Le Hold up électorale est constance au Cameroun

Quand on parle de « hold-up électoral » au Cameroun, beaucoup croient, ou font semblant de croire que c’est seulement l’élection présidentielle 2018 qui est en cause. Or celle-ci n’en a été qu’un épisode rendu particulier par les circonstances qui l’ont entouré.

En réalité, et dans le contexte camerounais, le hold-up électoral désigne une pratique néocoloniale en vigueur dans ce pays depuis qu’à l’occasion des premières élections législatives du Cameroun français en 1956, le « Chef de subdivision » de Garoua (qu’on appellerait Préfet aujourd’hui), a bourré une fausse urne pour donner la victoire à M. Ahidjo contre la réalité des bureaux de vote, aux fins d’envoyer celui-ci à l’Assemblée législative, où il deviendra selon la volonté de la France, Premier Ministre en remplacement d’André Marie Mbida, puis premier Président de la République dans le sillage en 1960.

La pratique consiste, pour celui qui est au pouvoir, à créer les conditions politiques, institutionnelles et légales pour que l’organisation de toute élection et de toutes les élections politiques, même qualifiées de « démocratiques » ou « pluralistes », se soldent en faveur de sa personne et de son parti, à l’exclusion de tout autre.

Etymologiquement, le hold-up (d’origine anglaise) désigne « un vol à main armée dans un lieu public ». Quelqu’un vous tient au respect (les mains en l’air) avec une arme braquée sur vous, et vous dépouille de votre bien, sans que vous puissiez réagir, au risque de perdre la vie. C’est donc au sens figuré de cette expression que l’on parle de « hold-up électoral ».

En démocratie, le pouvoir politique est une propriété du peuple souverain, qu’il délègue à une personne ou un groupe de personnes par voie d’élection (s), pour la gestion des services communs. Lorsque celui ou ceux qui détient (nent) ce mandat en profite (nt) pour manipuler la constitution, confectionner des lois, créer des institutions dont la cohérence opérationnelle vise à dépouiller le peuple électeur de sa souveraineté, alors, on parle de Hold-up électoral.     

Car, dans une telle situation, le peuple électeur ne peut plus changer la gouvernance mal vécue,  parce que les règles de vote ont été unilatéralement modifiées par le mandataire, ou parce que les résultats de son vote sont revus à la hausse ou à la baisse par des instances politico-administratives et ou juridiques ad hoc, en faveur du détenteur du pouvoir. Le peuple se trouve alors dans la position d’un propriétaire dont le gérant de la boutique a modifié son contrat de recrutement pour rendre son renvoi impossible, et s’est approprié la boutique.

Cet exemple reste impropre parce que le propriétaire dans ce cas, peut encore recourir à un tribunal. Dans le hold-up électoral, le tribunal est constitutif de l’arme juridico-institutionnelle du braquage. Il n’y a plus de recours possible contre le braqueur qui tient entre ses mains la puissance publique dotée de la violence d’Etat. Comment se défendre à mains nues contre plus fort qui tient le couteau par le manche ?

Le hold-up électoral est donc permanent au Cameroun, dans la mesure où le Code électoral n’est pas neutre et encore moins consensuel, mais exclusivement propice qu’au parti au pouvoir ; dans la mesure où l’organe de gestion du processus électoral est acquis au parti au pouvoir et en dépend comme une propriété ; dans la mesure où une Commission nationale de recensement des votes, lors du scrutin présidentiel, peut manipuler à sa guise les résultats sortis des urnes en faveur du candidat du parti au pouvoir ; et dans la mesure où le Conseil constitutionnel qui doit « veiller à la régularité du scrutin » se trouve suborné par le même Président du parti au pouvoir, Président de la République, et Président du Conseil supérieur de la magistrature avec droit de vie ou de mort sur la carrière des magistrats.

Bref, chaque fois que la volonté générale exprimée dans les urnes devient minoritaire au terme du processus électoral, cela veut dire qu’entre les opérations de vote et la proclamation de ses résultats, il y a eu un hold-up électoral. Le bon combat de l’opposition n’est pas alors un combat contre une victoire volée, mais un combat qui doit se poursuivre jusqu’à la victoire institutionnelle  contre le hold-up électoral.

 Lequel hold-up électoral est à la fois un déni de la démocratie et une défiance à l’intelligence politique du peuple camerounais, qui se perpétue en obéissant désormais à une directive manipulatrice: « on n’organise pas une élection pour la perdre ».

Depuis que le Président à vie du Cameroun songe à un après Biya qui ne soit pas mortel pour son régime, il ne fait plus rien d’autre que de réfléchir aux voies et moyens de consolider la permanence du hold-up électoral ; c’est-à-dire d’empêcher à tout prix qu’il y ait quelque alternance de gouvernance que ce soit, fut-elle dans les Communes, qui puisse troubler son ordre tyrannique établi.

