Droit au recours lorsque la demande de logement est en panne : 10 ans après la promulgation de la loi du 5 mars 2007 quelle place pour le demandeur


A l'occasion des dix ans de la loi instaurant le droit au logement opposable, il est bon de pousser l'examen de sa mise en oeuvre au-delà des limites du bilan statistique.

Les résultats positifs sont là. Ils ont été rappelés par Marie-Arlette Carlotti, Présidente du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées. Les faiblesses ont été présentées aussi. 

Ces deux entrées en forme de bilan nous permettent de poser les questions sur ce qui va bien et ce qui va moins bien, ce qui doit être abandonné et ce qui peut être amélioré, ce qui dysfonctionne et ce qui, au contraire, relève de la bonne pratique.

L'ensemble des acteurs, professionnels et militants, ont aujourd'hui une connaissance partagée des dispositifs. Au cours des dix années de mise en œuvre de la loi, ils ont suivi ensemble les évolutions législatives et réglementaires et y ont parfois contribué.

Au-delà des approches parfois différentes, rarement fortement divergentes, se dessine un paysage du droit au logement en demi-teinte.

Le droit au logement opposable est un progrès, une réelle avancée, mais aussi à l'origine de phénomènes négatifs. Ainsi, il a contribué à propager l'idée qu'il était un droit des pauvres (comme on disait en d'autres temps : donc un pauvre droit) réservé à une catégorie particulière d'indigents sociaux : les DALO.

Cette horrible dénomination qui prive les requérants de leur identité de demandeurs de logement en panne d’accès et les place dans une cohorte de « privilégiés » et donc de potentiels « profiteurs » susceptibles de bénéficier d'un coupe-file.

Lorsque la reconnaissance d’un droit conduit à la stigmatisation, il y a un problème. C’est donc sur ce point que nous devons concentrer nos réflexions pour l’avenir.

Soyons précis : les conditions d’un bon fonctionnement du droit au logement sont réunies. Le droit au logement opposable peut et doit trouver son effectivité. Pour cela des réponses en nombre suffisant font aujourd’hui encore défaut. La loi n’a pas vraiment joué le rôle de révélateur des manques que l’on attendait d’elle. Elle fonctionne dans un contexte de pénurie qui peine à être décrit alors même qu’il est reconnu de tous. Et face aux conséquences de la pénurie, les demandeurs servent de boucs-émissaires lorsque l’absence de réponses en nombre suffisant conduit à l’embouteillage.

La mise en oeuvre du droit au logement opposable dans le contexte actuel entretient la tentation de conduire le demandeur dans le logement. Le conduire, c'est à dire le pousser vers un logement, et ensuite regretter qu'il n'accepte pas ce que nous avons eu tant de difficultés à lui proposer. Il devient la cause de la non efficience de la loi qui a été faite pour lui.

Car si le demandeur est bien au centre du dispositif, c’est parce qu'il est cerné par les contraintes et obligations qui en fixent le cadre et qui viennent s’additionner au fil des difficultés que rencontre l’organisation des réponses dans la pénurie.

C’est ainsi que s’entretient l’accumulation des obligations qui incombent au demandeur pour rentrer dans des dispositifs incapables de s'adapter à sa demande, à ses moyens et à ses attentes.

Nous en sommes venus à considérer que celui qui n'accepte pas les choix que nous faisons pour lui n'est plus un demandeur sérieux, s'il ne veut pas de nos solutions, c'est qu'il n'a besoin de rien. Encore plus infantilisé que nos propres enfants à qui nous offrons un minimum d'explications et de clés pour comprendre les décisions que nous sommes amenés à prendre.

Il en résulte un double désarroi, celui du demandeur renvoyé au bout de la file d'attente et celui de l'acteur de la recherche et de l'accès, frustré de son empathie refusée.

C'est à ce niveau que se situe l'enjeu d'une nouvelle approche : transformer le désarroi que partagent les acteurs de l'accueil et de l'accompagnement, non pas en colère contre l’autre, mais en outil de travail, levier pour l'avenir. C'est là que se situe une grande part de la bataille pour l'efficience du droit au logement. 

Avec les résultats obtenus, nous ne partons pas de rien, mais nous pouvons dire qu'il reste à explorer ce que nous n'avons pas encore tenté pour une performance plus importante encore.

Nous pouvons nous proposer un terrain nouveau qui ferait table rase de préjugés en ne portant pas la critique sur les faiblesses du dispositif (elle feront l'objet d'autres réflexions) mais sur la manière d'aborder les relations avec le public.

Nous avons déjà vu l'absence de souplesse, il nous faut reconnaître l'absence de confiance, le soupçon qui pèse sur des demandeurs à qui le droit semble vouloir tout accorder sans contrepartie. Nous devons adopter une posture nouvelle face au requérant et mettre en œuvre des pratiques différentes.

Nous pouvons, en l’espèce, reprendre l’approche que propose Edgar Morin lorsqu’il évoque pour les professions qui engagent une relation avec les administrés, la promotion « d’un mode de recrutement tenant compte des valeurs morales du candidat, de ces aptitudes à la « bienveillance » (attention à autrui), à la compassion, de son dévouement au bien public, de son souci de justice et d’équité ». 

Il nous donne une belle définition de la relation vers laquelle nous devons aller. Une relation qui nous permettra de diminuer les exigences pour laisser plus de place aux atouts et au potentiel des personnes, leur confier les clés de la démarche avant qu'ils puissent se saisir au plus vite des clés du logement.

Cette posture repose sur un a priori favorable, une sorte de présomption de légitimité et de bonne foi systématique à laquelle vient s’ajouter un principe de responsabilité.

Elle réclame davantage de moyens pour l'accueil de la demande et un rééquilibrage par rapport aux mesures d'accompagnement en mettant davantage l’accent sur l’accompagnement vers le logement.

L’accompagnement à l’accueil contient également une part de technicité qui doit être renforcée par les actions de formation de l’ensemble des acteurs (on retrouve cette recommandation pour les COMED et les services instructeurs dans les propositions formulées par la Cour des Comptes comme par le Comité de suivi).

Il est indispensable d'accompagner les modifications structurelles qui affectent de manière régulière les dispositifs, par plus d'informations plutôt qu'une rigueur aveugle supplémentaire. On insistera sur les informations concernant le marché locatif, la qualification des logements et l'adéquation avec les moyens et les statuts des demandeurs. 

C’est aussi au stade de l’accueil que la pertinence de la demande au moment du recours peut être examinée et éventuellement recadrée avec le requérant, et non contre lui. C’est aussi au stade de l’accueil que la situation locative présente peut être examinée, discutée, réorientée le cas échéant (par exemple lorsque le demandeur est déjà logé dans le parc social et que sa demande de mutation relève du délai anormalement long ou de l’un des critères retenus par la loi).

C’est aussi au stade de l’accueil que l’exploration des autres voies de recours peut être examinée. C’est enfin à ce moment-là que s’affine la demande pour limiter les refus, la compréhension des attentes des ménages n’est pas un privilège mais une nécessité. Celle qui s’applique à toute recherche de logement, à commencer par celle que nous sommes conduits à faire pour nous-mêmes.

Les requérants du Droit au Logement Opposable sont des demandeurs en recours parce que leurs démarches n’ont pu aboutir. Et ce dernier point est bien le seul qui les différencie des primo-demandeurs.


5 mars 2017

André GACHET

Conseiller à la Métropole de Lyon

(Groupe de Réflexion et d’Actions Métropolitaines)

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