Le lien bleu
On connaissait l’heure bleue, la période entre le jour et la nuit où le ciel se remplit presque entièrement d'un bleu plus foncé que le bleu ciel du jour. On savait ce qu’en avait fait le parfumeur Jean-Paul Guerlain. On connaissait la note bleue du Jazz qui modifie subitement et de manière inattendue l’atmosphère générale d’un morceau, sans toujours savoir que l’expression avait été inventée par George Sand parlant des accents de la musique de Frédéric Chopin. On connaissait la bicyclette bleue de Régine Deforges. Nous patiquons aujourd’hui le lien bleu. Il apparait avec la couleur de l’encre effaçable sur la neige de nos écrans. Il est souligné. Il est le point G de nos moteurs de recherche. Il nous permet de surfer sur le web. Il s’agit du lien hypertexte qui relie nos correspondants à la vitesse de la lumière à notre adresse mail, à celle de notre blog ou de notre site web, quand il ne s’agit pas de nos productions digitales, textes, photos, video, tweets… Nul ne sait pourquoi le lien hypertexte est bleu. Sa mémoire est déjà venue se dissoudre dans la grande poubelle de l’Alzheimer numérique. Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web au début des années 1990 pense que le bleu est arrivé avec la coloration des navigateurs et qu’il a été préféré au rouge et au vert pour que les daltoniens, tels que Mark Zuckerberg, cofondateur de Facebook, puissent survivre sur la toile. Le bleu souligné est donc devenu le symbole du lien, du point de repère digital, dans la grande jungle numérique. Nous ne savons pas s’il nous emprisonne ou s’il nous libère. Il avait 25 ans d’avance sur le « en même temps » d’Emmanuel Macron. Il fait du monde un annuaire universel sans adresse géographique. Il a parfois substitué le culte de la surface à celui de la profondeur. Il a le regard hypnotisant de Kaa, le serpent du livre de la jungle : « Aie confiance ! ». Quand il ne nous sert pas de planche à surfer sur les vagues du web, il nous sert de déambulateur dans le grand labyrinthe quantique de la toile. Le lien bleu, le lien hypertexte est précieux ; il nous permet d’exploiter les profondeurs du WEB et du « darkweb », leurs refuges et leurs lieux de perdition, leurs paradis et leurs enfers. Mais il est temps de redécouvrir le lien de chair et de sang qui nous renvoie les uns vers les autres. Il y a le Big Data : n’oublions pas le Big Hug.
Jean-Pierre Guéno