Le fait du prince
Il rêvait d’un modèle unique. Il sera finalement fabriqué 100 exemplaires de l'Aeromax. Dont 96 unités rejoindront des garages étrangers au sien. Descendant de la famille royale moldave, le prince Eric Sturdza se fit d’abord connaître par ses talents de joueur de tennis qui lui valurent une carrière professionnelle honorable. Sa reconversion, il la réalisa ensuite brillamment dans le secteur bancaire où il a occupé la fonction de président de la Barings Bank à Genève. Avec un parcours nettement plus modeste que le sien, beaucoup de personnes se seraient empressées de faire la couverture des magazines people. Pas lui : il est trop discret pour cela. Ce qui n’a jamais empêché cet homme attachant d’afficher ouvertement sa passion pour les Morgan et de la vivre intensément. Alors qu’il lui aurait probablement suffi de racheter la petite entreprise familiale de Malvern Link pour matérialiser ses projets les plus fous, Eric Sturdza a préféré avoir la délicatesse de contacter le maître des lieux pour lui faire part de son rêve. Nous sommes alors à l’automne 2004 et sa demande consiste dans l’habillage d’un exemplaire unique d’Aero 8 sous la forme d’un coupé dessiné dans la tradition classique des grands carrossiers italiens de l’avant-guerre. Le coût de l’opération n’ayant aucune importance, Charles Morgan n’est pas long à convaincre, mais il ne dispose alors pas d’un designer capable de mener à bien cette opération. Au hasard d’un courrier, il songe à Matt Humphries, un jeune étudiant qui ne cesse de le harceler en le bombardant de dessins suggérant de nouveaux modèles. Les événements vont alors se précipiter. En quelques mois à peine, l’Aeromax quitte la feuille de dessin de ce dernier pour devenir un concept-car destiné à être exposé au salon de Genève 2005. Interrogé au sujet du bébé qu’il avait encouragé à naître, Eric Sturdza déclara à l’époque : “La première fois que j’ai vu l’Aeromax, je dois reconnaître qu’avec son arrière puisant son inspiration dans la Bugatti Type 57 Atlantic de 1936 ou encore dans le coupé Chevrolet Corvette Sting Ray 1963 split window, elle ne correspondait absolument pas à ce que j’attendais. Mais je l’ai aimée tout de suite. Suffisamment en tout cas pour je passe commande de quatre exemplaires, deux en boîte manuelle et deux équipés d’une transmission automatique !”. A Genève, le conte de fée de Matt Humphries fascine, autant que la fraîcheur du designer étonne. Quant à la voiture, si elle choque quelques sensibilités esthétiques et provoque l’ire de certains puristes, elle recueille l’assentiment de la majorité et engrange les bons de commande. Une situation à laquelle Charles Morgan ne s’attendait pas. Il décide toutefois de la produire mais en fixant à cent unités le nombre maximum d’Aeromax. Ceux-ci seront fabriquées de mars 2008 à la fin de l’année 2009. Sortie du contexte mondain d’un salon et plongée dans la masse du trafic, l’Aeromax y semble aussi incongrue qu’un samovar dans un intérieur contemporain. Si l’avant ne peut renier son origine, l’arrière est autrement plus baroque. On y retrouve des influences multiples, aussi bien italiennes et françaises qu’américaines, tout en mélangeant les époques. Le résultat est cependant sublime et atteste d’un joli coup de crayon, sans même parler d’un travail exceptionnel pour former l’aluminium (toutes les pièces sont soufflées à l’air chaud). Parmi les détails qui tuent, est-il nécessaire de mentionner les deux vitres à ouverture papillon formant la lunette arrière ou encore l’intégration parfaite des feux arrière de Lancia Thesis ? A bord, sinon le volant totalement anachronique et le pommeau de vitesse rappelant inutilement l’origine des composants mécaniques (BMW), on ne peut que s’ébaudir devant la beauté de l’instrumentation ainsi que celle de leur graphisme, sans oublier le soin apporté à la sellerie et à la boiserie omniprésente. Tout un art de vivre, spécifique aux meilleures productions britanniques. Quant à la mécanique, derrière la calandre se cache un V8 4.8 BMW fort de 367 ch qui ne se contente pas d’offrir une symphonie pour bielles et pistons mais expédie le 0 à 100 km/h en moins de 4,5 s. De toute évidence, le prince Eric Sturdza a été bien inspiré de s’adresser à Charles Morgan pour lui faire part de ses rêves automobiles…
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9 moisMerci Cher Stany de faire « vivre » l’automobile avec autant de talent que de culture!