"Le cri du lièvre"​ de Marie-Christine Horn

"Le cri du lièvre" de Marie-Christine Horn

D’abord paru en Suisse romande chez Fictio, ce roman est enfin en France depuis quelques semaines. C’est un récit noir, acerbe, acéré, puissant, comme les précédents textes de l’auteur que j’avais eu l’honneur de chroniquer. Avec le “cri du lièvre”, Horn va plus loin en signant l’une des premières expressions féministes du roman noir. Ce qui ne peut et ne doit laisser personne indifférent, surtout par les temps qui courent.

Épuisée psychologiquement par des années de coups et d’humiliations, isolée de ses proches par une manipulation perverse, une femme privée de courage et d’espoir trouve l’issue à son cauchemar en jouant les ermites, attendant la mort à défaut de lui fixer l’ultime rendez-vous. Ils ont défini un terme bref, qui me séduisait: « suicide social ». Poussée par l’automne, le froid et la faim, l’instinct de survie exacerbé par l’autarcie qu’elle s’était imposée, la dépressive décide de réintégrer la douce chaleur de sa vie passée, préférant subir les assauts de son tortionnaire plutôt que de périr d’hypothermie. Coup du destin, hasard divin ou coïncidence heureuse, sa réapparition succédait de peu à la mort accidentelle du mari, suspecté d’agression sexuelle à l’endroit d’une jeune fille de 25 ans.

Le Cri du lièvre, c’est l’histoire d’une femme qui lâche prise, renonce à la réalité d’un quotidien devenu trop lourd à porter. Préférant la rudesse de nuits sans confort au confort d’un lit sans tendresse, Manu va sacrifier ses habitudes au profit d’un dénuement total. Lors d’une rencontre improbable avec un lièvre dont la patte est prise au piège, la détresse de l’animal entravé, condamné, va se confronter à celle de la narratrice, qui va subitement décidé de retourner à la vie civile. Les choses ne se passent pas comme prévu et bientôt ce sont trois femmes, toutes soumises à différentes formes de violence, qui vont traverser ensemble une épopée tragique. Des scènes dépeintes sont stupéfiantes de réalisme, notamment celle d’un viol par sodomie.

C’est un sacré livre. Un livre comme on les aime, parce qu’il ébouriffe, dérange et se lit d’une traite. Un livre noir et violent, haletant, au style tendu et acéré, où la langue symbolise la domination. Un récit qui enfourche et raconte un voyage sans retour, ayant pour seules issues la violence et la mort. On aime cette manière hyper réaliste d’aborder un double parcours, mené à l’arrache.

L’importance de la langue, comme déterminant social donc. Précision brûlante ici qui revient en boucle pour signifier que les barrières sociales ne s’effondrent jamais, qui que l’on soit, où que l’on aille. Concision déterminante véritablement conductrice du récit. Une langue, ou plutôt des langues, rocailleuse, et inventive, troublante et éclectique, qui palpite, et indique le choix des mots, la force de la sémantique, d’une certaine sémantique. Qui prolonge le goût, et qui fait entendre une voix, celle qui est avant tout celle que l’on se fabrique. Dont les autres peuvent s’éprendre. Jusqu’au jour où les livres apparaissent, et qu’ils façonnent un point de vue, un esprit, une pensée.

J’ai beaucoup aimé ce livre également pour ses accents de Far-West contemporain, et pour l’ossature de ce gang de filles qui compose avec des relents de nostalgie, et quête des origines. L’identité se définit par cette noble texture que représente le langage. Ce caillou brut, en apparence moribond, approximatif, changeant, incomplet, qui sert cependant ici à exprimer l’essentiel : dire que l’on a su devenir quelqu’un qui compte.

Laurence Biava — Ecrivain, agent d’auteurs et d’artistes

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