Le chômage partiel, le traitement pour l’emploi contre le COVID-19
Pour sauver l'économie, le gouvernement tire les leçons de 2008-2009 et utilise le chômage partiel pour maintenir les emplois et garantir une reprise efficace de l'activité.
En 2008-2009, la crise des subprimes plonge le monde dans une crise financière et économique d'une ampleur sans précédent. Les économies européennes sont durement touchées, la Grèce, l'Italie, l'Espagne se retrouveront dans une difficulté extrême et la France ne fera pas beaucoup mieux. L'Allemagne, quant à elle, ne sera pas épargnée mais arrivera à faire redémarrer sa machine économique beaucoup plus rapidement que ses voisins. Alors que le monde semble se diriger à nouveau vers une crise économique encore plus impressionnante liée au Covid-19, le gouvernement français semble avoir tiré les leçons du passé et s'inspirer des méthodes allemandes de 2008-2009 pour maintenir notre économie à flot.
La mise en place d'un dispositif d'activité partielle d'un niveau jusqu'alors inconnu en est l'exemple flagrant. Pour autant, est-ce la "solution miracle" pour sauver les emplois et notre économie ?
La France et l'Allemagne en 2008-2009 deux approches différentes pour sauver les emplois et des résultats incomparables
Le chômage partiel (aussi appelé chômage technique et activité partielle) est un dispositif qui permet aux entreprises confrontées à des difficultés passagères de nature économique, technique ou à la suite d’une catastrophe naturelle, de réduire ou de suspendre temporairement l’activité de tout ou partie de leurs salariés. En France, la rémunération des heures non-travaillées est effectuée par l’Etat et l’Unedic.
L’Allemagne et la France avaient déjà un rapport au chômage partiel très différent avant la crise de 2008-2009. Lors du Krach de 1929, des chocs pétroliers des années 70 et après la réunification, le chômage partiel a été massivement utilisé en Allemagne pour maintenir les emplois et la machine industrielle. En effet, le chômage partiel est un dispositif de sauvegarde de l’emploi qui s’inscrit parfaitement dans la vision allemande du monde du travail. Il est le fruit d’une négociation collective entre partenaires sociaux où l’Etat n’a qu’un rôle secondaire.
En France, la sauvegarde de l’emploi est davantage soutenue par des mesures de flexibilité externe où l’Etat prend des mesures générales à destination des entreprises. Ainsi, pour répondre aux fluctuations d’activité, le chômage partiel a été relégué au second plan en France avec notamment les lois Aubry des années 90 qui ont poussé les entreprises à jouer d’abord sur les RTT plutôt que prendre des mesures d’activité partielle.
Lors de la crise de 2008-2009, l’Allemagne n’est pas épargnée, son PIB chute de 6,6% au 1er trimestre 2008 et sa production industrielle de plus de 20%[1] alors qu’en France la baisse du PIB sur la même période est de 3,9%[2]. Les mécanismes allemands de chômage partiel déjà bien éprouvés se mettent naturellement en place dans les entreprises. En 2011, l’Allemagne a retrouvé le niveau de sa production industrielle d’avant-crise. La même année, la France sort tout juste de la récession. Même s’il n’est évidemment pas le seul facteur explicatif, la différence d’utilisation du chômage partiel entre les deux pays est criante lors de cette période. Lors de la première moitié de l’année 2009, 1,5 million de salariés allemands sont concernés par des mesures de chômage partiel pour une période de 5 mois en moyenne alors qu’en France seuls 300 000 salariés sont touchés pour une période moyenne de 2 mois. De la même façon, l’Etat allemand injecte entre 2007 et 2010 près de 9,5 milliards d’euros pour financer le chômage partiel alors que la France n’y alloue qu’1,1 milliard dans le même temps[3].
Ainsi, on estime que les mesures de chômage partiel ont permis de sauver plus de 200 000 emplois en Allemagne principalement dans l’industrie et donc une reprise rapide des exportations de biens à forte valeur ajoutée. La France, dans le même temps, a vu son taux de chômage augmenter et son industrie continuer de péricliter.
Alors que le Covid-19 vient de percuter l’économie française de plein fouet, le gouvernement veut tirer les leçons du passé et veut promouvoir le chômage partiel comme outil numéro 1 pour sauver les emplois et cela grâce à un dispositif inédit. Les entreprises l’ont bien compris et selon le Ministère du Travail, au 22 avril 2020 plus de 10 millions de salariés français sont concernés par les mesures de chômage partiel soit plus d’un salarié du privé sur deux[4].
Un dispositif « puissant, massif et inédit » pour sauver les emplois du Covid-19
- Enveloppe chômage partiel en France 2008-2009 : 1,1 milliard d’euros
- Enveloppe chômage partiel en France 2020 : 24 milliards d’euros
Emmanuel Macron l’a répété lors de ses différentes allocutions présidentielles, « nous sommes en guerre » contre le virus. A état de guerre, mesures de guerre pour sauvegarder notre économie. La loi d’urgence sanitaire du 22 mars 2020 complétée par le décret gouvernemental du 25 mars 2020 a énoncé un certain nombre de mesures pour adapter le droit du travail à la situation exceptionnelle que nous connaissons. Parmi les mesures annoncées, le dispositif relatif au chômage partiel apparaît comme l’arme principale utilisée pour sauver les emplois.
Un chiffre pour illustrer la différence avec la fin des années 2000 : le 5 avril, le Ministère de l’Economie et des Finances tablait sur une enveloppe de 11 milliards d’euros pour financer les mesures de chômage partiel[5]. Le 19 avril, Edouard Philippe annonçait que cette enveloppe était relevée à 24 milliards d’euros[6] illustrant la volonté gouvernementale de faire du chômage partiel une arme de maintient massive des emplois.
