Le baas, l'"arabo-islamisme" et l'"islamo-baathisme: une histoire de contrevérités

Souvent des confusions sont faites ici et là pour des raisons idéologiques quand il s’agit de parler de langues et de religion, des amalgames sont parfois sciemment entretenus. Ainsi, cette confusion peu opératoire entre langue et religion, l’une est ouverte, par définition, aux changements sociaux et politiques, un instrument et un moyen de communication et l’autre, la religion est marquée de sacralité, son discours vise l’universalité.

Ainsi, le Baas n’a absolument rien à voir avec l’islamisme. Le Baas est un parti "laïc", "socialiste" et "panarabe", créé par Michel Aflaq (1910-1989) et Salaheddine Bitar (1912-1980) constitué en 1947. Son discours repose sur trois critères, unité, liberté et socialisme. Il sera notamment influencé par Maurice Barrès et Charles Maurras. C’est en France où a étudié Aflaq que surgit l’idée de nationalisme arabe. Il était un grand lecteur de Proudhon, Nietzsche, Maurras, Marx, Sorel et Barrès.

Cette propension à les attacher et à en faire un espace idéologique en fabriquant des néologismes abscons, « arabo-islamisme » et « islamo-baathisme » s’articule autour d’approximations historiques et sociologiques. Le nationalisme de Nasser est tout à fait opposé au discours développé par Hassan el Banna . Certes, le rais égyptien avait tenté de discuter avec les frères musulmans pour la possibilité de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, mais les profondes divergences idéologiques ont empêché cette rencontre. Il n’est nullement possible d’associer une langue, l’arabe, lieu et enjeu de luttes avec un quelconque discours idéologique, mais elle est travaillée par les choix politiques et idéologiques. On peut parler, pour paraphraser la linguiste Renée Balibar (son ouvrage, « Les français fictifs » est très intéressant) de l’existence d’ « arabes fictifs ».

Ces propos confondant ces deux entités opposées sont trop approximatives, peu opératoires, le fait d’intellectuels de mode qui fabriquent leur « monde musulman », à l’aide de clichés et de stéréotypes, comme si c’était un bloc monolithique, évacuant les nombreuses différences, les dizaines de langues et les réalités sociologiques et anthropologiques. Edward Said propos une analyse extrêmement sérieuse. Son propos est d’actualité, il balaie d’un revers de parole les certitudes de spécialistes autoproclamés de l’Islam et du monde musulman qui n’est, en fin de compte, qu’un fantasme, une fabrication d’un imaginaire fait de constructions idéologiques. Il écrit ceci : « Je me suis moi-même toujours opposé à toute politique ayant une coloration religieuse. J’ai fortement condamné la violence gratuite et suicidaire, et je l’ai fait non seulement en anglais mais aussi, dans le monde arabe, en arabe. Pourtant, j’ai le sentiment que l’hostilité et le malentendu envers l’Islam ? (un terme qui peut difficilement décrire, à lui seul, 1,3 milliard d’individus issus d’innombrables traditions, utilisant des centaines de langages différents et possédant un large éventail de cultures très diverses) ont englobé de vastes régions du globe, en particulier en Europe et aux Etats-Unis, réduisant toute une culture et une religion à de simples caricatures en vue d’entretenir un climat de profond bellicisme ».

Le monde dit de l’Islam, souvent territorialisé, mais indifférencié, prend la place dans le discours « occidental » des « barbares » russes, une fois l'Union Soviétique démantelée. Le musulman dans l’imaginaire américain est indifférencié, perse, arabe, nord-africain. L’intellectuel libanais, Georges Corm confirme cette manière de voir l’Islam : « L’islam n’est pas un lieu, ni une nationalité ; or, il est de plus en plus employé comme s’il était une religion nationale ou ethnique située dans un lieu particulier […] L’islam n’est donc qu’une religion ».

Peut-on assimiler langues européennes et colonisation ou langues européennes et chrétienté ? Peut-on parler de monde chrétien ? Les langues sont des moyens de communication, elles sont en mouvement, lieux et enjeux de luttes dans un univers où ici et là, la religion et la laïcité semblent refuser de se donner l’accolade.

Dans les sociétés arabes, l’impact de l’aspect religieux est important, mais il n’en demeure pas moins que dans la pratique concrète, la réalité est tout à fait différente. Les choses sont différentes d’une région à une autre. Même si des choses ont aussi changé dans ces pays, compte tenu de l’apport de l’école et aussi de l’importance des pressions extérieures. Paradoxalement, des pays traditionnellement « laïcs » (notamment l’Egypte, l’Algérie, la Tunisie et la Syrie) ont connu une grande régression à partir des années 1990 et l’engagement des pays du Golfe dans la guerre d’Afghanistan finissant par mobiliser de nombreux jeunes des autres pays arabes. A leur retour, ces jeunes ont employé le même discours idéologique et des pratiques similaires dans leurs mouvements de contestation du régime saoudien.

Il faut souligner que des pays arabes et « musulmans » ont, bien longtemps, adopté des modes de gouvernements occidentaux. Ainsi, les espaces institutionnels et législatifs sont calqués sur les législations européennes (Apparition des constitutions tunisienne en 1861 et ottomane en 1871). Même les idées de nation et d’Etat-Nation ont été introduites lors de la campagne de Napoléon en 1798.

Certes, on ne fait pas explicitement mention de la laïcité, mais elle caractérise des pratiques de l’époque dans un certain nombre de pays arabes. Ainsi, se mettait en œuvre une sécularisation croissante. Même dans des situations aussi paradoxales, tous les partis politiques et les textes constitutionnels accordent une place importante à la place de la religion. Même les partis communistes. Mais pour certaines structures partisanes comme le Wafd égyptien, leur devise est celle-ci : La religion est pour Dieu, la patrie pour tous.

 

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