Le chant du Cygne ou la nécessité d'un sursaut du Parlement
Depuis l’adoption, au beau milieu de l’été, du Projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire étendant le principe du passe sanitaire, introduit par la loi du 31 mai 2021, il semblait légitime de craindre une rupture fondamentale avec les principes cardinaux de notre État de droit républicain que sont, notamment et en particulier, la Liberté et l’Égalité.
Avec cet énième Projet de loi (le douzième en moins de deux ans !) visant à renforcer les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant une nouvelle fois le code de la santé publique, ces craintes se sont finalement réalisées et les gardes fous alors mis en avant pour tenter de les apaiser largement illusoires…
Tout d’abord, loin d’être une mesure temporaire, l’extension du dispositif à de nombreuses activités de la vie quotidienne (et à vrai dire presque toutes) tend désormais à s’inscrire dans la durée sinon à devenir permanent, puisqu’à la date initiale du 30 septembre 2021, nous sommes passés rapidement au 15 novembre 2021 puis désormais au 31 juillet 2022 depuis la loi de prorogation du 10 novembre 2021 (et l’on s’attendra dans l’année, sans surprise, à ce qu’une nouvelle prorogation soit décidée par l’exécutif).
Ensuite, la mise en place du dispositif le 31 mai avait été validée uniquement en raison du caractère limité de son champ d’application et des risques de transmission du virus pour les activités concernées (grands rassemblements de personnes et certains déplacements : Conseil d’État, ordonnance n°453505 du 6 juillet 2021), tandis que son extension aux activités de la vie quotidienne et à d’autres déplacements l’a été par la loi du 5 août dans le seul but de limiter la propagation de l’épidémie et non d’inciter les personnes concernées à se faire vacciner, dans la mesure où chacun restait libre de présenter l’un des trois certificats de son choix – vaccin, test négatif ou certificat de rétablissement – (CC, décision n°2021-824 DC du 5 août 2021 ; CE, avis n°403629 du 19 juillet 2021).
Après le resserrement opéré par la loi du 10 novembre 2021, il ne semble désormais plus question de tout cela avec la « marche forcée » imposée une nouvelle fois au Parlement par l’exécutif sans toutefois véritablement la justifier, ne serait-ce d’abord que parce que le Gouvernement n’a toujours pas déféré aux demandes répétées de la CNIL de lui apporter des « éléments concrets d’évaluation de l’efficacité » du passe sanitaire (CNIL, avis n°2021-139 du 21 octobre 2021).
C’est donc au fond la question de la proportionnalité de la mutation du passe sanitaire en passe vaccinal qui est posée.
De ce point de vue, la formation administrative du Conseil d’État concède, tout en validant le nouveau dispositif (!), que ce dernier « est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes » souhaitant accéder aux activités visées par ce texte (CE, avis n°406676 du 26 décembre 2021).
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Toutefois, la simple poursuite de l’objectif légitime de santé publique ne saurait suffire à justifier des atteintes particulièrement fortes aux droits et libertés constitutionnellement garantis : le principe de proportionnalité commande que celles-ci apparaissent « absolument indispensables » au but poursuivi.
Cela signifie d’une part que les moyens employés soient pertinents et, d’autre part, strictement nécessaires au but poursuivi, ce qui suppose de s’assurer qu’ils constituent le procédé le moins attentatoire aux droits et libertés garantis.
En ce sens, la Défenseure des droits, dans son avis n°22-01 du 4 janvier 2021, estime que « l’efficacité de ces nouvelles mesures censées freiner la propagation de l’épidémie [n’est pas] clairement établie » et, en particulier, que « la nécessité et la proportionnalité pour lutter contre la propagation du virus d’une transformation du passe sanitaire en passe vaccinal alors que rien ne permet d’établir qu’une personne vaccinée et non testée serait moins contagieuse qu’une personne non-vaccinée disposant d’un test négatif » pose question. A cet égard, cette institution estime que l’« éventail des outils sanitaires devrait au contraire permettre au Gouvernement de disposer de réponses graduées, proportionnées, aux différentes évolutions de la crise sanitaire, y compris moins intrusives, afin de concilier au mieux les objectifs constitutionnels et conventionnels que sont la protection de la santé publique et l’exercice des droits et libertés des citoyens. A cet égard, le Gouvernement dispose déjà de mesures sanitaires moins contraignantes qui permettent de concilier ces objectifs : le port de masques adaptés ainsi que le respect des gestes barrières, toujours en vigueur depuis le début de la crise sanitaire, l’application des jauges, la réalisation de tests, lesquels semblent toujours efficaces contre la transmission du virus… ».
Vous l’aurez compris : que vous le vouliez ou non, que vous en ayez conscience ou non, le processus enclenché il y a quelques mois et la pente glissante sur laquelle nous sommes désormais engagés est bien celle d’un effet-cliquet « inversé » qui tend, progressivement et sous l’effet de l’illusion entretenue d’une éradication totale du virus de notre vie, à l’éradication pure et simple du principe de liberté qui sous-tend notre ordre juridique.
Aussi, dans la mesure où le Conseil constitutionnel ne pourra se livrer guère plus qu’à un contrôle restreint du dispositif pour la simple et bonne raison, d’ordre structurel, qu’il ne dispose pas d’un « pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » (d’où la déception qu’a pu susciter ses nombreuses décisions jusque-là), il semble désormais plus que temps que le Parlement reprenne pleinement possession du rôle central que lui donne l’article 34 de la Constitution en matière de protection des droits et libertés, qui ressort également de l’ensemble de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Ce rôle suppose autre chose qu’une simple fonction d’enregistrement et de mise en forme à la marge de décisions émanant exclusivement du pouvoir exécutif et, en définitive, du président de la République les arrêtant seul dans le secret d’un comité restreint depuis maintenant presque deux ans, et dont les récentes déclarations pourraient, au regard de la dignité de la fonction présidentielle et des missions que lui assigne la Constitution, aisément être qualifiées de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » au sens de l’article 68 de la Constitution et, partant, permettre d’engager la procédure de destitution prévue par cette disposition.
Financial Analyst chez Cepheid
2 ansCette crise a le mérite de mettre en exergue les limites de la cinquième république. L'équilibre théorique des trois pouvoirs est mis à rude épreuve. Concernant le conseil constitutionnel qui est présidé par Monsieur Fabius, je le vois mal s'opposé à une série de mesures qui ont surement été élaborés et pensés avec la contribution de son fils Victor. Dans le cadre des prestations de conseils qui sont délivrés par McKinzey à l'attention de l'élysée. https://www.consultor.fr/articles/achats-de-conseil-de-l-etat-le-stage-qui-gene
Docteur en Droit (Histoire du droit), qualifié aux fonctions de maître de conférences (section 03) Diplômé Notaire (DSN)
2 ansUn texte remarquable !
Pensée libre
2 ansQui, comment le destituer ?!