Si les motifs de recours et le calcul de l’indemnité versée par l’employeur ne changent pas par rapport au dispositif d’activité partielle existant, les mesures annoncées le 23 mars 2020 et dans les ordonnances suivantes innovent et montrent une réelle tendance du gouvernement à faciliter l’usage du chômage partiel par les entreprises[7] :
- Acceptation implicite de la demande de chômage partiel : si deux jours après la demande de l’entreprise elle n’a pas reçu de réponse, cela vaut acceptation implicite (R5122-4)
- Avis préalable du CSE assoupli : l’entreprise a désormais deux mois à compter de sa demande d’autorisation de mise en chômage partiel pour présenter l’avis du CSE à l’autorité départementale (alors qu’il est requis simultanément à la demande d’autorisation en temps normal) (R5122-2)
- Rétroactivité du dispositif : l’employeur peut faire remonter la mise en chômage partiel antérieurement à la demande d’autorisation officielle (jusqu’à 30 jours avant selon la date de début de diminution ou de suspension d’activité) (R5122-3)
- Prolongation de la durée maximale de mise en chômage partiel de 6 à 12 mois (R5122-9)
- Possibilité pour les salariés en forfait annuel en heures ou en jours de bénéficier du dispositif d’activité partielle sous la forme d’une réduction de l’horaire de travail habituel : auparavant cette possibilité n’était ouverte qu’en cas de fermeture partielle ou générale de l’établissement (R5122-8 & R5122-9).
- Le montant de l’allocation versée à l’employeur passe d’un mode forfaitaire à un mode proportionnel : L’allocation cofinancée par l’Etat et l’Unedic couvre désormais 70% de la rémunération antérieure brute du salarié, dans la limite d’une rémunération de 4,5 SMIC, avec un minimum de 8,03€ par heure, quel que soit l’effectif de l’entreprise (R5122-12 & R5122-13)
L’idée centrale de ce dispositif est donc de le rendre plus flexible et d’en faire bénéficier le plus de salariés possibles. Néanmoins, des contrôles sont et seront effectués par le Ministère du Travail pour vérifier que l’entreprise est bien impactée par une baisse d’activité et que les salariés en situation de chômage partiel ne travaillent pas.
La réactivité de l’Etat et la pertinence des mesures expliquent le succès que connaît le dispositif actuellement. L’inspiration allemande y est forte en laissant les entreprises le choix d’opter pour la solution qui leur convient le mieux selon leur activité.
Le chômage partiel : le remède miracle pour l’emploi ?
Des entreprises qui maintiennent les emplois, l’Etat qui finance les pertes liées à la crise et une reprise d’activité facilitée qui apparaît à l’horizon, le chômage partiel apparaît comme la panacée en situation de crise. Pourtant, un certain nombre d’éléments doivent venir nuancer cette vision idéaliste.
Il ne faut pas oublier l’impact du dispositif sur les finances publiques : l’Etat s’endette actuellement de façon très importante et s’affranchit de toutes les limites qui apparaissaient comme des lignes rouges en 2008-2009 (notamment les directives européennes en matière budgétaire), il faudra rembourser sur de nombreuses décennies. L’Allemagne a pu redémarrer rapidement après 2008-2009 grâce à des finances publiques bien plus saines que les nôtres et une industrie performante tournée vers l’exportation ce qui n’est pas le cas en France. De plus, tous les secteurs d’activité sont impactés dans cette crise et certains ne redémarreront pas de façon rapide (hôtellerie, restauration, événementiel…) et on estime qu’1 million de personnes perdront leur emploi malgré tout[8].
Au niveau sanitaire, le virus, en lui-même, n’est pas vaincu. Tant qu’un vaccin ou un traitement efficace de la maladie ne sera pas validé et diffusé, le risque d’une succession de crises n’est pas exclu et il n’est pas sûr que l’Etat puisse intervenir avec autant de moyens à chaque fois.
Enfin, pour en revenir à l’Allemagne, le chômage partiel qui a permis de sauver des milliers d’emplois a également eu pour effet de renforcer la précarisation de certains types d’emplois (emplois temporaires, emplois déjà en temps partiel…). De plus, en faisant le choix de sauvegarder coûte que coûte les emplois déjà existants, l’Etat allemand s’est désengagé financièrement de l’aide aux personnes sans emploi ou en recherche d’emploi. Lorsque la crise sera passée, le gouvernement fera donc face à un challenge complexe où il devra amorcer une reprise économique efficace en ne rognant pas de façon abrupte sur les acquis sociaux au risque de ressouffler sur les braises encore chaudes des tensions sociales de la fin 2019.
[1] Eurostat – OCDE 2011
[2] Eurostat – OCDE 2011
[3] Conseil d’Analyse économique (éd.). Les mutations du marché du travail allemand. La documentation française 2012, p. 57-84
[4]https://www.lefigaro.fr/flash-eco/plus-de-10-millions-de-salaries-sont-au-chomage-partiel-selon-muriel-penicaud-20200422
[5] http://www.leparisien.fr/economie/coronavirus-5-millions-de-salaries-en-chomage-partiel-05-04-2020-8294241.php
[6] https://www.lci.fr/emploi/chomage-partiel-8-millions-de-salaries-concernes-pour-un-cout-de-24-milliards-d-euros-annonce-bruno-le-maire-2150945.html
[7] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=61886ECC835753CB15215A189321F1DA.tplgfr31s_3?cidTexte=JORFTEXT000041755956&idArticle=LEGIARTI000041756588&dateTexte=20200327
[8] https://www.capital.fr/entreprises-marches/le-chomage-partiel-nempechera-pas-le-chomage-1367815