Le "financement"​ de la formation professionnelle-Episode 2 : Des FAF au CPF, l'illusion d'une assurance formation

Le "financement" de la formation professionnelle-Episode 2 : Des FAF au CPF, l'illusion d'une assurance formation

Pour comprendre le pourquoi et le comment de la mutualisation de la formation il faut se replonger il y a près d'1/2 siècle, juste après les "évènements" de mai 68, via le projet de "nouvelle société" de Jacques Chaban Delmas et de son secrétaire général pour la formation professionnelle et la promotion sociale, Jacques Delors.

 « le modèle actuel (de société) ne peut aboutir qu’à l’immobilisme. Pour le changer, il faut que l’État sache jouer un rôle d’orientation sans laisser se démobiliser les acteurs du jeu social. La nouvelle société pour moi, c’est celle-là. C’est une société profondément décentralisée où les possibilités de créativité sont encouragées (…) ou bien on donnera du jeu aux collectivités aux organisations professionnelles et sociales, et des progrès seront possibles, ou bien l’État restera le point de passage obligé de toute initiative, et les frustrations grandiront : on passera côté de choses extraordinaires » Jacques Delors l'express juin 1972, cité par JM Luttringer

L'objectif des Pouvoirs publics était donc de donner du pouvoir éducatif (et des financements) aux partenaires sociaux

Mai 68, ce raout d'étudiants qui chamboula la société française, déconstruit l'école et installa une nouvelle répartition des rôles sociaux

Mai 68 ébranla fortement le monde du travail en France, l'augmentation très forte du SMIG : près de 35 % fit perdre de la compétitivité aux entreprises françaises et initia le chômage de masse à la française (développé ensuite à chaque nouvelle crise économique).

L'autre conséquence de mai 68 fut d'avoir enclenché le déclin continu de l'école française, une école évidemment située en amont de la formation professionnelle et que cette dernière ne peut ni remplacer ni réellement corriger (avec ses petits moyens).

Dans les années 70 à la Gauche et aux syndicats furent dévolu le social et l'éducation, à la Droite resta l'économie (et les ministères régaliens)

La gestion de l'éducation fut donc confiée (abandonnée) aux forces syndicales et aux partis politiques de Gauche. L'école connut dès lors toutes les "innovations pédagogiques" (et traumatiques) qui transformèrent une institution solide et efficace en un bastion des idéologies soixante-huitardes ("la pensée 68" de Luc Ferry).

La mutualisation permit d'offrir aux syndicats un nouveau terrain de jeu social et des financements

Puisque l'école était dévolue à la gauche (égalitariste) il fallait en faire de même pour la formation continue, encore appelée "promotion sociale" ou "école de la seconde chance".

Confier la formation aux partenaires sociaux (paritarisme) et instituer un financement égalitariste via une pseudo assurance formation (avec les FAF -fonds d'assurance formation- devenus OPCA puis OPCO) et une cotisation obligatoire (pour les seuls employeurs) de 1% de la masse salariale.

La mutualisation des fonds assimile la formation à un risque, le risque de devoir apprendre ou réapprendre

Si avant 1973 (crise pétrolière) le recours à la formation était exceptionnel (on formait les incompétents ou les cas sociaux), cette vision d'une formation comme un risque assurable allait entraîner le pays dans une parfaite déresponsabilisation des acteurs sociaux

  • Les entreprises se limitaient à leur (faible) cotisation de 1%
  • Les entreprises s'en remettaient à leur "assurance formation" pour non seulement financer la formation mais l'organiser, la construire, la déployer
  • Les syndicats (ouvriers comme patronaux) se servaient largement au passage. Ils créaient des organismes de formation attachés à des syndicats ou des entreprises et rabattaient des sommes considérables vers leurs propres organisations
  • Les salariés restaient dans la passivité et le conformisme d'un droit du travail où l'employeur reste le seul maître et connaisseur à bord, où la formation est soit une corvée, soit sanction et où la progression d'un niveau de qualification professionnelle (sur 40 années de carrière) reste l'objectif insurpassable.
  • Les organismes de formation collaient à un marché corporatiste, conformiste et hyper règlementé (impossible de former à distance avant la fin des années 2010)

En mai 2004, sous l'autorité du ministre du travail François Fillon, une loi aurait pu (et dû) révolutionner la formation : la loi "pour la formation tout au long de la vie"

Il s'agissait non seulement d'augmenter la cotisation formation des employeurs (près de 1,6%) mais surtout de mettre en place un droit à la formation (DIF) révolutionnaire, comparable à celui des congés payés, ce DIF devrait permettre au salarié de prendre l'initiative de la demande de formation, de réfléchir à son emploi, à son employabilité, à ses compétences actuelles et futures, le tout permettant d'engager un dialogue avec l'employeur (qui soit laissait partir son salarié sur le temps de travail soit le dédommageait hors temps de travail avec une allocation formation).

Le DIF était une extraordinaire innovation sociale et éducative qui resta incompris et mal acquis par la presque totalité du monde professionnel

  • Pour la première fois le salarié était doté d'un pouvoir de négocier sa formation, de prendre en main ses compétences dans un esprit de co-engagement avec son employeur
  • Le DIF percutait la mutualisation : il ne s'agissait plus de répartir de faibles montants en 20 millions de parts (20 millions de salariés du privé) mais de doter chacun de 20 heures (3 jours) de formation soit une augmentation de 50 % par rapport à la moyenne nationale (14 heures en moyenne par salarié et par an dans les années 2000)
  • Las, le DIF échoua (ou plutôt il fut torpillé en 2013-2014) sans qu'on lui ait laissé le temps (une génération soit 20 années) et les moyens financiers (10 milliards par an et non 200 ou 300 millions d'euros) de donner tout son potentiel
  • Le successeur du DIF, le CPF, fruit gâté d'une manipulation sociale et politique (créer un compteur formation en lieu et place du droit à la formation) fut mis en place en 2015, monétisé et automatisé en 2019

Le CPF n'est ni un droit à la formation, ni un budget formation pour chacun (les 500 €/an n'existent pas, ne sont nulle part provisionnés), ce n'est qu'un système de comptage d'heures (puis d'euros) de formation qui est devenu au fil du temps une super usine à gaz qui au mieux permettra une fois tous les 20 ans à 3 % des salariés de se former (durant une trentaine d'heures)

Le CPF est ruineux pour la formation professionnelle avec sa mini-cotisation (0,2% de la masse salariale soit 40 € par an en moyenne) et il ruine aussi les compétences des travailleurs qui se réfugient derrière un pseudo-livret de caisse d'épargne, une nouvelle et fallacieuse "assurance formation".

didier Cozin

La formation tout au long de la vie (FTLV)

2 ans

La France a mis tous ses œufs dans le même panier éducatif public, celui-ci est mal en point et les compétences des Français bien insuffisantes pour le XXIe siècle.

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