Le Langage,Théâtre du Monde et du Temps ?
Simple, non ? Simple de s’immiscer en une société qui a perdu son langage, sa curiosité. Portée sur le voyant, le clinquant. Aisé, non ? Aisé en ce contexte, de prendre le pouvoir - rhétorique - donc financier et politique quand l’humain oublie la prime fonction du langage.
Soit, relier les hommes entre eux, leur permettre un débat constructif, sans hargne ni vengeance latentes.
Pour la plupart d’entre-nous, nous avons au début, à nos débuts, entendu une voix aimante nous susurrer son amour. Se rappeler de cette période est impossible, or elle nous constitue.
Boire les mots doux, chauds délicieux au sein de sa mère c’est apprendre inconsciemment, mais certainement et en douceur sa langue maternelle pour l’incarner ensuite.
Mais avec le temps, pour se protéger parfois, par lâcheté souvent, par fainéantise et manque de curiosité, à force de sot cynisme, de vile jalousie, de railleries, de peur, de complexes, notre parole s’étrique, coince aux emmanchures jusqu’à ne devenir que pauvre récitation sans tonalité, quand elle était toute tendresse et chaleur.
On se targue ainsi de pouvoir divulguer une nouvelle véridique car sa lecture fut réalisée sur un support virtuel, sans preuve, sans vérification de source ; voire prendre pour dogme une émission, un article, un livre au ton fort, voire péremptoire sans oser lire son pendant inverse, avec une thèse autre et comparer les deux.
Ah ! Pour ça oui, ils sont « chiants » les intellectuels ; Ô Cons!
Qui, non contents de penser, d’apprendre en lisant, en parlant, en cherchant de partout, en croisant leurs données, et en vérifiant leurs sources, dérangent une pensée formatée. Un propos coulant de source, car moulé en masse. Dénué de sens, mais de si nombreuses fois repris qu’il en devient vrai. Vu à la télé, en sorte.
Comment en sommes-nous arrivés à cette aberration ?
En étant juste à la marge d’une pensée préfabriquée par les communicants du siècle passé : Dale Carnegie et sbires. Car ce sont eux, qui les premiers, ont mis au placard la langue, et l’utilité du langage. Ce sont eux qui ont ôté aux mots toute forme d’expansion, de double sens, de péri texte.
Un mot et un seul pour nommer.
La simplification pour dogme.
Le pire est que cela fonctionne à merveille. Épuisant que de tenter de prouver, que de chercher le synonyme du terme pour, comme en peinture, poser la juste nuance au bon endroit, et, ainsi, permettre aux autres teintes de prendre tout leur relief.
Ciseler une phrase. Apporter profondeur, sens et rythme à un propos, lui donner corps par l’attention portée à autrui.
Le langage tue, nous le savons.
Une vérité dénuée de sources comparatives joint à une dialectique pauvre, déstructurée, un lexique sclérosé d’emblée sèment la terreur.
Toutefois, ce qui attriste le plus, ce qui terrorise le plus, se compose de nos fadaises intrinsèques :
- Tu fais quoi dans la vie ?
- Je pense – donc en toute logique : je suis[2] !-.
- Oui, mais tu fais quoi dans la vie, ton boulot je veux dire ?
Que fois la réponse apportée à ce type de questionnement condescendant fut : « Rien ».
Pourtant, pourtant… transmettre la fonction primordiale et les nuances langagières est mon métier.
J’essaie de pointer l’importance du choix des lectures, des supports médiatiques sur lesquels fureter, ce toutes idéologies confondues, toutes technologies confondues : comparer pour choisir en toute liberté.
Indispensable ensuite de souligner l’importance du mot choisi, pour apprivoiser ses peurs, aider à transcender ses complexes, à dépasser ses frontières, et être soi-même. Nul autre. Ambitieux ? Incroyablement pédant, et si réel.
La portée du langage s’amenuise souvent par une utilisation malencontreuse ou trop fréquente de termes à la mode pour faire chic on pourrait appeler cela la tendance lexicale. On nous a bien sorti « les éléments de langage ». Ces terminologies insipides sont un peu à l’image des médicaments génériques issus de délayages de souches : les mots finissent par perdre leur sens initial, et les humains leur dignité.
