalisé par plus deux décennies de travail. Antoine, pendant la rencontre : « Je n’avais jamais assisté à un concert, le samedi soir. Je travaillais en cuisine. Les dimanches où il y avait jour de vote, on ne nous disait pas : « prenez une heure pour aller voter ». On nous disait : « dépêchez-vous, il y a quatre-vingt couverts à préparer » ».
Je me souviendrais toujours de cette soirée de début d’hiver, au cours de l’immersion, où Antoine était comme abattu. J’avais compris qu’il avait passé sa vie à bien nourrir les gens. J’avais compris qu’il s’était oublié. « Je suis addict, au tabac, à l’alcool et au café ». C’est devenu le titre d’un chapitre. Antoine a 42 ans et son corps ébouillit.
Un livre est-il terminé au moment où il est publié ? Vit-t-il sa vie propre ?
J’ai l’impression que le livre poursuit son écriture, au fil des rencontres. Je continue de suivre les pas d’Antoine et Bianca. Antoine, plus précis et fin dans son analyse, au fil des années, des mois, des semaines.
Il dit le retour de la « ferme structure sociale, avec un cuisinier ». Les mots d’un avant-gardiste.
L’expérimentation Arotzenia se co-construit. « Je n’ai plus peur ». A la rentrée, Ximun sera en cuisine (il se forme déjà), et Mathilde, en provenance de la Casa consolat à Marseille, ravie d’expérimenter dans sa chère Arotzenia. Antoine a appris à faire confiance. A lâcher prise, en quelque sorte, et d’accepter que tout ne repose pas sur ses épaules. « Faire et construire ensemble ».
« Êtes-vous heureux? »
Antonin Vabre, le modérateur, dernière question : « Êtes-vous heureux ? » Antonin a dit que c’était une question bateau. Mais non, c’est un pensement vitreau. Antoine a répondu : « Je suis apaisé ».
Mais oui, voilà, c’était ça. Il rayonnait quand j’étais arrivé le midi même à Arotzenia. Je l’avais trouvé changé. Il était joyeux de me présenter Ximun et l’ami de celui-ci présent ce midi-là. Les deux ont lu le livre. Antoine joue l’intermédiaire : « Tu voudrais venir le présenter à la gaztetxe (la maison des jeunes) à Ascain » ?
Antoine, les yeux de l’enfant qui s’émerveille : « Tu te rends compte ? Ils ont 17 ou 18 ans. Cette génération ne lit plus. Et c’est leur idée, à eux ».
Dans le livre, Antoine dit : « Il faut ouvrir le chemin aux nouvelles générations ».
Apaisé.
Nous passons toutes et tous par des phases. La colère, la haine, sûrement ; la quiétude, balancement. « A quoi ça sert de dire « à bas le capitalisme » ? » questionne Antoine. « On va avoir besoin de tout le monde. Il ne faut pas faire de procès. On perd du temps à juger. Ton voisin, il pourra te donner un coup de main. Ne te fâche pas avec lui ».
Devant Arotzenia se stationnent « les Porsche et les vélos ». C’est sa fierté, d’accueillir tout le monde. Venez comme vous êtes. (Mais vous mangerez bien).
C’est dingue, cette conjonction. Une ronflante Ford Mustang stationne dans la cour de mes voisins. Deux jours avant, mes voisins étaient venus à la ferme Piétometi (la précédente rencontre). J’avais peur, pendant celle-ci, que le décalage soit trop important. Un message, à presque minuit, au retour. « Nous avons découvert un univers qui nous est étranger et en sommes ravis ! Voir cette jeunesse en pleine conscience et porteuse d’une belle énergie nous laisse rêveurs ».
Moi-même des liens s’étaient distendus, avec des amis, avec la famille, ces derniers mois.
« La radicalité, autrement »
J’étais dans la colère, dans l’agression, presque. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne faisaient pas autrement, pourquoi leur aveuglement.
Antoine : « Je ne dis plus rien. Je fais ». L’agir viscéral, selon le mot de la philosophe Birgit Muller (1).
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Embrasser et incarner, organiquement, cette philosophie.
Noémie Calais, dans son livre Plutôt nourrir (avec Clément Osé, Tana Editions) : « Dans le fond, je me demande si la colère et les larmes sont de bons carburants pour mobiliser les gens. Ce qui nous fait tenir, et tant pis si cela sonne naïf, c’est la joie ».
Vous savez quoi ? Ça marche. C’est la réponse d’aujourd’hui. Elle sera peut-être différente demain.
Marco et Clémence vivent aussi « la radicalité autrement », à la librairie La grande illusion. Ils abordent leurs propositions, sur l’environnement, le féminisme, le changement climatique, par « le prisme de la fiction », plutôt que par les essais, peu nombreux sur leurs étals.
Comme Antoine et Bianca, la librairie est vue comme un lieu accessible à toutes et tous.
Des ateliers théâtre, poterie, lithogravure y sont organisés. Leur librairie itinérante se balade aussi sur les marchés, sur des évènements. « Besoin de péter les clivages et ce côté de plus en plus binaire » résume Antoine.
Lieu
Un lieu populaire, où les gens s’accaparent l’espace. Réappropriation. Mario : « La littérature est une activité très valorisée. Même si tu lis un truc de merde, c’est bien vu, à la différences des écrans ».
Un lieu de poésie, où se construit un autre imaginaire. « Votre profil était poétique » a dit une dame à Antoine à la fin de la rencontre.
Un lieu où l’on prend le café à Lo vi, qui jouxte la librairie sur la place, avant la rencontre ; et un verre de vin chez Piarrès, en face de la librairie, après la rencontre.
Un lieu où l’on ralentit. Comme Bianca, « religieuse » sourit Antoine. Il peut y avoir dix personnes qui font la queue à Arotzenia. « Elle explique la carte, le projet avec chacune et chacun. Elle ne presse pas le temps. ».
Un lieu vivant. Antoine, et ses répliques à la Audiard : « Il avait raison, Warhol. L’époque et son quart d’heure de gloire. Merci, Andy. N’avons-nous pas besoin, désormais, d’humilité ? » Et d’humanité.
« De déposer la starification (des chefs). De déposer le fonds de commerce ». De revigorer la houe millénaire.
Un lieu joyeux.
Antoine : « Et si on voulait nourrir un humain de qualité, comme on mange du veau ou du fromage de qualité, comment s’y prendrait-on ? »
Un lieu apaisé ; livre ouvert qui nourrit le corps esprit.
« Peut-être qu’on sortirait de l’agro-industrie, du coup ».
La grande ablution ?
📸 Mario Bompard
Pour commander De la terre à l'assiette (Impacts Editions), c'est par là : https://www.decitre.fr/.../de-la-terre-a-l-assiette...