GRAND DIALOGUE NATIONAL : DE LA CRISE DE COMMUNICATION A LA COMMUNICATION DE CRISE DE PAUL BIYA
Depuis son poste d’observation bien nommé Palais de l’Unité, Paul Biya a fixé un nouveau marqueur de l’histoire de son pays : le Grand Dialogue National, en réponse aux conflits chroniques dans les régions dites anglophones du Cameroun. Le costume de sourd-muet du vieux sage silencieux semble avoir rétréci, et dévoile depuis lors une stratégie de communication dont les ficelles tissent à merveille le cas d’école.
C’était le 10 septembre dernier, l’annonce de ce Grand Dialogue National par le Chef de l’Etat du Cameroun, à la faveur d'une extraordinaire adresse à la nation, lapidait, d’un coup net et sans bavure, la clandestinité du logos prétentieux longtemps vomit par ses collaborateurs fidèles. Cet intitulé largement politique visant à résoudre ‘ la crise anglophone’’, résume le périlleux exercice de diplomatie interne – élargi à la diaspora – auquel l’Homme fait actuellement face. Comme l’indice d’une posture qui se veut trancher avec la distance établie ces trois années de heurts dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun.
Cet intitulé largement politique visant à résoudre ‘ la crise anglophone’’, résume le périlleux exercice de diplomatie interne – élargi à la diaspora – auquel l’Homme fait actuellement face.
Toutes ces années de silence, il a pourtant parlé. Et comment ?
LE BRUIT DES SILENCES PRÉSIDENTIELS
Ancré dans une vieille tradition de toute puissance et soupçonné d'être déconnecté des réalités de ses concitoyens, le président a toujours adopté un ton silencieux, raréfiant ses apparitions. Partant, il a laissé la porte ouverte à des porte-paroles à l’aise avec l’interprétation de ce qu’il ne disait pas, ou qu’on avait pas entendu publiquement. Parfois parlant en son nom, et d’autres fois, parlant en tant que ses créatures. Et les quelques fois qu'il a été furtivement interrogé sur la question en suspend, ou qu'il s'y est attardé lors d'un discours régulier, il a gardé le silence sur le nom du problème. Le tout à coup d’arguments implacables de logique, marchant sur toute revendication au pas de charge.
En l’espèce, il ne pouvait pas avoir d’accalmie de quelque variable que ce soit, parce que ceux qui prenaient la parole au nom de l’appareil gouvernant, ne semblaient pas le vouloir. Maîtrisant mal le pathos, et haut perchés dans leur littérature approximativement sincère, quand bien même des fois évoquaient-t'ils déjà timidement un certain dialogue. Finalement ils ont perdu toute crédibilité, du reste elle était déjà bien entamée, et en ont fait perdre davantage au Chef de l’Etat. Avec des sorties aussi incendiaires que celles-ci : « Savez-vous combien de fois Dieu a dû raser la terre de tous les Hommes ? et on ne compte pas les morts » ; ou encore, parmi les plus modérées : « J'entends parler de dialogue, avec qui va-t-on dialoguer ? », le bruit avait définitivement pris le pas sur le mutisme du Chef de l’Etat.
DE LA ‘’QUESTION ANGLOPHONE’’ A ‘’ LA CRISE ANGLOPHONE ‘’
Au tout début de ce qui est convenu d’appeler officiellement, désormais, la crise anglophone, la guerre était celle des formules. Les différentes parties du pouvoir mettaient un point d’honneur à nuancer les terminologies et le vocabulaire, minimisant par là même la réalité de ce qui se tramait dans les deux régions sous tension, et préféraient parler de « Question anglophone » comme de la question du développement qui se pose dans toutes les régions nationales. Surtout, ils prétextaient la rigueur de la république face à des supposés hors la loi, copiant sur une histoire si confuse.
Aujourd’hui que la tête de file a dit la formule magique, si souvent reprise dans nombre de pays en tant de crise, et qui vise à montrer un peu d’humilité du pouvoir, la mode est à la remise en question, à la modestie, à la sobriété des propos, à la reconnaissance des erreurs et aux attentions dans la prise de parole. Bref, à l’inflexion tout de go.
DIALOGUER, OUI, MAIS SURTOUT COMMUNIQUER !
Les inflexibles d’hier semblent vouloir entrer en communication cette fois. D’un point de vue politique, nombre de mesures avaient déjà été prises, bien insuffisantes a posteriori. Mais pour ce qui est de la communication qui nous intéresse, la volonté semble largement présente. Depuis le discours inaugural du Grand Dialogue par le Premier ministre Chef du gouvernement, le 30 septembre, jusqu’aux élans symboliques tels que l’hymne national chanté par des jeunes désarmés, l’anglais présenté en premier avant le français sur quelques supports de communication (même mal fait) et j’en passe, il apparaît toujours le contexte, les enjeux, les efforts faits et ceux qui restent à faire.
A la faveur d’une forme avenante, avec un ton posé, une gestuelle à la limite obséquieuse, les propos du PM n’ont pas manqué d’implorer, d’exhorter, et d’engager les différentes parties face à leur rôle historique dans ce dialogue. Fini le dénie, les envolées incendiaires, les leçons à tout vent et la décrédibilisation systématique du moindre son contradictoire. Toute chose qui a succinctement ressuscité le pathos du discours politique, et donc celui de Paul Biya, au nom duquel il parlait, si l’on en croit l’emballement des médias locaux. Du moins, à l'exception du média national qui fait de la résistance, et continue de parler de "troubles socio-politiques".
Pour les gouvernants camerounais, il est essentiel de montrer un visage d’ange, afin de faire valoir un peu d'humanité sinon de compassion, et parvenir à rétablir une cohésion socio-économique acceptable au sortir de ce Grand Dialogue National. Même si dans le fond, les comptes semblent faits. La communication, on le voit ici, si on l’a sort de son silence avec méthode, cache bien son jeu.