Le lien du chaos
Mon livre La tentation du Chaos sorti il y a un an juste avant les élections présidentielles se voulait être une arme contre l’abstention. Malheureusement cette dernière était au rendez-vous. Le fait d’avoir cherché à retracer depuis Victor Hugo et la Commune, les étapes sombres et les étapes lumineuses de la quête de démocratie au cœur de notre société, le fait d’avoir rappelé ce que peut être un vrai projet en évoquant ceux qui ont transcendé le 20ème siècle n’aura pas suffi. Si la France a su éviter d’élire la candidate du parti de la haine et du repli identitaire le 24 avril 22, elle n’a pas pu faire autrement que d’élire par défaut un président sans souffle et sans projet qui rend notre pays ingouvernable parce qu’il est incapable de le gouverner avec un véritable esprit d’équipe en engendrant une dynamique collective. Alors que nos compatriotes ont désespérément besoin d’un tremplin au lendemain d’une pandémie qui fait germer en eux l’envie d’un autre monde, le besoin de respirer, de rêver et d’entreprendre, avec la belle perspective de commencer enfin à sauver la planète du Petit Prince, on ne leur propose que de fausses réformes mensongères et des butoirs en guise d’objectifs. Quand nous avons besoin de l’humanisme de la fluidité, on nous propose le règne barbare des spasmes, de la saccade et du soubresaut. Quand nous avons besoin de transitions, de gestations douces et progressives, on nous propose d’accoucher prématurément par césarienne ou dans la douleur. On ne nous laisse pas mûrir. On nous force à coups d’hormones et de testostérone. Certains pensent que le gouvernement ne sait pas gouverner parce qu’il s’est trompé de logiciel, et qu’il est incapable de nous enchanter. Quand nous voudrions plébisciter des ministères du rêve, du désir, de la civilité et du geste élégant, on nous propose des ministères du mensonge, du bras d’honneur et du balbutiement. Quand nous aurions besoin des registres de la confiance et du réconfort on nous propose ceux de la menace et de la réprimande. Quand nous avons soif d’alternatives et de vrais choix, on nous impose des solutions fermées. Quand nous recherchons l’élan et la générosité de utopies, on nous propose l’aridité, la pauvreté des formules préfabriquées et la sécheresse de la résignation. Quand nous aimerions chanter l’hymne de l’espérance et de la joie on nous propose celui de la tristesse, du désespoir et de la morosité. Et pendant que le bon dieu soupire, le diable attend son heure. Quand nous avons besoin d’aimer notre prochain, ses acolytes nous proposent de l’exclure : ils présentent bien ; ils ont de faux airs d’enfants sages et policés, mais ils sont en réalité tellement hypocrites. Ils sont à l’image des chimères et des gargouilles dont Eugène Viollet-le-Duc a peuplé les toits de Notre-Dame de Paris lors de sa restauration à partir de 1843 : comme leur maître maléfique, ils attendent leur heure.
Jean-Pierre Guéno