Le lien de la pyromanie

Les incendies de forêt qui ont marqué l’été ont révélé qu’il pouvait exister des pompiers pyromanes, des êtres déséquilibrés qui n’ont rien voir avec les milliers de pompiers bénévoles ou professionnelles qui risquent leur vie pour le plus grand nombre. Des pompiers pyromanes, il en existe depuis longtemps dans le domaine de la politique, au point que l’on viendrait à se demander dans quelle mesure la pyromanie ne relève pas d’une technique de gouvernance. Vous créez un incendie dévastateur pour apparaître comme l’homme providentiel, le sauveur de la collectivité qui va savoir l’éteindre après l’avoir évoqué. La baisse conjointe et dramatique des salaires et des effectifs de la fonction publique depuis 40 ans relève de la pyromanie. A chaque catastrophe, le ministre concerné qui est en place gesticule et fait semblant de s’indigner, de compatir et de découvrir la lune. Il interpelle et remet en cause les services qu’il a trop souvent contribué à dépecer, comme c’est aujourd’hui le cas lorsque le ministre de l’Intérieur somme Météo France d’expliquer son inaptitude à prévoir les orages dévastateurs qui viennent de ravager la Corse le 18 août dernier.

Depuis 2013, Météo France qui dépend de l’Etat a vu sa subvention baisser de 20 %, soit 37 millions d’euros en moins. Les effectifs ont diminué de près d’un quart, passant de 3 345 personnes en 2012 à 2 736 en 2020. Quant au réseau territorial, il a largement été amputé puisque Météo France ne compte plus que 39 implantations contre 115 en 2011. Cette profonde restructuration a rendu plus complexe sa mission fondamentale : détecter le plus tôt possible les phénomènes climatiques extrêmes pour sauver des vies.

Les effectifs de personnel dans les hôpitaux publics sont en baisse depuis 2008.

Dès janvier 2010 des voix alarmistes se faisaient entendre dans le domaine de la santé. Rien qu’à Paris, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris prévoyait déjà la suppression de 1.000 postes de soignants médicaux (infirmières, aides-soignantes, secrétaires médicales) et de 150 praticiens hospitaliers (médecins). Elle « devait » économiser 300 millions d'euros avant 2012.

La mise en place des Agences régionales de santé (ARS) regroupant les personnels de sept organismes différents (agences régionale d'hospitalisation, DDASS, DRASS, assurance-maladie...), inquiétait fortement le terrain qui savait qu'il existait des chiffres «incompressibles». Ainsi pour obtenir un agent 24 heures / 24, il fallait au moins 6 équivalents temps plein (hors absentéisme).

10 ans avant la pandémie, des questions se posaient : assurait-on toujours la qualité de soins? Quand surviendrait le prochain « grand » conflit social ?

Selon un rapport de la Direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques (Drees), la France disposait de 386 835 lits d'hospitalisation fin 2020, soit 5758 de moins en un an. Depuis 2013, 27 000 lits d'hospitalisation avaient été supprimés, soit une baisse de 6,5 % en sept ans.

Dans le secteur éducatif, le salaire moyen des professeurs en collèges débutants est passé de 2,5 fois le SMIC en 1980 à 1,5 fois le SMIC en 2022. Depuis 2005, on remarque une baisse importante du nombre d’enseignants titulaires dans l’enseignement secondaire. Il s’agit à la fois d’une précarisation et d’une privatisation rampante de la fonction d’enseignant.

Il est clair que depuis au moins 30 ans, la fonction publique se consume à petit feu. Certains apprentis sorciers pyromanes opèrent au lance-flammes quand tout semble aller bien et se saisissent des lances à incendie quand il est trop tard, tout en continuant à essorer les moyens et les effectifs indispensables au secteur public.

Jean-Pierre Guéno