Le courage de parler vrai!
Comme tous les vendredis, retrouvez ma chronique radio sur RCF Alsace, à 12h25.
En voici la transcription écrite ci-dessous
Comme nous l’évoquions la semaine dernière, nous sommes tous concernés par l’imposture, à des degrés plus ou moins forts, par les masques que nous sommes amenés à porter souvent, ou pour faire face à ceux à qui nous souhaitons donner notre confiance. L’imposture est en effet une forme de renoncement à notre capacité de créer notre propre réponse à une situation. L’imposture a un lien avec la norme et le conformisme, elle donne une réponse toute faite ou dictée par les besoins de la séduction. Je dois convaincre mon ou mes interlocuteurs en requérant leur crédulité, en asseyant ma crédibilité et ma légitimité sur une forme de ruse qui les invite à prendre parti pour moi. Besoin de reconnaissance chez les uns (dans le meilleur des cas) ou perversion chez d’autres (dans le pire des cas), la tromperie de l’imposteur peut être sans réelle conséquence ou au contraire conduire l’autre à se perdre… Ce besoin de reconnaissance de l’imposteur l’incite à épouser des critères établis, acceptés ou même admirés par les autres, s’approcher d’une norme de ce qui est approuvé, ou apprécié, ou admiré. Mais rien de nouveau ne peut ainsi se créer…
Néanmoins, je ne voudrais pas que ces propos renforcent chez certains la tendance à relever de l’imposture partout et tout le temps et à se méfier a priori de tout le monde. La défiance actuelle vis-à-vis de certaines prises de parole n’est pas propice à la lucidité. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas crédule qu’on est pour autant lucide…. Relever une imposture nécessite du recul, de la prise de hauteur et évidemment de la culture et la capacité à interroger les évidences. La méthode philosophique est donc tout appropriée grâce à l’art du questionnement !…
En outre, certains individus ont tendance à se considérer eux-mêmes en permanence comme des imposteurs, ne se trouvant jamais suffisamment légitimes dans leur approche, dans leurs réponses, dans leur métier, alors que souvent, leur implication et leur capacité à se remettre en question est plutôt une preuve de grande légitimité. La conscience du caractère non absolu de notre rapport au réel est très présente chez ces personnes et leur laisse un goût d’inachevé, leur laissant penser qu’elles ne connaissent pas entièrement le sujet de leur propos… Ce qui n’est pas totalement faux, toutefois, ce signe d’humilité est un gage d’absence de volonté de tromper l’autre… On appelle cela communément le syndrome de l’imposteur même si cette terminologie recouvre d’autres aspects encore…
Pourquoi opposer imposture et courage ?
L’imposture, quand elle est démasquée, fait prendre conscience de la fragilité des liens, et remet en cause la confiance qu’on accorde à certaines caractéristiques comme des titres particuliers, des diplômes, des récompenses, de la notoriété. On pourrait dire que l’imposteur parle faux. Ce qui m’amène au concept antique et grec de parrhêsia qui désigne la capacité de tout dire, et donc de parler vrai. Si je cite Michel Foucault pour être plus précise, « Parrhêsia, étymologiquement, c’est le fait de tout dire (franchise, ouverture de parole, ouverture d’esprit, ouverture de langage, liberté de parole). Les Latins traduisent en général parrhêsia par libertas. C’est l’ouverture qui fait qu’on dit, qu’on dit ce qu’on a à dire, qu’on dit ce qu’on a envie de dire, qu’on dit ce qu’on pense pouvoir dire, parce que c’est nécessaire, parce que c’est utile, parce que c’est vrai.» Michel Foucault, L’herméneutique du sujet,
Dans la parrhêsia, nul besoin de coller à une norme ou de se soucier de séduire son auditoire, ce n’est pas le but. L’objectif n’est pas de plaire, il y a même une prise de risque à préférer parler vrai plutôt que déclarer ce que nos interlocuteurs préfèreraient entendre. De même, celui qui parle vrai est prêt à tout entendre de la part de celui à qui il demande de lui parler vrai. Alors qu’est-ce que ce vrai me direz-vous ? Qu’est-ce que cette vérité ? Evidemment cela mériterait beaucoup plus que le temps d’une chronique pour y répondre, L’idée qui est défendue là est surtout l’effort de ne pas s’en tenir aux apparences, à la facilité, aux solutions toutes faites, aux préjugés, mais de réfléchir réellement à la situation à laquelle on fait face. Cela est bien sûr une question d’éducation. Et par ailleurs on peut considérer la parrhêsia comme une forme d’éducation….
Et petite parenthèse : savez vous que « éducation » et « séduction » ont pour racine latine commune ducere, qui signifie conduire…. Alors que l’éducation vise à conduire au-dessus, au sens d’instruire et d’élever, séduction signifie plutôt conduire à soi… Cela en dit long sur la différence entre la parrhêsia et l’imposture, n’est-ce pas… La parrhêsia désigne le courage de la vérité alors que l’imposture met en lumière la facilité de la tromperie, du prêt-à-penser, du conformisme…., dans le sens où l’on ne cherche pas à élever la personne mais à la tenir dans son rôle et éventuellement sous son influence….
Le courage par définition n’est pas un élan naturel, il est résistance – d’abord à soi, à certaines de nos tendances naturelles (lâcheté, paresse, confort, sécurité …). Il s’agit ici du courage de dire non à la facilité pour un oui qui manifeste un rapport au réel le plus ouvert possible, ce qui n’est pas qu’un rapport rationnel… Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de prochaines chroniques sur le courage, et aussi sur l’intuition !
Le conseil de lecture du jour
Je vous ai donné quelques références la semaine dernière en lien avec l’imposture (Le Gorgias et Le Sophiste de Platon et la Fabrique des Imposteurs de Roland Gori). Cette semaine, je vous propose un livre de Foucault, Le Courage de la Vérité, qui, dans cette retranscription de son dernier cours au Collège de France, nous présente justement le concept de parrhêsia comme condition d’une vie politique fondée sur une véritable éthique, inspirée notamment par les philosophes cyniques de la Grèce antique. C’est aussi un hommage à la philosophie qui nous aide à lutter contre les préjugés et l’imposture…
Philosophie du Management | Accompagnement stratégique pour l'intelligence managériale et la quête de sens
5 ansCette chronique a un lien avec votre dernière vidéo (et votre prochaine) Laurence Bouchet! ;) (et dans le débat, je me permets de vous ajouter : denis sammartino et Christophe Petit aussi ;) )