LE CONFINEMENT, UNE REVELATION QUANT A L’IMPORTANCE DU PREJUDICE D’AGREMENT
En matière de réparation juridique du dommage corporel, différents postes de préjudices existent, visant à indemniser la victime d’un accident. Le but étant de replacer la victime dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s'était pas produit, ce qui se résume par l’adage désormais bien connu :
“tout le préjudice et rien que le préjudice”
C’est ainsi qu’en principe, l’indemnisation doit se faire in concreto, de manière individuelle à chaque victime.
Pourtant force est de constater que désormais, tant les compagnies d’assurance, que les Tribunaux font une application quasi-systématique des barèmes mis en place par compilation de jurisprudence entre autres.
Des souffrances endurées à hauteur de 3/7 auront par exemple une valeur indemnitaire comprise entre 4.000 et 8.000 €. Le principe étant le même pour le préjudice esthétique, ou encore le taux d’atteinte à l’intégrité physique et psychique de la victime.
Telle est la réalité de l’indemnisation des victimes, qui se heurtent sur la majorité des postes de préjudice à des indemnisations normées (non officiellement avoué…).
Comment pouvons-nous alors considérer que l’indemnisation de la victime s’apprécie in concreto ?
Restent malgré tout quelques postes réellement appréciés au cas par cas, au nombre desquels figure le préjudice d’agrément.
Le préjudice d’agrément vise à réparer l’impossibilité ou la limitation, ainsi que l'impossibilité psychologique, pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, exercée antérieurement à l’accident.
Mais c’est là que le bât blesse.
Car en réalité, l’indemnisation de ce poste de préjudice reste dans l’ensemble plutôt modique.
Je ne m’étais jamais réellement offusquée de cette réalité, jusqu’à ce que le pays tout entier se trouve, et se retrouve, confiné.
Cela m’a alors sauté aux yeux.
Plus encore à la faveur de ce second pseudo-confinement.
A l’heure actuelle, la majorité des français se doit de continuer à travailler. J’ai d’ailleurs une pensée émue pour tous ces commerçants privés de leur activité.
Les français se doivent donc de travailler. Oui, mais voilà. Dans le même temps, ils se trouvent privés de toute activité de loisir, toute activité sportive. Et de manière plus large, de toute distraction, qui finalement, de l’avis général, FONT DE LA VIE, LA VIE !
Beaucoup de mes confrères et consœurs croisés en audiences, beaucoup de mes amis, m’ont confirmés être usés par la situation actuelle. Être déprimés par la situation actuelle. Avoir le sentiment DE NE PLUS AVOIR DE VIE.
Et pour cause, la VIE, LA VRAIE, ne résume pas au travail, aux obligations familiales et aux tâches ménagères.
(J’ai malgré tout bien conscience que ceux qui se trouvent privés de leur travail paieraient cher pour être à notre place)
Je m’aperçois alors qu’un petit café le matin, un déjeuner entre copines, une activité sportive régulière pratiquée, seul ou entre amis, donnent tout son sens à la vie.
Qu’aller se balader, sans attestation, sans autorisation, sans masque, sans peur, visiter ses proches, aller dîner dehors, sortir, (bref, c’est sans fin), permet justement à chacun de nous, une fois le stress évacué, de donner le meilleur de soi-même, tant au boulot, qu’à la maison.
Vous pourriez penser que je m’égare, puisque le sujet de ce poste n’en reste pas moins le préjudice d’agrément.
Mais pourtant non, il trouve en ces quelques lignes tout son sens.
Les loisirs, le sport rendent la vie meilleure. Ils permettent le dépassement de soi, l’évasion, la décompression, de rire, de souffrir dans l’effort, de se sentir fier.
D’être vivant !
Alors comment peut-on dire à une victime, qui pratiquait, je ne sais pas moi, le Pilate par exemple, que la gêne qu’elle ressent désormais, les douleurs désagréables qui se font sentir, et ôtent par voie de conséquence toute dimension de plaisir de s’adonner à cette activité, ne vaut que 500 € !!!
Il en va de même d’un homme retraité, qui n’a plus dans la vie que ses activités de loisir, qui pratiquait le piano, qui cuisinait et jouait au ping-pong, et s’en trouve totalement privé par le fait de son accident, à qui la somme maximum de 9.000 € sera offerte gracieusement !
Après avoir épluché la jurisprudence, de fond en comble, les sommes les plus importantes allouées s’élèvent à hauteur de 100.000 € (et encore je suis large), chez des victimes très jeunes et totalement handicapées.
Pour exemple : Un homme de 34 ans, handicapé à hauteur de 90 % (AIPP)- perte de son acuité visuelle, a perçu une indemnisation à hauteur de 70.000 €.
L’espérance de vie d’un homme se porte à 80 ans.
L’indemnisation perçue en revient à allouer à cet homme aveugle, privé de facto de toute activité sportive ou de loisir, la somme de 1.521 € par an, ou encore 4,16 € par jour.
Bien cher payé, vous en conviendrez.
C’est donc ce que représente la valeur de ce poste de préjudice, que je considère pourtant, pour en être aujourd’hui privée, comme fondamental au bien être physique et mental de chacun.
Il est ainsi plus qu’évident que nous sommes à des années lumières d’une réparation intégrale du préjudice subi.
Espérons que l’expérience forcée, vécue par la France entière, fasse prendre conscience aux acteurs de cette matière, que les victimes vivront toute leur vie, ce que nous, nous avons le plus grand mal à supporter pour quelques semaines seulement.
Directrice du M2 Risques médicaux et responsabilité, du DU Droit de la Réparation du Dommage Corporel (DRDC) chez Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
4 ansEt que dire du préjudice d’agrément dans le DFT 😭😭😭
Conciliateur de justice - tribunal judiciaire de Grasse / COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
4 ansC'est vrai. Et cette situation est un véritable désagrément !