LE FENTANYL : 50 fois plus puissant que l'héroïne, est-il une menace pour la France ?
En France, 12 millions de patients souffrant de douleurs chroniques prennent des antalgiques opioïdes.
Dans notre pays, en 10 ans, la consommation de ces antalgiques a augmenté en raison notamment de la mise en place en 1998 d’un plan de lutte contre la douleur par les pouvoirs publics.
Si nous connaissons bien l’effet puissant et périlleux de la morphine, en revanche, nous connaissons moins bien celui du tramadol, de la codéine, de l’oxycodone et ou encore celui du fentanyl arrivé en France depuis 2018.
Des noms qui promettent un soulagement rapide…ou l’enfer car ces antidouleurs à base d’opiacés peuvent faire aussi des ravages en cas de mésusage.
Le fentanyl est un opioïde de synthèse extrêmement puissant 1mg de fentanyl équivaut à 50 mg d’héroïne pure ou à 100 mg de morphine. Il se présente sous la forme de patchs transdermiques disponibles en plusieurs dosages (5) à coller sous la peau pour soulager des douleurs chroniques souvent cancéreuses stables, intenses ou rebelles aux autres antalgiques. La moindre erreur de dosage peut s’avérer mortelle (2 mg suffisent à rendre la dose mortelle). Les risques d’addiction et d’overdose sont importants.
Depuis 15 ans, le nombre d’overdose et de décès dû à ces opioïdes a explosé.
Le fentanyl peut être détourné de son utilisation médicamenteuse ou vendu illégalement sous forme de poudre, de spray ou de comprimés contrefaits.
Une population dépendante s’est formée se tournant vers l’héroïne avant de basculer souvent dans la consommation de fentanyl (drogue accessible et abordable).
La France prend-elle le chemin des Etats-Unis, où les médicaments opioïdes font des ravages, loin devant les accidents de la route et tuant plus que les armes à feu ?
Aux Etats-Unis, on parle d’épidémie des opioïdes. En 2018 : 32 000 américains sont décédés et depuis 2019 : 130 personnes meurent par jour à cause de surdosage liés notamment au fentanyl et autres opioïdes (des victimes célèbres comme Michael Jackson ou Prince). Dans ce pays, depuis trois ans, l’espérance de vie a reculé en raison de ces overdoses.
Cette crise sanitaire est sans précédent. Dernièrement, les américains ont réduit l’accès aux antidouleurs sans pour autant laisser souffrir les patients, il a fallu trouver un juste équilibre.
Le Canada est également concerné avec 4 000 morts en 2017 et dans une moindre mesure la Suède limitrophe de la Russie ou encore l’Estonie avec plus de 200 morts ces deux dernières années.
Le fentanyl est une pomme de discorde entre le Président Donald Trump et la Chine qui reproche à cette dernière de ne pas avoir mis fin à la production et à la vente de fentanyl, l’accusant d’être le principal producteur. Tout en réfutant ces accusations, les autorités chinoises avaient annoncé dès le 1er avril 2019 qu’elles renforceraient la lutte contre les trafiquants et leurs laboratoires.
En France, la situation est moins alarmante. Mais s’il ne faut pas dramatiser la situation, les autorités sanitaires comme les services anti-drogues commencent toutefois à s’inquiéter.
Dans notre pays, l’addiction aux opiacés constituent la 1ère cause de mort par overdose.
La Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas mais aussi la Norvège se sentent également menacés par cette drogue meurtrière.
En France, on compte 7 hospitalisations par jour et 4 décès par semaine à cause de la consommation de ces antalgiques opioïdes et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Il faut rappeler que l’on compte environ 250 000 héroïnomanes alors que 25% à 30% de la population se plaint de douleurs chroniques.
Une étude de l’ANSM précise que 95% des opioïdes sont prescrits par des généralistes accentués par le virage ambulatoire (patients sortant de plus en plus tôt de l’hôpital avec une ordonnance souvent standardisée). Une prescription trop systématique pouvant conduire à une consommation addictive.
La prescription d’opioïdes a doublé entre 2004 à 2019 en France passant de 500 000 à 1 million.
Il faut insister sur la prévention auprès des médecins et sensibiliser l’opinion publique à ce risque de dépendance insidieuse.
En France, les médecins ne prescrivent pas en masse. La prescription de fentanyl est réalisée sur ordonnance sécurisée et la publicité médicale est interdite, situation différente aux Etats-Unis.
Les saisies par les brigades de stupéfiants françaises (Stups) augmentent même si elles restent faibles. Les marges sont confortables pour les trafiquants à environ 1 100 € le kilo à 30 € le gramme à la revente.
Dernièrement, une nouvelle drogue est apparue le carfentanyl, dérivé du fentanyl dont les effets peuvent atteindre 10 000 fois ceux de la morphine. Cette drogue fut initialement développée pour la sédation des grands mammifères comme les éléphants ou les rhinocéros, elle est disponible sur les marchés noirs. Extrêmement toxique, elle a déjà provoqué des décès par overdose suite à son utilisation en tant que produit de coupe à l’héroïne.
Face à ce fléau, en janvier 2018, l’ANSM a autorisé la mise sur le marché (AMM) d’un puissant andidote, la naloxone, efficace si ce spray est administré suffisamment tôt.
En août 2019, un tribunal de l’Oklahoma a condamné le groupe Johnson & Johnson à payer 572 millions de dollars à l’Etat de l’Oklahoma pour sa responsabilité dans la crise des opiacés, première condamnation d’un laboratoire aux Etats-Unis pour une crise qui a fait des dizaines de milliers de morts par overdose.
Le juge a estimé que le laboratoire Janssen, division pharmaceutique de Johnson & Johnson, avait adopté « des pratiques trompeuses de marketing et de promotion des opiacés » causant une crise de dépendance à ces médicaments antidouleurs des morts par overdose et une hausse des syndromes d’abstinence néonatales dans l’Etat.
Enfin, aux Etats-Unis, la famille Sackler riche mécène a fait notamment fortune grâce à la vente de médicaments antidouleurs opiacés via le laboratoire pharmaceutique américain Purdue Pharma provoquant 200 000 décès. En 1996, ces riches américains avaient donné 10 millions de francs pour la restauration de l'aile des antiquités orientales du Louvre, qui porte le nom de Sackler depuis.
Aujourd'hui, face à des milliers de plainte, cette famille a promis le versement de 10 milliards de dollars dont 3 milliards de leur fortune personnelle pour indemniser les victimes. Affaire à suivre...
Par Isabelle BRIENT, Docteur en Droit, Avocate, D.I.U "Responsabilité Médicale et Droit des Malades" et D.U "Réparation Juridique du Dommage Corporel".