Le congé reprise pour habiter ne peut être délivré qu’au profit du bénéficiaire, qui y installe sa résidence principale

L’intérêt de l’étude de la jurisprudence est révélé par les solutions qu’elle dégage. Les décisions d’appel sont particulières, car si elles ne peuvent pas « faire » jurisprudence (1), leur intérêt se situe dans leur caractère particulièrement factuel. Ainsi, lorsqu'une juridiction de second degré rappelle, de manière illustrée, les conditions d’un régime juridique tel que celui du congé reprise pour habiter de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, il importe d’en faire état.

C’est précisément ce qu’a fait la Cour d’Aix-en-Provence dans un arrêt rendu le 6 février 2020 (RG : 17/09410).

Les faits portaient sur la délivrance d’un congé pour reprise sur le fondement de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989. Plus précisément, il s’agissait d’un bail vide consenti en 2011 pour 3 années par des bailleurs personnes physiques. Le congé avait été délivré par LRAR le 2 mars 2013 à effet du 31 janvier 2014 (2).

Le Tribunal d’instance de Cannes, par un jugement du 23 février 2017, annula le congé pour fraude. Les ex-bailleurs interjetèrent appel de cette décision.

En matière de congé reprise pour habiter, qui est un des rares leviers à disposition des bailleurs personnes physiques pour reprendre possession de logements consentis à bail sous l’égide de la loi du 6 juillet 1989 (3), des conditions de forme et de fond s’imposent.

Les faits d’espèce illustrent ces deux types de conditions.

La première condition qui faisait défaut était une condition de forme : le congé devait faire état du bénéficiaire de la reprise. Il était pourtant muet sur la question. Les bailleurs ont alors prétendu que le congé avait été donné à leur profit, prétention qui sera contrariée par l’analyse des conditions de fond.

Les conditions de fond évoquées devant les juridictions sont caractérisées par le défaut de reprise à titre d’habitation principale (4). En effet, et c’est une condition impérative : la reprise d’un bail au titre de l’article 15 ne peut intervenir que pour habiter à titre de résidence principale, à moins qu’une cause légitime y fasse obstacle.

Dans les faits :

-         Les ex-bailleurs font état de l’installation de leurs fils dans le logement dès juin 2014,

-         La villa avait été mise sur des sites de locations de courtes durées, à de nombreuses reprises entre juin 2014 et juillet 2017. Une annonce de la villa figurant sur le site Airbnb, précisait qu’elle était disponible toute l’année, pour une durée minimale de 2 jours, à l’exception des mois de juillet et août. L’inscription au site datait du mois d’août 2014,

-         Les factures d’énergie correspondaient, pour la juridiction, aux dates de mise en location, et non à l’occupation prétendue des ex-bailleurs.

En conséquence, la Cour a considéré que le congé avait été délivré en fraude des droits des ex-locataires, car si les ex-bailleurs avaient pu occuper la villa quelques jours et de manière inconstante, ils n’y avaient en aucun cas établi leur résidence principale, relevant en outre que le congé ne déterminait pas l’identité du bénéficiaire de la reprise, alors que les ex-bailleurs prétendaient dans le même temps que la villa avait été occupée par leurs fils dès juin 2014. Enfin, il était prouvé que la villa était disponible à l’année sur des plateformes de locations saisonnières et qu’elle avait été effectivement louée à plusieurs reprises durant cette période, quelques mois après l’expiration du congé.

Ne faisant pas état d’une cause légitime justifiant l’absence d’occupation à titre de résidence principale, les ex-bailleurs ont ainsi été condamnés à indemniser les ex-locataires à hauteur de 6 000 € (frais de déménagement, frais d’agence immobilière et préjudice moral).

Pour le lecteur, il apparaît que les arguments des bailleurs étaient particulièrement divergents, voire même contradictoires. Il était en effet difficile de prétendre à la fois avoir repris pour habiter, évoquant une occupation uniquement ponctuelle, tout en précisant que leur fils s’y était installé 6 mois après l’expiration du congé. Ils se mettaient ainsi en infraction aux règles du congé pour reprise. Cet arrêt sera également retenu en ce que le contrôle des annonces sur les plateformes de locations saisonnières n’est plus l’apanage des seuls bailleurs qui « traquent » une éventuelle sous-location prohibée, pour être également un outil au service des locataires indûment évincés de leur domicile.


Notes

(1)   Les Cours d’appel peuvent cependant amorcer un revirement de jurisprudence. Tel semble être le cas de la jurisprudence de la 3e ch., relative aux fruits civils acquis par le propriétaire d’un logement sous-loué irrégulièrement (Paris, 5 juin 2018, RG : 16/10684 confirmé par Civ. 3e, 12 sept. 2019, pourvoi : 18-20.727).

(2)   Ni le bail, ni le congé n’étaient soumis aux dispositions de la loi ALUR.

(3)   S’agissant des personnes morales, v. Civ. 3e, 7 février 1996, pourvoi : 93-20.135. S’agissant du cas particulier des SCI dites familiales, v. Civ. 3e, 28 septembre 2011, pourvoi : 10-28.559.

(4)   Sur ce point, v. Civ. 3e, 17 octobre 2012, pourvoi : 11-19.090.

Alain Der Mathéossian

ICH-CNAM Diplômes "Evaluateur & Conseil Immobilier" (2023) - "Gestionnaire Immobilier " (2022) - Certificats d'Etudes Juridiques Immobilières (2021)

4 ans

@Pierre de Plater . Même quand le congé pour habiter est entaché d'irrégularité et doit être indemnisé par une décision de justice, le dégât est parfois déjà là : l'obligation de partir pour régler ses comptes plus tard. Et sur les 6000 euros d'indemnités maxis prévus par les textes, quel sera le solde net une fois les honoraires de l'avocat réglés ..... A part d'aimer le risque et la procédure, le jeu en vaut-il la chandelle ?? La loi n'est-elle pas trop favorable aux intérêts du bailleur dans ce cas précis ?

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