Structurer et trouver le mot juste pour exprimer sa pensée, avoir une phrase percutante sont autant de données méthodologiques et cognitives. Car, car...le lexique comme nos actes nous révèlent, merci Freud !
C’est l’alignement structurel : accord mots, pensée, actes: Le mot et la chose, comme l’eût si bien écrit l’Abbé L’Attaignant.
OUI, oui, le verbe se fait chair. S’incarner en son vocabulaire pour vivre.
Vivre !
Naitre pour vivre, non pour dénoncer, mourir et faire mourir !
Vivre reste la fonction essentielle de l'humain. Elle se traduit par l'utilisation du langage maternel appris au sein ; « au biberon » comme il est de coutume de dire, de réciter sans même apercevoir une once de sens en cette terminologie.
Combattre l’ineptie d’un langage matérialiste, composé de phrases alambiquées dénuées de sens. Ah! La péremption du dire, jointe à l’indécision du vocabulaire et son imprécision laissent la phrase en suspend, et sans réponse à ses questions, on part chercher ailleurs.
Un Ailleurs où se trouve l’évidence donnée rassurante.
Dans cet interstice, se situe la force des préjugés, de tous les présupposés, de ce qui se nomme la propagande :
« Point besoin de mouliner du cerveau, je pense pour toi. Suis-moi je te dirais comment agir, réagir et quoi faire. »
A ce stade, la langue se dépare de sens, se détourne de son utilité première : raconter, expliquer son quotidien, mettre en mots un malaise, trouver une écoute, un écho : Donner confiance.
C’est par manque de confiance en son langage maternel que la kalachnikov dialectique s’est propagée.
Par peur d’être marginalisé.
L’humain, l’être incarné dans le verbe possède lui aussi ses nuances, ses humeurs eût-on dit au 19ème siècle, la mienne est incroyablement vivante ce jour.
L’unicité, pour moi, est la fermeture à tout, de tout. J’ai en mémoire Jean-Pierre Vernant :
Un tout seul a froid et finit par mourir ou faire mourir. Mais, un plus un ouvre les portes du monde, car quand on aime, un plus un égale trois[1].
Se réapproprier sa pensée, oser l’exposer, la dérouler pour ainsi avoir sa vie, son avenir en mains. Difficiles acquisitions, longue route que de forger son propos à l’aune de l’analyse critique.
Rude, rigoureux apprentissage que le langage et sa fonction ? Pour sûr! (CF. les expressions de ma Haute-Savoie natale.)
Une simple recette de cuisine à tenter. Pour le bonheur. Pour l’hédonisme partagé. Pour rire ensemble des ratés.
Marianne DUFLOT
[1] Vernant (Jean-Pierre), L’univers et les Hommes, Récits grecs des origines, Paris, Seuil, 2006.
[1] En hommage à Erich Fromm – Cf. The Forgotten Language; an introduction to the understanding of dreams, fairy tales, and myths (1951)
[2] Descartes (René) Cogito ergo Sum, Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, La Haye, 1637.
[3] Châtié, vernaculaire, familier, argotique, verlan, jargon […]
[4] Vernant (Jean-Pierre), L’univers et les Hommes, Récits grecs des origines, Paris, Seuil, 2006.
[5] Bachelard (Gaston), L’Air et les Songes, essai sur l’imagination du mouvement, Paris, Livre de poche, 2004.
[6] : Cf-. ci-dessous :
- Klein (Mélanie), La psychanalyse des enfants, réd., Paris, Puf, 2001.
- Cyrulnick (Boris), Un Merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, 1999. Du même auteur : Si les lions pouvaient parler, Paris, Gallimard, 1998.
- Pontalis (Jean-Bertrand) et Laplanche (Jean), Fantasme originaire, fantasme des origines, origines du fantasme, Paris, Hachette, 1999. Des mêmes auteurs voir : Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Puf, 2002.
- Barthes (Roland), Le degré zéro de l’écriture, Paris, Paris, Seuil, 1953. L’aventure sémiologique, Paris, Seuil, 1985.
- Bentolila (Alain), Le propre de l’Homme, parler, lire, écrire, Paris, Plon, 2000.
- Bourdieu (Pierre), Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001.
- Dumézil (Georges), Mythes et Dieux indo-européens, Paris, Flammarion, 1992.
- Eco (Umberto), La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, Paris, Seuil, 1994.