Sans remonter à la réforme constitutionnelle de 2008 et ses effets antidémocratiques, restons en 2018, année que la durée des mandats sénatoriaux, législatifs, municipaux et présidentiel indiquait comme une année électorale à quatre échéances. Après avoir ordonné à ELECAM l’improvisation du scrutin sénatorial avec un collège partiel, en violation impunie de la Constitution et de la loi électorale,  M. Biya a estimé tout seul, prenant à contre pied les partis d’opposition, que « pour cause de chevauchement » il fallait reporter d’un an le retour aux urnes des députés et conseillers municipaux pourtant arrivés en fin de mandat. Et voici qu’en début 2019, il a l’idée géniale d’utiliser ces conseillers municipaux-là (toujours légaux, mais illégitimes), pour élire les conseillers régionaux attendus depuis 22 ans, alors que les conseillers élus en 2019 pourraient bien le faire entre octobre et décembre prochains.

Comme par enchantement, le parti du Président au pouvoir, majoritaire dans les Communes, a eu la majorité absolue dans un Sénat qui ne représente d’ailleurs que le parti. Le parti du Président aura également une majorité absolue automatique dans les Conseils régionaux (puisque ce sont les mêmes conseillers municipaux (et les chefs traditionnels acquis au régime) qui vont voter.  Ainsi, M. Biya qui avait la latitude d’avancer les élections municipales en 2017 pour avoir un collège électoral normal au scrutin sénatorial de 2018, et ne l’a pas fait, a par contre trouvé l’astuce de les reporter au contraire en 2919, pour être sûr d’avoir verrouillé les conseils régionaux et le Senat avant une éventuelle arrivée conséquente de l’opposition dans les Communes. Ne dit-on pas que gouverner c’est prévoir ?

On aurait souhaité qu’il ait réfléchi autant pour empêcher le pillage systémique du patrimoine national par ses oligarques avides, et l’appauvrissement conséquent des populations, ou pour éviter à son pays l’humiliation du retrait de la Coupe d’Afrique des Nations 2019, pour ne s’arrêter que là. Mais, c’eût était  sans compter avec son désir obsessionnel de jouir à vie du pouvoir, désir qui est précisément la cause du hold-up électoral.

Ce qu’il y a de pernicieux dans le hold-up électoral permanent, c’est le faire semblant. Faire semblant d’organiser des élections universelles et transparentes lorsque le cadre juridique et institutionnel du processus est délibérément vicié pour produire le résultat contraire. Faire croire au peuple qu’il est en train de participer à la gouvernance, alors qu’il sert simplement d’alibi, sans pouvoir attendre, ni encore moins réclamer quoi que ce soit, de celui ou ceux qu’il est supposé avoir élu. Certains parleraient d’escroquerie politique, et d’autres de tyrannie.

C’est à un nouvel épisode de ce faire semblant, que nous allons assister dans les prochaines semaines, avec le plébiscite des conseillers régionaux qui vont à leur tour servir d’alibi au faire semblant de la décentralisation. Avec au moins cet avantage individuel que chacun est sûr de recevoir durant leur mandat, une récompense salariale pour l’indéfectible soutien à leur «créateur ». Quoi d’autre pourrait-il justifier cette élection précipitée des conseillers régionaux que l’on avait fini par oublier, alors qu’on ne voit pas encore la consistance de la décentralisation qui justifie leur élection ici et maintenant ?

En démocratie politique, la décentralisation consiste à rétrocéder aux collectivités territoriales d’un pays (communes, départements et régions…), les pouvoirs de gestion autonome, exercés par des personnes publiques élues par les administrés, et non nommées par décret,  pouvoirs qui permettent à chaque collectivité de penser et d’organiser son développement à partir de ses réalités et ressources locales, tout en contribuant à la vie de l’administration centrale, dans les proportions définies par la constitution.

L’empressement à mettre sur pied un Conseil régional qui ne serait qu’un organe délibérant, le gouverneur nommé par le Président de la République restant le pouvoir exécutif de la région, a fait dire à un cadre de l’opposition sur Equinoxe TV, qu’il s’agissait simplement « d’une décentralisation de la concentration administrative ». Et de fait, l’image que donne la décentralisation camerounaise, ce sont les Conseils municipaux élus par la population, mais placés sous la tutelle de gestion des préfets et sous-préfets et d’un Délégué du gouvernement dans les Communautés urbaines, et bientôt des conseils régionaux élus par les conseillers municipaux et des autorités traditionnelles, mais placés sous la tutelle de gestion des gouverneurs de région.

En somme, les collectivités territoriales dites « décentralisées » sont comme de simples unités déconcentrées, dans les mains des élus du peuple souverain qui n’ont pas le pouvoir de leurs décisions, parce que l’effectivité de ce pouvoir est plutôt exercé par les sous-préfets, préfets, Délégués du gouvernement, gouverneurs de région, tous nommés par décret du Président de la République comme démembrement de l’administration centrale. Il s’agit-là, comme tout le monde peut le voir, d’un indicateur majeur du hold-up électoral perpétré contre les citoyens dont les suffrages accordés à leurs élus locaux sont volés par le pouvoir central au profit des fonctionnaires nommés par Décret. Et tant que durera le hold-up électoral systémique, notre pays sera dans le faire semblant démocratique.

Jean Baptiste SIPA

(31 mars 2019)


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