Le Grand Paris bouge-t-il ?
Crédit @Xavier Colas, Libération

Le Grand Paris bouge-t-il ?

C’était la question posée par la rédactrice en chef adjointe du quotidien « Libération », Sybille Vincendon, à ses invités. L’absence d’Elisabeth Borne semble rendre la réponse particulièrement évidente : « non, pas quand il neige ». Mais loin de se satisfaire de cet axiome, et en véritable journaliste d’investigation, la modératrice du débat a poussé ses interlocuteurs dans leurs retranchements autour des thèmes de l’égalité, des espaces publics et des nouvelles mobilités.

La Régie Autonome des Transports Parisiens, représentée par sa directrice Catherine Guillouard, a rappelé son rôle de transporteur auprès des habitants de la cité de l’amour et de ses alentours. Tour à tour honnie puis bénie, la quasi-institution sert avec fidélité depuis 1949 ses usagers, leur évitant de trop rentrer avec leurs pieds ou pire… avec leur voiture ! Qualifiée d’« ennemie », voici la citadine muée en Mesrine. Quinte de toux pour Frédérique Mazella, à la tête de Blablacar qui tempère : « la voiture vide est notre ennemi ». L’alliance est conclue et la hache de guerre enterrée. La régie peut dévoiler son véritable objectif : transporter porte à porte les usagers grâce à un parcours sans couture[1] notamment à l’aide des nouvelles mobilités. L’acte est joint à la parole et de larges parts sont coupées dans de nombreuses startups comme Cityscoot.

Le rêve de l’énarque est d’élargir l’offre des solutions de mass-transit faisant de la MaaS (Mobility as a Service) une réalité, comme à Annemasse. L’enjeu en vaut la chandelle : Jacques Levy, philosophe-géographe annonce le divorce des couples public – collectif vs privé – individuel. C’est-à-dire que les voitures individuelles pourraient être gérées par des services publics tout comme des taxis pourraient être opérés par des particuliers. Autrement dit, si la RATP veut conserver son activité elle doit asseoir sa place dans la chaîne de valeur du transport. Le positionnement recherché, celui d’intégrateur de solutions, nécessite une forte maitrise des compétences digitales et du parcours clients, lorsque jusqu’à présent l’expertise différentiant la Régie porte sur l’exploitation du matériel roulant.

Le géant doit donc se transformer. Et il le sait. Face à lui dans cette jungle de la mobilité se positionnent ses fournisseurs, pachydermes de l’automobiles (OEM) mais également les GAFA, tigres à l’affut, qui misent sur la voiture autonome pour se rendre maîtres incontestables des métropoles dans les années à venir.

Jean-Louis Missika, chargé des projets du Grand Paris, en a tout à fait conscience et n’entend pas rendre les armes sans livrer bataille. Son arme est la loi, et son graal, la gouvernance des données. Il entend « contrôler les jeux de données produits par l’ensemble des objets en déplacement », actuellement la proie des OEM (Original Equipment Manufacturer) et des gestionnaires d’infrastructures. Le diagnostic est jugé pertinent par Philippe Dewost, directeur de Léonard, incubateur du groupe Vinci, concentré sur l’autonomie des véhicules, véhicules qu’il qualifie de « Smartphone sur roues ».

Si les deux hommes s’accordent, la donnée donnera peut-être le la à la mobilité. Seul bémol : que ce soit la RATP ou la mairie de Paris, une entité publique a-t-elle à ce jour l’expertise nécessaire pour traiter cette quantité incroyable de téraoctets à venir ? Les GAFA probablement. Si les villes ne parviennent pas à s’entendre entre elles ni avec les industriels quant à une politique de transport commune, il est légitime de se demander après la percée d’Uber, ce que les autres firmes hyper-nationales tenteront ?

La réponse à cette question, peut-être est-elle détenue par la grande absente de la soirée. Elisabeth Borne avec les assises de la mobilité semble avancer sur le sujet de la cohérence et le développement des offres de transports publics sur l’ensemble du territoire national. La question ne serait plus « Le grand Paris bouge-t-il ? » mais « La Grande Nation bouge-t-elle ? ». Restent 4 ans ; le compte à rebours est lancé.



[1] Aptitude d’une entreprise à assurer une expérience client fluide et sans friction à l’égard des consommateurs ayant un parcours cross-canal, voir l’expertise du Cabinet Bartle appliquée au retail



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