Le conseil le plus étrange
Cette semaine je m'éloigne un peu des récits ou des outils de métamorphoses. J'ai envie de vous partager un moment particulier, un de ces moments qui sont si incongrus qu’ils restent gravés dans la mémoire. Ces moments font parti de nous et ils colorent d'une énergie particulière toutes nos métamorphoses. Permettez-moi de vous partager l'un de ces moments, ainsi que le conseil que j’ai pu donner et qui reste à ce jour le plus étrange de toute ma carrière.
Je venais de terminer mes études au sein de l’Éducation nationale. Situation familiale oblige, j’avais été orienté vers un BTS, circuit plus court que celui que j’aurais parcouru en intégrant l’université. Je m’y ennuyais terriblement et je passais plus d’heures au café du coin à jouer au tarot qu’à assister aux cours. C’est donc sans surprise que j’échouais à l’examen final. Consciente qu’il me fallait un diplôme pour décrocher un bon emploi, je m’inscrivis donc en candidate libre pour la session de l’année suivante et je décidais d’occuper mon année de révisions en travaillant comme caissière dans une chaîne de magasins spécialisés en vente de pièces automobiles. C’est durant cette année de travail que j’ai été amenée à donner le conseil le plus étrange de toute ma vie professionnelle.
Nous sommes en hiver ; le changement climatique n’a pas encore bouleversé les saisons et il fait très froid. La fin de journée approche et le magasin est vide. Une pluie verglaçante tombe depuis peu et mes collègues et moi ne nous faisons aucune illusion : plus personne ne viendra acheter quoi que ce soit par un temps pareil. Notre magasin se trouve au bout du parking d’un grand supermarché et j’observe, d’un œil un peu inquiet, la pluie recouvrir de glace les voitures garées sur le parking. Vais-je pouvoir rentrer chez moi ce soir ?
L’entrée brusque d’un client me tire de mes pensées et je me concentre sur ma tâche. Après un rapide tour dans les rayons, le voilà qui dépose devant moi une bombe de dégivrage spéciale pour serrure. J’encaisse tout en observant du coin de l’œil une arrivée de plus en plus dense d’hommes pressés, se précipitant pour acheter exactement le même article. À cette époque, les serrures sont toutes manuelles, point de fermeture centralisée. Avec cette pluie de glace, elles sont toutes bloquées. Les clients sortant du supermarché se trouvent donc dans l’incapacité d’ouvrir leur voiture pour y ranger leurs achats et rentrer chez eux.
En l’espace d’une demi-heure, le magasin est dévalisé : plus aucune bombe de dégivrage disponible. Me voilà devant une petite foule de messieurs en colère, inquiets ou résignés, qui me fixent du regard, exigeant de moi que je trouve une solution à leur problème de serrure. Je vis un grand moment de solitude et me contente de répondre à la chaîne : « Oui, même la réserve est vide », « Oui, nous aurions pu prévoir, toutes nos excuses », « Je suis désolée que votre femme attende dans le froid, mais je n’ai pas de solutions à vous proposer ». Les esprits s’échauffent et les secondes deviennent des heures.
Une petite tape sur mon épaule me fait tourner la tête et un de mes collègues mécanicien me murmure à l’oreille la solution tant recherchée. Son message transmis, il s’éloigne vers son atelier, l’air goguenard.
Je reste figée de stupeur, observant les clients de plus en plus impatients, tout en cherchant mes mots. Comment leur expliquer cette méthode ?
J’avale ma salive, gonfle mes poumons et d’un ton suffisamment audible, lance :
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- Messieurs, le seul moyen de dégivrer la serrure de votre voiture est d’uriner dessus.
Un silence, des regards surpris, un « pardon ? » incertain qui flotte dans l’air, puis une volée de récriminations. Comment osais-je donner un tel conseil ? Pour une voiture toute neuve en plus ! Et suis-je au courant que ladite voiture est garée en plein milieu d’un parking bondé ? Mais que va penser Madame ?
J’attends que les voix se calment tout en maudissant intérieurement mon collègue qui m’a laissée dans cette panade. Le conseil est bon certes, mais la situation est plus qu’inconfortable. Le silence se fait, quelques messieurs sont sortis du magasin durant le débat sur la pertinence de cette méthode de dégivrage, d’autres m’observent, attendant la chute de ma blague : « Je plaisante, voici des bombes de dégivrage apparues comme par magie de dessous de ma caisse enregistreuse ». Mais non, point de magie. Je réitère mon conseil :
- La chaleur fera fondre le givre et vous pourrez déverrouiller votre portière.
Je me drape de tout ce qu’il me reste de dignité et, sans entrer dans le détail du processus à mettre en œuvre, continue de donner ce conseil à chaque objection. Le magasin se vide petit à petit, ces messieurs se résignant à résoudre leur problème avec le moyen dont ils disposent. Je me retrouve à nouveau seule devant ma caisse, refusant de regarder vers le parking pour ne pas risquer d’observer malencontreusement un dégivrage en cours.
Nous fermons quelques minutes plus tard et, après avoir terminé toutes mes tâches, je quitte le magasin et me dirige vers la vieille carcasse qui me sert de voiture. J’insère la clé dans la serrure et… rien. Impossible d’ouvrir.
Dans mon dos, le collègue qui m’avait soufflé la solution me lance, rieur : « Besoin d’aide ? » Je prétexte un oubli dans mon casier pour le laisser seul dégivrer ma serrure. Je dois l’admettre, cette solution fonctionne. Et je me souviendrai toute ma vie de ce jour où j’ai donné le conseil le plus étrange de toute ma carrière professionnelle.
Et vous, quel est le conseil le plus étrange que vous ayez jamais donné ?