Le jeu des grands
Et c’est parti pour cette quatrième course « Grand prix nocturne de Bormes ».
Casaque Porte d’Or prend la tête, talonnée par Casaque Tendresse et son poulain. Tous trois galopent crinière au vent. Loin devant. Casaque Miraculée se traîne et essaye de se relancer. Elle est vite rattrapée par Casque GPH. Casaque Suspense ferme la marche. Elle n’aura aucune chance ce soir. Le cœur palpite, l’émotion est à son comble. Casaque Porte d’Or perd du terrain, dépassée par Casaque Tendresse et son poulain qui forment un tandem. Inséparables. Ils prennent une belle avance. Ils sont sur la ligne d’arrivée. Émotion garantie.
En dédicace à Bormes les Mimosas, au moment de disposer mes romans sur la table, je m’arrêtai un instant sur la couverture de « Gracieuse et Panache au Haras » avec son beau cheval sur la couverture et un souvenir d’enfance est venu me percuter de plein fouet.
Un après-midi dans un champ de courses. Un voisin s’y rendait toutes les semaines et en petite fille curieuse je ne cessais de lui poser des questions. Un jour il m’y emmena ; je découvris un monde d’hommes qui hurlaient, gesticulaient, s’énervaient ou parfois repartaient tête basse, les poings crispés sur un bout de papier. Mon voisin m’expliqua qu’il avait perdu de l’argent en misant sur les chevaux. Pourquoi lui demandais-je, naïve, tu voulais gagner un cheval ? Non, c’est un jeu de grands. Mais ça va s’arranger ajouta-t-il. Ce jour-là mon voisin avait dû perdre beaucoup d’argent car les murs résonnèrent toute la soirée de disputes avec sa femme. Le lendemain matin, celle-ci vint emprunter à ma mère quelques pièces pour nourrir sa famille. Je m’étais promis que je ne jouerais jamais aux jeux des grands. Durant toute la soirée magique à Bormes je n’ai pu m’empêcher de jouer aux courses avec mes livres. Et je gagnais à chaque fois. À chaque dédicace, à chaque sourire partagé, à chaque regard appuyé ou admiratif, je gagnais en confiance en moi. Au fond peu m’importait lequel de mes livres arriverait en tête sur la ligne d’arrivée, même si j’étais très émue de voir que « Lettre à pépé Charles » et Gustave » l’ont emporté. Ainsi la boucle est bouclée puisque c’est aussi un pan de mon enfance.
Juste une petite anecdote à ce propos : j’étais en train de dédicacer « Lettre à pépé Charles » et « Gustave » à un garçon accompagné de ses parents, lorsqu’un autre garçon du même âge s’approcha de nous, pointa du doigt les deux livres et cria « Ah Gustave et pépé Charles, je l’ai lu ». J’ai levé la tête et j’ai misé (gros, prenant un risque, sait-on jamais… toujours mes satanés doutes) en lui demandant « tu as aimé » ? Et il a répondu spontanément « Oh oui, c’est trop trop bien ». Inutile de décrire les visages enchantés de l’autre garçon et de ses parents et mon soupir de plaisir !
Le retour à une heure très tardive (deux heures pour parcourir 60 kms sur la route de St Tropez) fut empreint d’allégresse et surtout il n’y eut pas de disputes à la maison. J’ai joué au jeu des grands et j’ai gagné !