L'atalion ou la vengeance de la joie de vivre
Dire que la vie n’a pas de prix mais qu’elle a seulement un coût, c’est percevoir la vie de façon négative. Mais la vie peut également faire l'objet d'une appréciation positive lorsqu'elle est rattachée à la notion de prix. Il ne s'agit nullement d'essayer d'évaluer le prix de la vie comme le ferait par exemple un assureur avec ses tables statistiques de mortalité. Le prix de la vie s'apprécie en fonction de la vie et pas de la mort. Le prix conduit à considérer que la vie et les impenses (ou dépenses) qui lui sont associées constituent une ressource valorisable comme un actif financier générateur de droits et ne constituent pas seulement une charge financière génératrice d’obligations. Cette évaluation est liée à un choix que nous faisons : celui de traiter la vie positivement ou négativement.
Cette évaluation est précisément l’enjeu d’une décision qui peut être individuelle ou collective. L’enjeu du traitement comptable de la vie est celui du choix entre une malédiction et une bénédiction : soit nous continuons à percevoir la vie comme un fardeau, une souffrance, un purgatoire, un passage obligé, et donc une charge (Shakespeare : tu « dois » une mort à Dieu), soit nous considérons la vie comme une bénédiction, un processus créatif permanent, une manifestation quotidienne de notre richesse et donc une ressource. Il y a quelque chose de très Nietzschéen dans une telle décision. Le prix est l’attribution d’une valeur positive à la vie. Chacun est libre de fixer le prix qu’il veut à la vie qu’il veut. Distinguer entre ce que je vaux (débat stérile) et ce que je veux (débat fertile).
Comment l’homme peut-il se libérer de la dette éternelle du péché originel ? Comment peut-il s’affranchir de la mort du péché qui fait obstacle à la vie éternelle ? En rendant grâce à Dieu. Et comment rendre grâce à Dieu sinon en honorant la vie elle-même et à travers la vie elle-même tout le vivant ? Aimer Dieu de tout son cœur et de toutes ses forces signifie donc aimer la vie et le vivant. Dans cette perspective qu’est-ce que le prix ? Le prix est le témoignage fini de la valeur infinie que nous accordons à la vie que nous avons reçue en partage. Si le prix génère la dette il peut tout aussi bien nous en libérer. Comme toute technologie sociale et humaine, la monnaie est toujours ambivalente et dotée d’un sens double et réversible. N'oublions pas Baudelaire : "tout le progrès de la civilisation humaine consiste en un lent et progressif effacement des traces du péché originel".
Dans l’approche propositionnelle, le prix est l’expression quantifiée d’un projet de vie individuel ou collectif et c’est précisément la conscience que chacun a de son projet de vie qui le fait sortir de la faute et de la dette (passivité) à payer indéfiniment. Rien ne peut empêcher la vie de se déployer dans toute sa majesté et sa puissance car elle occupe la place d'honneur qui lui permet de se voir décerner le premier prix. Considérer la richesse humaine comme une ressource productrice d’un prix et pas uniquement comme un emploi produisant une charge donne à chacun la capacité à monétiser cette ressource pour la développer et l’entretenir conformément à sa promesse de valeur. Derrière les propositions de valeurs physiques que nous voyons existent des propositions de valeurs métaphysiques qu’il serait important de conscientiser afin de les mettre en discussion et les transformer.
Le philosophe Kant et ses successeurs nous ont répété que le domaine de la métaphysique était inaccessible aux humains mais il est pourtant accessible au langage. Ne serait-ce qu'au travers de nos croyances, nous sommes des êtres de métaphysique. La logique de la dette est rigoureusement identique dans les histoires bibliques et bancaires. Le fonctionnement monétaire lui-même est tout entier fondé sur la croyance puisque les termes « crédit, confiance, croyance » procèdent de la même racine commune « credere » qui signifie croire. Les analyses modernes distinguent dans l'intelligence ce qui relève du brain (cerveau, calcul) et ce qui relève du mind (conscience, état). Il est très regrettable que jusqu'à présent la représentation de la valeur économique se cantonne au brain et ne s'intéresse pas au mind.
L'analyse sémantique de la monnaie devrait être traitée avec la même importance que l'analyse économique. L'idée est qu'une monnaie constitue un instrument équilibré quand elle parvient à équilibrer le sens et la valeur. Dans tous les cas le vecteur commun de traitement du sens et de la valeur c'est la fonction propositionnelle. Monnaie sans sens n'a pas de conscience ; monnaie sans conscience n'a pas de valeur ; et monnaie sans valeur n’attire que le malheur. La puissance du super-calculateur ne parviendra pas à battre monnaie car elle n'associe aucune conscience ni aucune intentionnalité autre que le gain à un tel acte. Sur ce point il nous faut retenir la leçon des ancêtres et savoir écouter parfois Juno Monetas. "Monere" qui signifie étymologiquement savoir, informer, avertissement, conseil, conscience, vigilance, éveil, est d'une toute autre trempe que le fatidique "credere".
L’idée de faire de la création monétaire un langage commun (non ésotérique et non réservé à des spécialistes) est le meilleur remède pour effacer les traces du péché originel, et c’est en cela que nous ferons avancer la civilisation dans son ensemble. L’originalité remplace l’origine : Tout ceci relève donc d’un enjeu éminemment singulier et en même temps universel. La conscience subjective armée par le langage devient mère de toute mesure (démarche qui se situe à l’inverse de l’approche scientifique qui ne trouve de mesure que dans l’objectivité). Les valeurs de la subjectivité trouvent enfin droit de cité (ou droit de citation) dans la monnaie. C'est une nouvelle forme de démocratie économique et financière qui voit le jour. Les valeurs subjectives utilisent la monnaie pour se représenter.
L'axiome de représentativité qui consiste à représenter les valeurs subjectives paraîtra bien inutile à un banquier ou à un économiste orthodoxe habitués à traiter toutes les questions économiques sous l'angle de « l'équilibre de marché », et pourtant cet axiome constitue l'un des piliers d'une science économique au service de l'humain. Sans cela nous serions voués à nous déployer uniquement dans les choses et dans un univers de biens inanimés régis par des grandeurs statistiques. En se dotant d'une fonction de représentation, la monnaie devient porteuse d'une volonté : celle des valeurs que nous choisissons individuellement pour les réaliser collectivement. Cela suffirait à dessiner un nouvel horizon de vie à l'échelle du monde. Comme si le vivant était lié à notre faculté de donner la parole au sujet, tandis que l'existant se contenterait pour sa part d'énumérer la présence ou l'absence des objets.
L'axiome de proposition ouvre la monnaie aux réflexions sur l'articulation entre le sens et la valeur. Le sens est une discipline qui relève de l'histoire (comme l'a si bien intuitionné Karl Marx avec son matérialisme historique) tandis que la valeur est une discipline qui relève de l'économie (comme l'appréhende actuellement une telle discipline à travers son discours technique). Le sens tout comme la valeur utilisent certains concepts qui permettent une construction propositionnelle. Alors que les concepts de la valeur sont relativement connus, ceux du sens le sont beaucoup moins. Ils dérivent selon nous essentiellement d'un travail sur l'étymologie et ont pour objectif de produire de la conscience dans les échanges monétaires. C'est par le dépassement du simple objectif de calcul économétrique que la science économique rentrera réellement dans le domaine de la production et du partage de la valeur.